La presse sénégalaise, faisant l’économie de la conférence de presse de la mission du Fonds monétaire international (Fmi) au Sénégal, dans le cadre du suivi de l’Instrument de soutien à la politique économique (Ispe), a tourné dans tous les sens le satisfécit de l’institution.
«La croissance (économique) va dépasser 6%». «Le Sénégal obtient le satisfécit du Fmi». «Très bien dans le court terme». «Le Fmi tisse des lauriers au Sénégal». «Le Fmi confirme Amadou Bâ». «Le Sénégal, un bon élève».
Autant de titrailles des différents quotidiens sénégalais qui résument parfaitement les propos de Ali Mansoor, le chef de mission du Fmi : «les perspectives pour 2016 et 2017 restent positives avec un taux de croissance projeté au-dessus de 6%, porté par une agriculture plus performante, le redressement de l’industrie ainsi que le maintien du dynamisme dans les activités de services». De plus, M. Mansoor constate que sur le plan macroéconomique, les signaux sont positifs puisqu’il y a «une grande amélioration de la balance des paiements avec un compte courant qui présente un déficit de seulement 6,5%». «Mais, ce qui est surtout encourageant, c’est que ce résultat n’est pas seulement le fruit de la baisse des prix des matières premières, en particulier le pétrole, mais on commence aussi à voir une augmentation des exportations et une augmentation des recettes. Dans le court terme, la situation macroéconomique va dans le bon sens et en plus de ça, le déficit budgétaire est maîtrisé et devrait permettre au Sénégal d’atteindre un des critères de convergence de l’Uemoa avec un déficit de 3% en 2018».
En un mot comme en mille, le Sénégal a fait des efforts importants sur ses agrégats macroéconomiques. En effet, l’augmentation des recettes fiscales est en grande partie expliquée par les recettes pétrolières, notamment les recettes issues du Fonds de sécurisation des importations des produits pétroliers. Cette tendance de hausse s’est poursuivie sur les six premiers mois de 2016.
De quoi agacer les opposants au régime de Macky Sall ? Certainement, à la lecture de la sortie du leader du Grand Parti (Gp) dans le quotidien «La Tribune». D’après Malick Gackou, «le Fmi doit s’adresser sérieusement au peuple sénégalais. (Car) on ne peut pas affirmer que la croissance annoncée par le gouvernement n’est pas inclusive et déclarer que le Sénégal est sur la bonne voie du développement économique et social. La vérité est que notre croissance n’est pas inclusive parce que non-attractive du point de vue de l’employabilité de l’économie et de la création de richesses pour la population». Il pousse le bouchon plus loin : «Il s’agit plutôt de demander aux représentants du Fmi au Sénégal d’arrêter de nous faire croire à de faux espoirs sur la base des agrégats macroéconomiques du Sénégal déjà annoncés par le gouvernement. Je ne comprends pas d’ailleurs cette propension subtile des représentants du Fmi à être toujours en phase avec le gouvernement sur toutes les questions économiques».
Nous comprenons parfaitement la préoccupation de l’ancien ministre du Commerce tout en lui faisant, toutefois, remarquer qu’il ne faut pas s’attendre de la part du Fmi, de la Banque Mondiale, de l’Ue, de la Cedeao, de l’Uemoa, de cesser d’enrober leurs recommandations ou avis dans des formules diplomatiques qui ressemblent fort à de la langue de bois.
En effet, quand le Fmi souhaite «une croissance soutenue» dans le temps, il veut dire dans un langage imagé que le Sénégal a une économie extravertie qui ne profite pas encore aux Sénégalais. En langage moins codé, le Fmi veut nous dire que nous n’avons pas une croissance inclusive parce que pour l’essentiel portée par le tertiaire. En effet, tant que la croissance n’est pas portée par des secteurs qui créent de l’emploi (Agriculture et industrie), on reste dans la croissance appauvrissante. Il faut que nous cessions d’être éblouis par des taux de croissance importants. Car, la plus-value est créée avec des entreprises, filiales de sociétés-mères basées à l’extérieur qui transfèrent sans limite tous leurs bénéfices. Et dans ces conditions, un taux de croissance élevé ne se traduit pas par une réduction de la pauvreté. La preuve, d’après les données de l’Enquête de suivi de la pauvreté au Sénégal (Esps II) de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), 6 367 733 personnes, soit 46,7% de la population sénégalaise vivent en-dessous du seuil de pauvreté, malgré les taux de croissance annoncés.
L’autre exemple, c’est le paiement d’une dette des fournisseurs de l’Etat pour un montant de 100 milliards de francs Cfa et pourtant, certaines Pme tirent la langue et des citoyens continuent à chantonner que «deuk bi dafa Macky». Simplement parce que la croissance n’est pas portée par les secteurs porteurs. Pour l’instant, ce sont les services qui la portent. C’est-à-dire les télécommunications, les banques, le transport, les services de manière générale qui vont dans les poches de quelques-uns plutôt que dans la grande masse des Sénégalais.
Pour l’année 2015, le secteur secondaire s’est bien comporté et cela s’explique par l’arrivée du groupe Indorama, actionnaire majoritaire des Industries chimiques du Sénégal (Ics), d’un montant de 200 millions de dollars (100 milliards de francs Cfa). Mais cette croissance est au profit du groupe indien qui génère les bénéfices qui transfèrent la totalité, sans possibilité de réinvestissements au profit de l’emploi.
Quand, dans son rapport de janvier 2016, le Fmi estime qu’il «est plus efficient pour le Sénégal d’améliorer le climat des investissements que d’accorder des exonérations fiscales» (ce qui est repris par Mansoor dans sa conférence de presse quand il invite à «s’assurer que tout le monde paie ses impôts»), on ne peut pas être plus explicite. Et sur ce registre, le Fmi et Ousmane Sonko, le leader du Pastef qui vient d’être révoqué de la Fonction publique pour «manquements à l’obligation de réserve», disent la même chose. Le premier le dit dans un langage diplomatique et l’autre dans un langage d’homme politique, pour ne pas dire de politicien. En effet, malgré des mesures incitatives généreuses et des dépenses fiscales élevées (1436 milliards de F Cfa entre 2008 et 2013), les Investissements directs étrangers (Ide) et les investissements privés productifs sont encore faibles au Sénégal, comparés à d’autres pays de même niveau de développement. Donc, le Sénégal gagnerait à évaluer l’avantage de chaque dépense fiscale par rapport au coût et envisager de réformer les mesures d’incitation plus vastes plutôt que d’accorder des remises et exonérations fiscales à certaines entreprises. Le Fmi juge que le nouveau Code général des impôts représente une amélioration majeure par rapport à la multitude d’incitations fiscales qui existaient précédemment, les dépenses fiscales restent importantes. Elles ont été de 533 milliards en 2013 contre 223 milliards avec l’ancien Code général des impôts (Cgi).
Bachir FOFANA
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