Tout en étant des contrats de la commande publique, les partenariats public-privé (Ppp) s’en démarquent par leur complexité. Ils font appel, en effet, à de nombreuses disciplines telles que le droit, l’ingénierie financière, l’économie, la finance, la comptabilité. Ainsi, la gestion d’un processus Ppp est d’abord et avant tout la gestion d’un projet. A ce titre, elle implique une bonne connaissance en management du cycle de vie des projets ainsi que des compétences spécifiques et une expertise pointue qui ne se trouvent pas habituellement au sein de la Fonction Publique.
Il n’est donc pas surprenant que le cadre institutionnel de gouvernance des Ppp reflète cette particularité, notamment en ce qui concerne les fonctions de contrôle qui leur sont généralement applicables.
Les fonctions de contrôle dans les marchés publics
Les marchés publics font appel à deux principales fonctions de contrôle. Il s’agit :
– du contrôle a priori, autrement appelé revue préalable, qui a pour finalité de vérifier la conformité des procédures et des documents d’appel d’offres préparés par les autorités contractantes aux prescriptions des lois et règlements. Cette revue préalable reste un contrôle formel et ne permet pas de faire une appréciation technique du projet lui-même mais de la documentation d’appel d’offres qui l’accompagne (dossier d’appel d’offres). Au Sénégal cette fonction est assumée par la Direction centrale des marchés publics (Dcmp) ;
– une fonction générale de régulation impliquant aussi une activité sous-jacente de contrôle a posteriori, d’audit et de règlement des différends, assumée aujourd’hui par l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (Armp).
Ces différentes fonctions se retrouvent aussi dans les contrats de type partenariat public-privé qui impliquent une troisième fonction d’expertise « atypique dans le paysage administratif1».
La fonction « atypique » d’expertise, de validation et d’assistance technique dans les Ppp
D’emblée, il convient de préciser, qu’à la différence des marchés publics où la revue préalable s’exerce dans sa plénitude, les contrats de type Ppp font de plus en plus appel à une forme de contrôle de conformité allégée. Cette spécificité tient à l’important rôle d’appui et d’accompagnement que jouent souvent, auprès des autorités contractantes, des organismes d’un genre nouveau désignés sous le vocable d’Unité Ppp. En effet, l’encadrement des porteurs de projets publics par cet organisme est aussi un moyen d’assurer le « contrôle qualité » des documents de passation et des dossiers de projets.
Les Unités Ppp peuvent être définies comme « tout organisme créé, en totalité ou en partie, avec l’aide de l’État pour veiller à ce que les compétences requises pour gérer la fourniture de biens et de services par des tiers existent et soient regroupées au niveau du gouvernement. La création d’unités spécialisées vise à renforcer la capacité de l’État à gérer les risques liés à l’augmentation du nombre de partenariats public-privé et de la valeur qu’ils représentent2 ».
Ainsi, dans la perspective de l’Unité Ppp, il ne s’agit pas de s’inscrire dans une posture «d’embuscade » à l’image du « gendarme », consistant à sanctionner les irrégularités par le rejet des projets soumis. Il est plutôt question de conseiller et d’assister l’autorité contractante, à toutes les phases du processus, de manière à rendre très improbable toute idée de rejet de son projet pour insuffisance.
Au demeurant, plusieurs rapports et manuels3 consacrés aux clés du succès des programmes Ppp dans de nombreux pays, insistent sur la haute importance qu’il convient d’attacher à la création et à la « capacitation » d’un organisme d’appui aux autorités contractantes, généralement dénommé « organisme expert » ou « Unité PPP », qui reçoit les cinq missions essentielles ci-après :
i. valider le recours à la formule Ppp, notamment par une étude comparative des autres formules de financement ou de contractualisation, l’objet de cet exercice étant de s’assurer que la formule de partenariat retenue par l’autorité contractante est la plus avantageuse pour l’Etat ou pour la collectivité locale ;
ii. assister les autorités contractantes à toutes les phases du cycle de projet Ppp et leur apporter un appui technique et juridique ;
iii. former une expertise nationale sur les matières juridiques, financières et économiques en lien avec la pratique des Ppp ;
iv. vulgariser et promouvoir l’outil Ppp ;
v. diffuser les bonnes pratiques et capitaliser le retour d’expériences sur les projets réalisés.
La fonction d’Unité PPP au Sénégal : une organisation à parfaire
Au Sénégal, les fonctions d’Unité Ppp sont confiées par la loi 2014-09 au Comité national d’Appui aux Partenariats Public-Privé (Cnappp) qui n’est pas encore opérationnel. Ce modèle organisationnel rejoint une tendance observée en Afrique francophone consistant à mettre en place des Unités Ppp sous forme de Comité. Si la création de ces unités est à saluer fortement en ce qu’elle représente un pas décisif dans la prise en compte des standards internationaux en termes d’architecture de gouvernance des Ppp, l’efficacité du « contenant » choisi peut être mise en doute.
