Amère nostalgie! C’était à une époque de ferveur, d’espoir et de profondes aspirations pour un Peuple ayant à sa tête un président de la République fraichement élu et à l’abri des variations pathogènes de la rouille du Pouvoir. En l’écoutant ce mardi 28 Août 2012 livrer un discours à la nation, nous avions, avec toute la fierté patriotique requise, décerné le qualificatif mémorable au speech dans lequel, le président Macky Sall prenait la décision surprenante de mettre fin au débat entourant le Sénat en le supprimant tout court.
Notre cher pays venait encore d’être frappé par une catastrophe naturelle et l’onde de choc de finit toujours pas de faire des dégâts. De fortes pluies diluviennes l’ont inondé occasionnant des morts et des pertes de biens énormes qui ont, à leur tour, impulsé un immense élan de solidarité nationale pour soutenir et assister les familles touchées. C’est dans cette ambiance de forte émotion et de cohésion sociale que la prise de parole du président Macky Sall, absent du pays au moment des faits, était très attendue. Totalement séduit et ému par les efforts déjà consentis, le chef de l’État prenait de la hauteur et nous faisait état de ses intimes convictions en ces termes « J’ai, ainsi, décidé que l’État va consacrer des ressources substantielles à la recherche de solutions structurelles aux inondations récurrentes qui causent tant de malheurs, de douleurs et de souffrances aux populations. Comme vous le savez, le cœur de mon ambition pour le Sénégal demeure la satisfaction des besoins de chaque Sénégalais qui a droit à une vie décente et digne. Et ce droit non négociable touche à la santé, à l’emploi, à la justice et à la liberté. Voilà pourquoi je tiens aujourd’hui plus qu’hier à ce que j’ai appelé le nouvel ordre de priorités et la primauté de la patrie sur les partis ». Donc, il renchérit en nous révélant « Voilà pourquoi, chers compatriotes, j’ai décidé de soumettre, en procédure d’urgence, un projet de loi pour la suppression du sénat. Les ressources prévues pour cette institution seront ainsi consacrées, entre autres ressources, à la solution des inondations récurrentes ». Comme il savait qu’il excite le courroux de ses partisans et ses alliés, le président Sall s’empressait de préciser « Je sais la peine que ressentent certains partisans du maintien du Sénat. Mais, lorsque la détresse des populations est aussi ample, il faut savoir opérer les ruptures, savoir prendre les grandes décisions. Certes, le sénat peut contribuer à asseoir des institutions robustes et crédibles pour l’équilibre des pouvoirs. Certes, le sénat peut jouer un rôle majeur dans l’ancrage d’une démocratie irréprochable. Certes, le sénat peut permettre d’élargir le champ de la représentation populaire divers types d’acteurs dont les avis sont précieux pour la société, sa stabilité et sa cohésion. Mais quoi de plus urgent que l’allégement des souffrances de notre peuple dont les attentes constituent le centre de mes préoccupations ? L’urgence, c’est de venir à bout des inondations. L’urgence, c’est de trouver des solutions durables parce que structurelles afin que les populations ne vivent plus les drames de ces derniers jours ».
Vraiment André Frossard avait raison de dire que « la maladie la plus répandue chez les hommes politiques est l’amnésie»! Sinon, nous aimerions bien qu’on nous explique clairement, à part le taux de croissance de 6,5% brandi et immangeable, qu’est ce qui a réellement changé au Sénégal en ces quatre années pour que le président Macky Sall veuille aujourd’hui ériger à tout prix un Habitat d’accès aux privilèges, au pouvoir et au prestige pour y loger des bateleurs prêts à trahir la République? Pourquoi se tourne-t-il volontairement le dos pour ne pas écouter comme en 2012 les pressentiments, les remarques, les inquiétudes, les critiques et les mises en garde formulés par beaucoup de citoyens sénégalais et surtout par plusieurs spécialistes et experts en décentralisation et en territorialité? Entend-il, par exemple, cette pertinente remarque de notre compatriote Moussa Balla Fofana qui note que « pour des soucis d’efficience, il y a un risque de triplons entre la Commission de dialogue des territoires (Dirigé par Djibo leyti Ka), les associations d’élus et le HCCT »? Certes, sa nouvelle institution a été validée par son Référendum du 20 mars 2016 et que l’exigence de respect de la nouvelle Constitution doit être notre affaire à tous mais la désastreuse situation actuelle du pays ne l’inspire-t-il pas le devoir civique et moral de soummetre, en procédure d’urgence, un projet de loi pour la suppression de son « machin »? Ou bien, notre très ambitieux président de la République s’est-il découvert si subitement un talent de collectionneur pour voir en ce HCCT la seule pièce manquante pour compléter sa collection d’Institutions et assurer son entrée déjà ratée dans l’histoire par la grande porte?
