L’été est doublement chaud cette année, en raison de la hausse du mercure sur le thermomètre d’une part, de l’autre à cause de la confrontation sur le mode de la surenchère verbale entre ceux qui contestent la possibilité pour les bi-nationaux de se porter candidats à la prochaine élection présidentielle et ceux qui voient dans cette position une discrimination grosse de risques de perturbations politiques dans l’avenir. Pour justifier leurs craintes, les derniers avancent le syndrome de l’ivoirité qui avait dévasté ce pays avant et après l’élection de 2002.
Les bi-nationaux ne sont pas seulement des ressortissants sénégalais qui, par le procédé de la naturalisation, prennent une autre nationalité. Ils peuvent être les fruits du mariage de sénégalais d’un bout à l’autre avec des personnes (hommes ou femmes) d’une autre nationalité ou encore des étrangers qui prennent la nationalité sénégalaise sans renoncer à celle détenue de par leurs origines. Les plus célèbres parmi eux sont sans doute les descendants des signares et des colons qui lors de leur bref séjour dans les comptoirs et établissements de Saint-Louis, Gorée, Fatick y ont fait souche grâce à des « mariages à la mode du pays ». Même s’ils n’avaient jamais foulé le sol de la Métropole, ces mulâtres n’en revendiquaient pas moins leur citoyenneté française dans la mesure où la nation sénégalaise n’avait pas encore d’existence. L’absence de lien avec une communauté nationale expose en effet au sort peu enviable de l’apatride. Une autre génération est apparue à la veille de l’Indépendance. Il s’agissait soit d’anciens administrateurs coloniaux soit de coopérants qui, ayant finalement adopté le Sénégal comme leur nouvelle patrie, décidèrent d’y poursuivre leurs carrières. Certains parvinrent à de hautes responsabilités dans l’État, tels André Peytavin et Jean Collin de regrettée mémoire. Il en existe beaucoup d’autres qui, partis de la plaine de la Bekaa ou du pays druzze au Liban, s’établirent dans les escales de traite du pays profond pour se livrer au commerce de l’arachide. Leurs tombes dans les cimetières de Bel Air, Gueule Tapée et Yoff sont les symboles ultimes de leur attachement au Sénégal. D’eux sont issus d’entreprenants hommes d’affaires comme les Bourgi, Omaïs, Hoballah, Assef…et la figure exceptionnelle d’Ali Haïdar qui doit sa singularité à son engagement politique et sa participation au gouvernement.
La pluri-nationalité est un phénomène appelé à se développer. Elle est une dimension anthropo-sociologique de la mondialisation qui n’a pas commencé aujourd’hui comme l’ont montré les travaux de l’historien Fernand Braudel.
Donc on hérite de la nationalité ou on l’obtient sur demande. Cet attribut contribue non seulement à la construction de l’identité de la personne, mieux il donne des droits et soumet à des devoirs dont celui de la loyauté envers la communauté dont on se réclame. Sentiment qui s’incarne dans le patriotisme et la conscience de l’intérêt national chez celui chargé de conduire le destin national. C’est l’une des raisons, sinon la seule, qui ait pu conduire le législateur à exiger de tout candidat à l’élection présidentielle qu’il soit exclusivement de nationalité sénégalaise. L’histoire est cependant riche de cas de dirigeants ayant aliéné la souveraineté de leurs pays au profit d’intérêts étrangers. Dans le passé, les souverains ayant demandé de se placer sous le protectorat de puissances étrangères, ou ayant cédé des portions des leurs territoires ou donné sans contrepartie des concessions à des sociétés étrangères pour l’exploitation des ressources nationales en sont des exemples.
Par contre d’autres législations ne mettent pas d’empêchement sur l’éligibilité de leurs bi-nationaux ou de leurs citoyens ayant des origines étrangères. Il en est ainsi en France, aux États-Unis, au Pérou, au Canada où Nicolas Sarkozy de père hongrois, Barack Obama de père kenyan, Fuji Mori d’origine japonaise et Michelle Jean de parents haïtiens ont été les uns Présidents de la République, l’autre Gouverneure générale.
Le débat ouvert au Sénégal fait penser aux cas de Karim Wade et d’Abdoul Mbaye. Mais il est fort ancien, et, n’a jamais été ni perçu ni tranché que de façon constante mais plutôt selon les dividendes ou pertes politiques en jeu. On a tendance à oublier que l’on reprochait au ministre Abou Lô sa double nationalité allemande et sénégalaise. Ce statut lui valut de quitter le gouvernement. Dans la même période, Ali Haïdar a été ministre et on s’enorgueillissait de le montrer comme un exemple d’immigré intégré.
Lat Soucabé Mbow
Professeur titulaire des Universités