L’appellation « comité » renvoie, en effet, à une structure de décision collective appelée à compter en son sein des représentants de plusieurs administrations. Une telle composition paraît très peu adaptée aux missions d’un organisme expert performant et la raison en est bien simple : la mission d’Unité Ppp s’accommode mal du mode de fonctionnement intermittent d’un Comité au sein duquel les membres n’exercent leurs fonctions qu’à titre subsidiaire. Qui plus est, au mieux, ces derniers pourraient bénéficier d’une présomption de compétence et d’expertise mais leur connaissance approfondie des Ppp ne pourrait s’apprécier qu’intuiti personae et non pas es-qualité. Ainsi, si au départ les membres du comité peuvent être choisis en tenant compte de leur maîtrise particulière du sujet, il sera difficile, à terme, au gré des renouvellements, de s’assurer que ces derniers conservent cette expertise.
Au demeurant, il serait illusoire de penser que des hauts fonctionnaires assumant d’importantes responsabilités au sein de leurs administrations respectives, puissent, sur la base d’un dossier complet qui ne leur aura été transmis que quelques jours à l’avance, donner un avis qualifié sur la structuration technique, juridique et financière d’un Ppp ; et ce, au bout d’une délibération de quelques heures.
Enjeux liés à la mise en place d’une Unité Ppp forte au Sénégal
Dans le contexte actuel marqué par l’opérationnalisation du Plan Sénégal émergent et l’essor des partenariats public-privé, présentés désormais comme un instrument de financement du développement économique et social, il convient de favoriser la professionnalisation de l’Unité Ppp et de s’inscrire dans une logique de pérennité de son activité.
De même, il est important de former une expertise nationale sur les partenariats public-privé pour permettre à l’Administration de développer des compétences internes susceptibles de minorer l’intervention de consultants externes.
Quatre raisons principales plaident en faveur de cette « émancipation ». La première est la perte de contrôle ou d’informations constatée au sein des administrations dans le cadre de projets dans lesquels l’implication des consultants externes a été très forte. La deuxième, qui est sous-jacente à la précédente, est liée au fait que les consultants externes ont une très faible propension à organiser le transfert de leurs compétences aux acteurs publics. La troisième tient au fait que l’expérience a montré que les consultants peuvent se retrouver, du jour au lendemain, « de l’autre côté de la table de négociation » des projets ; ce qui leur donne un atout majeur sur les négociateurs publics. Enfin, la dernière raison est liée aux impératifs de contrôle-qualité et de validation du travail de ces intervenants externes à l’Administration ; contrôle qui ne peut être fait valablement que par un personnel possédant un minimum de formation et d’expertise.
Au demeurant, la durée moyenne des Ppp (30 ans pour l’autoroute à péage, 25 ans pour la concession du Contrôle de la charge à l’essieu etc.) qui enjambe parfois deux générations d’acteurs publics, expose les administrations à d’importants risques de déperdition de l’information et de perte de contrôle partiel ou total sur les projets, sur les faits majeurs qui définissent la trajectoire de ces projets, sur les motivations qui ont présidé à l’introduction de telle ou telle clause dans les contrats. La distorsion de l’information au fil du temps est encore plus grande si la vie du projet est ponctuée de modifications contractuelles (avenants et contrats complémentaires), de renégociations ou de changements institutionnels induisant des mutations au sein de l’autorité contractante (alternance démocratique, remaniements ministériels, suppression d’agences, etc.).
A terme, elle induit une érosion de la base de connaissance des acteurs publics sur les projets en cours d’exécution ; ce qui les fragilise d’autant et creuse le fossé de l’asymétrie de compétences entre secteur public et secteur privé au moment de la phase de négociation précontractuelle. C’est ici le lieu de relever la fausseté d’un préjugé tenace qui semble accréditer la thèse que les opérateurs privés se sentent plus confortables dans la négociation des projets lorsqu’ils font face à une équipe de négociateurs publics désarmés.
En effet, comme l’indique l’Ocde, « l’existence d’une unité chargée des Ppp témoigne de l’engagement de l’État en matière de Ppp. Elle indique également aux éventuels partenaires privés que le gouvernement possède les compétences requises pour gérer des Ppp ». Cette affirmation est renforcée par Ahadzi et Bowles4 (2004, p.976) qui notent qu’il « n’est pas surprenant que le secteur privé soit plus rassuré de voir qu’il existe une unité chargée des Ppp au sein de l’organisme client […]. L’absence d’une telle équipe peut susciter des interrogations sur la solidité de la gestion de projet du secteur public. C’est surtout vrai si les fonctions du client appartenant au secteur public sont fragmentées entre plusieurs ministères ».
A cela s’ajoute la mobilité habituelle qui ponctue la vie des administrations et entraîne de fréquents changements des gestionnaires publics en charge de ces questions au sein des départements ministériels. La conséquence première de cette mobilité est le renouvellement du personnel expert des ministères dans un contexte qui, paradoxalement, commande une stabilité des ressources humaines ; stabilité qui paraît totalement improbable, voire illogique. D’où l’intérêt pour l’Etat, d’avoir une structure dédiée jouant le rôle d’une mémoire institutionnelle forte et centralisée qui contribue également à la capitalisation du retour d’expérience.