Par ailleurs, le survol rapide de la liste des Institutions de la République (énumérées dans l’article 6 de la Constitution de 2001 récemment révisée) nous plonge dans les profondeurs laides de l’apparence. C’est un exercice très douloureux car la réalité qui émane de ce cocktail d’Institutions est triste. Le président de la République élu par défaut, est un homme qui se compare à un lion qui dort. L’Assemblée nationale est devenue, entre autres, une crèche nationale pour adultes pervertie par de déshonorables députés totalement soumis au bon vouloir de l’Exécutif. Le Gouvernement est composé par une pléthore de ministres impuissants et inefficaces pour conduire la politique prioritaire de la Nation. Le Conseil économique, social et environnemental en manque de popularité, est une assemblée consultative passive et remplie de conseillers amorphes dont la gratuité de leur mandat fait qu’ils courent pour se requinquer derrière des remboursements de frais de transport ou des indemnités de session ou de déplacement. Le Conseil constitutionnel est un hôtel doré et habité par des Sages malléables avec des Avis et des Décisions commandés par leur chef et fortement discutés et contestés. La Cour des comptes soulève de temps à autre de la poussière en produisant des chiffres destinés à remplir les tiroirs des meubles du Palais présidentiel et de l’Administration sénégalaise. La Cour suprême, les Cours et Tribunaux sont tourmentés et fragilisés, d’une part par la recherche effrénée de la confiance du public fortement minée et d’autre part, par la conquête difficile de leur illusoire indépendance. Last but not least, il y a ce HCCT importé, un habitat qui abrite des privilégiés infructueux pour le développement local et bénéficiant d’une indemnité mensuelle calculée selon le traitement des fonctionnaires occupant les emplois les plus élevés de l’État et des indemnités de session fixées aux trois quarts (¾) de celles octroyées aux députés.
Bien qu’il soit vrai, en reprenant Frédéric Dard que « l’hypothèse la mieux élaborée ne saurait prévaloir sur la réalité la plus bancale », nous allons quand même en poser pour mieux comprendre les raisons qui peuvent sous-tendre l’existence de cette institution supplémentaire clientélaire et patrimoniale de véritable « politique du ventre ». Les nuages sont le présage de la pluie, dit-on! En effet, Moustapha Niasse est en fin de carrière politique à l’Assemblée nationale, le baroudeur Djibo Leity Ka hume l’air frais dans une Commission taillée sur mesure et d’autres transhumants ont chacun une friandise sucrée et aromatisée dans la bouche. En bon « scorpion politique » qui cherche à donner une touche d’éclat à sa prouesse d’avoir réuni miraculeusement les ennemis apparatchiks socialistes autour de lui et asseoir son autorité sur eux, n’est-il pas logique pour le président Macky Sall de faire un clin d’œil politique mérité à son fidèle et constant allié, Ousmane Tanor Dieng, en lui offrant le fauteuil d’une institution pour qu’il ait lui-aussi le privilège d’être appelé « président »?
En politique, l’insatisfaction et la gourmandise entrainent souvent la boulimie des pouvoirs! Le somptueux Palais sur l’Avenue Léopold Sédar Senghor, avec le nombre inestimable de conseillers officiels comme officieux et de courtisans pour le couple présidentiel, a dépassé de loin ses capacités d’accueil. Les coins et recoins de l’Administration sénégalaise sont bondés de personnes. Les Agences gouvernementaux qui ont pu résisté au sabre ultra tranchant de notre parcimonieux président de la République, sont saturées. La majorité acquise avec les 119 députés sur 150 du Parlement de Niasse est insignifiante. Les 80 membres et les 40 membres associés du Conseil d’Aminata Tall sont très peu. Les services extérieurs (ambassades et consulats) du Ministères des Affaires étrangères sont bourrés. Il n’y a plus d’espaces dédiés pour satisfaire tout le monde d’autant plus que les nouveaux transhumants et les Sénégalais de la Diaspora fortement courtisés vont, s’il n’agit pas vite, se fâcher et lui tourner le dos. Puis que ce que chef de l’État veut, Dieu le veut, tous les moyens sont bons alors pour notre président de la République de se prévaloir pleinement de son pouvoir constitutionnel de nomination à des emplois civils et militaires. Ce pouvoir de nomination vidé malheureusement de ses principes sacrosaints, devient ainsi un levier sous les pieds du gardien de la Constitution qui peut l’utiliser comme bon lui semble soit pour faire avaler sa gestion gabégique de l’État soit pour assurer son maintien au pouvoir. Hélas, trois fois hélas! «Les hommes seront toujours assez simples et assez pressés par les besoins présents pour que celui qui veut tromper trouve toujours des dupes», faisait remarquer Machiavel.
