Les médias de service public ont toujours été accaparés par les différents régimes qui se sont succédé au Sénégal. On croyait que l’accaparement avait pratiquement atteint son comble avec les douze années de gouvernance Wade. En réalité, son successeur est aussi politicien et aussi amoureux des médias de service public que lui. Peut-être même, le dépasse-t-il d’un cran. Il en a manifestement fait des médias de service « républicain ».
En particulier, la télévision nationale est devenue sa propriété exclusive, qu’il partage avec sa famille, son parti et sa coalition. Où qu’il se trouve, au pays comme à l’étranger, toutes ses activités sont largement couvertes, y compris des plus anodines. Il en est pratiquement de même des activités de son parti, de sa famille et de sa coalition. Comme son prédécesseur, il s’est attaché les services exclusifs d’une unité de production basée au Palais de la République, avec des journalistes toujours prêts à la tâche. C’est cette équipe qui envoie à la RTS des PAD (« prêts à diffuser »), qu’elle conçoit de bout en bout sur place. On comprend ainsi l’abondance des activités politiciennes dans le journal télévisé de 20 heures.
Prenons, à titre d’illustration, l’exemple du Conseil des Ministres ! La télévision va chercher le maître des lieux jusque dans ses appartements privés et le montre en gros plan, flanqué de son Premier Ministre et conduit par le chef du Protocole. Il salue les différents gendarmes sur son passage et pénètre dans la salle de Banquet qui abrite le Conseil. Il passe en revue l’ensemble des ministres debout et serre la main à chacun, à chacune, tantôt chaleureusement, tantôt furtivement. Il s’asseye ensuite et ouvre son volumineux dossier. Tous les autres en font autant. La télévision ne rate aucun détail de ce cérémonial. Ensuite, c’est le balayage de toute la salle et un gros plan sur toutes les têtes qui entourent le Président de la République. Le cérémonial se termine par la longue lecture du communiqué du Conseil des Ministres. Le pauvre journaliste qui s’en charge s’époumone pendant plusieurs minutes.
Ce sont ensuite les longues audiences accordées sans discernement à des personnalités qui ne le sont que chez nous, les interminables séminaires sans résultats prouvés, les conseils présidentiels folkloriques, les nombreux déplacements du Président de la République au Sénégal comme à l’étranger. Quand il quitte Dakar le matin pour Banjul, Nouakchott, Bamako ou Conakry, il déplace toute la République, ce qu’on appelle en général les corps constitués, qui se précipitent à l’Aéroport pour lui serrer la main. Il rentre le jour même, et c’est le même cinéma de la République qui se répète, le tout couvert par la télévision nationale et montré intégralement au journal télévisé de 20 heures. Le Président Hollande se rend régulièrement à Londres, à Berlin, à Bruxelles, etc., à l’insu du peuple français qui a vraiment d’autres chats à fouetter.
La télévision marron court aussi inlassablement derrière le Président de la République quand il va poser ses interminables « premières pierres » ou procéder à ses très politiciennes inaugurations d’infrastructures qui ne sont parfois même pas terminées. Un Président de la République ne devrait pas passer le plus clair de son précieux temps à poser des premières pierres ou à inaugurer des infrastructures comme des lycées, des blocs scientifiques, des centres de santé, des forages, etc. Un gouverneur ou un ministre y suffirait largement. On peut suivre pendant plusieurs jours le journal des télévisions européennes, sans apercevoir l’ombre d’un Président de la République, d’un Premier Ministre ou d’un Chancelier. Et pourtant, ils travaillent comme de beaux diables et leurs gouvernements réalisent des milliers d’infrastructures, à côté desquelles les nôtres sont des naines.
Tout est occasion pour la télévision « républicaine » de nous servir largement du Macky Sall : présentations de condoléances, prières occasionnelles du vendredi dans telle ou telle mosquée, simagrées de son épouse dans la banlieue, marche entre Safaa et Marwaa et autour de la Kaaba, lecture du Coran dans la Mosquée du Prophète, etc.
Le Président Abdoulaye Wade avait toujours à ses trousses Mohamed Gassama, qui symbolisait l’accaparement de la télévision nationale et la flagornerie. Son successeur a son Mohamed Gassama, en la personne du très lyrique Papa Bigué Birame Ndiaye. Nos gouvernants s’appuient sur des individus de cet acabit, pour transformer les médias normalement de service public, en de vulgaires instruments de propagande, qui excluent définitivement de leur champ de couverture, toutes autres activités que celles du Président de la République et de son clan.
Mody Niang
Journaliste-Blogueur