En effet, au gré de son implication dans les projets, l’Unité Ppp forge une expertise dans son domaine qui lui permet d’instaurer un cercle vertueux d’échanges avec les autorités contractantes. Ce cercle vertueux est entretenu et alimenté par les cas de réussite et d’insuccès ; ce qui développe des aptitudes et des stratégies d’évitement et de mitigation des crises au sein de la puissance publique. Le rôle de capitalisation reste d’autant plus primordial dans le contexte sénégalais que l’expertise accumulée sur la réalisation de projets Ppp est restée concentrée entre les mains d’acteurs isolés (Sones, Apix, Aibd, Cetud, Senelec, Ministère des Infrastructures etc.), voire d’intervenants externes à l’Administration.
En outre, la mise en œuvre réussie de certains projets cache mal les nombreuses insuffisances relevées dans la formulation des Ppp ; lesquelles ont conduit à des surcoûts budgétaires importants, à la signature de nombreux avenants ainsi qu’à des ruptures de contrats particulièrement onéreuses pour nos finances publiques.
Cette situation est due en partie au défaut de préparation des projets et au caractère diffus des expériences sectorielles réalisées jusque-là ; lesquelles n’ont pas profité aux autres secteurs désireux de monter des projets, en raison de l’absence d’une structure transversale jouant le rôle d’un centre d’expertise. Elle est aussi tributaire de la méconnaissance de l’outil PPP qui amène les gestionnaires publics à porter d’office leur choix sur les modes de financement ou les types de montage qu’ils connaissent le mieux, ou qui présentent le moins de complexité (marchés publics, contrats clés en mains etc.)
Ces contraintes pourraient ralentir la mise en œuvre des projets du Plan Sénégal émergent. D’où l’intérêt de réfléchir à une nouvelle forme d’organisation jouant un rôle effectif d’appui à la réalisation diligente des projets. En tout état de cause, il serait particulièrement risqué et dispendieux, à terme, de s’appuyer exclusivement sur des cabinets de consultants pour structurer des projets en Ppp. En effet, en plus de réserver parfois des « surprises » aux autorités contractantes qui en héritent par la suite, ces projets montés de toutes pièces sans une implication forte d’une expertise domestique se révèlent souvent un terreau propice à des « liaisons dangereuses ».
Quelle Unité Ppp pour le Sénégal ?
En termes de structure organisationnelle, la meilleure forme d’organisation de l’Unité Ppp paraît être celle d’une structure autonome. En effet, les structures administratives classiques ne disposent pas d’un statut d’employeur au sens du Code du Travail, d’une part et ne peuvent offrir des niveaux de salaires suffisamment attractifs pour les profils expérimentés et rares (analystes financiers, analystes risques, spécialistes en financement de projets, ingénieurs financiers et techniques), donc forcément chers dont elles ont besoin, d’autre part.
Ensuite, pour être efficace, l’Unité Ppp doit être centrale (incontournable) et doit bénéficier d’un soutien politique sans équivoque. Les acteurs publics en charge des projets peuvent se révéler peu coopératifs y compris à l’endroit d’un organe qui n’a d’autre ambition que de les aider à structurer et mettre en œuvre plus efficacement et plus rapidement leurs projets. Ces difficultés sont déjà expérimentées sur le terrain où l’on note, parfois, une certaine réticence de la part des porteurs de projets publics à partager l’information ou à rendre compte des écueils qu’ils rencontrent. Cet état de fait semble être la source de la situation de latence observée dans la mise en œuvre des projets Ppp.
Enfin, il serait indiqué de conférer suffisamment de « poids » à l’Unité Ppp, de façon à lui permettre de jouer pleinement son rôle de centre d’expertise et de monitoring des projets et des contrats. Sans ce soutien politique fort l’Unité fera face aux mêmes réticences et éprouvera des difficultés à s’imposer comme un organe efficace d’appui à la mise en œuvre des projets.
Ibrahima FALL
Directeur des Financements et des Partenariats Public-Privé
Ministère de la Promotion des Investissements
Email : ibrahima.fall@mpipdte.gouv.sn
1 François Bergère, Directeur de la mission d’appui aux partenariats public-privé, présentant l’organisme expert au Sénat, 21 janvier 2014
2 « Les unités consacrées aux partenariats public-privé une étude des structures institutionnelles et de gouvernance ». Ocde, 2010
3 -“Public-private partnerships reference guide”, World Bank Group, Ppiaf, version 1.0
“Les unités consacrées aux partenariats public-privé : une étude des structures institutionnelles et de Gouvernance, Ocde, 2010
4 Public–private partnerships and contract negotiations: an empirical study, Marcus AHADZI and Graeme BOWLES, Heriot-Watt University, School of the Built Environment, Edinburgh EH14 4AS, UK