Les avis sur les critères et les arguments justifiant la pertinence, la performance, l’efficacité, l’efficience et l’opportunité de cette institution, comme ce fut auparavant avec le Sénat, restent cependant largement partagés. Ses partisans s’activent et brandissent, ça et là, des arguments de tout genre. Ils soutiennent mordicus que ce HCCT est un « acquis démocratique », il « figurait déjà dans les propositions des Assises nationales », il est « une recommandation soumise au Président de la République par la Commission Nationale pour la Réforme des Institutions présidée par le doyen Amadou Moctar Mbow ». Il était aussi « une proposition qui figurait dans le programme Yonnu Yokkuté du candidat Macky Sall ».D’aucuns soulignent même l’exposé des motifs de la Loi organique n° 2016-24 du 14 juillet 2016 relative à l’organisation et au fonctionnement du Haut conseil des collectivités territoriales en insistant sur le fait que le HCCT a pour « vocation de contribuer à la modernisation de l’action publique territoriale, à l’aménagement équilibré du territoire, à la mobilisation des territoires pour la croissance et l’emploi ainsi qu’au développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale». Soit! Mais quelle est la cohérence de tout cela avec les propos tenus par le président Macky Sall qui soutenait en 2012 nourrir l’espoir que « tous les acteurs, en commençant par l’État, empruntent les nouveaux chemins de la rigueur, de la discipline et de l’ordre, valeurs et principes sans lesquels il n’est de destin collectif possible, mais surtout de développement durable »?
De plus, à l’instar des Institutions sénégalaises donneuses d’AVIS et productrices de RAPPORTS sous pli fermé pour un président de la République pas trop en phase avec la transparence, notre budgétivore HCCT n’existe que pour donner «un avis sur toute politique relative à la décentralisation et au développement territorial». Nous pensons avec conviction que vouloir instaurer cette «énième charrue avant les bœufs», c’est faire fi de tous les efforts consentis depuis 1960 par des acteurs totalement mus par l’autonomie ainsi que la libre et réelle administration de nos collectivités territoriales! Nul doute qu’il existe présentement sur le terrain une pluralité de structures et d’instances ayant des mandats, des rôles et des vocations similaires à ceux du HCCT. Un État responsable doit entretenir avec ses citoyens et ses collectivités territoriales des rapports cohérents et harmonieux! En ce sens, comment un président de la République peut-il décider de mettre en place une Assemblée consultative et de démocratie participative utile et respectueuse pour nos collectivités territoriales en s’accordant le pouvoir unilatéral et discrétionnaire de désigner 70 conseillers territoriaux sur un total de 150? Le président Macky Sall s’approprie une grosse part du gâteau pour laisser trimer dur les politiciens locaux. Ainsi très bien servi, il ne lui reste qu’à instrumentaliser les raisons de la discorde nationale avec les 80 autres conseillers que vont se partager douloureusement les 45 départements que compte le Sénégal. Au final, les dés sont pipés car le jeu en vaut la chandelle! Prendront ainsi part à la mascarade électorale du 04 septembre 2016 un total de 38 listes composées de 5 coalitions de partis, de 17 partis politiques et de 16 entités regroupant des candidats indépendants. Or, la sagesse chinoise nous rappelle que « celui qui assiste en spectateur voit clair, celui qui prend parti se laisse égarer»!
C’est l’amertume et la tristesse qui emballent notre indignation face à cette arnaque de politique politicienne! Le courant des eaux pluviales qui inondent le pays est trop fort mais notre président de la République ne renoncera à l’affronter. Son HCCT ne sera pas mort-né et enterré comme ce fut le cas du Sénat d’Abdoulaye Wade. Bientôt satisfait de sa forfaiture de plus, il se mettra devant son miroir pour se raser en pensant sérieusement de nouveau à faire de la Maison des Esclaves de l’île de Gorée une Institution de la République du Sénégal. Qui sait?
Pathé Guèye
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