« La route tue et handicape à vie beaucoup trop de personnes : arrêtons l’hécatombe ! » Crie de cœur d’un jeune sénégalais à l’émission radiophonique « Wax Sa Xalaat »
« Quand on se brûle au feu que soi-même on attise, ce n’est point un accident, c’est une sottise. »
Mathurin Régnier, poète satirique français du 17e siècle
Les mauvais comportements sont pluriels et récurrents chez nous au Sénégal. Plus besoin de chercher à le démontrer. On peut le constater partout, tous les jours et à tous les niveaux. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir la presse ou bien simplement de regarder autour de soi : l’insalubrité ambiante, le surencombrement de nos rues, la dégradation accélérée de nos infrastructures, les guéguerres politiciennes, le népotisme, la fraude, la corruption, la concussion, la persistance des pandémies telles le Sida, le Paludisme, la Tuberculose, liés aussi et surtout, eux aussi, à des questions de comportement, etc. ; et réduisant de beaucoup l’impact de nos efforts de développement, entravant ainsi l’émergence de notre pays qui alors n’arrêtent pas de faire du surplace, de piétiner, voire même, quelquefois, dans certain domaines, de reculer. Mais lorsque, de surcroit, les mauvais comportements, emportent aussi, et de façon aussi massif, des vies humaines, à l’instar du naufrage du bateau le Joola et ses 1863 morts ainsi que de toutes ces catastrophes de la route chaque fois plus meurtrières, il y a de quoi se tenir la tête et crier…
Il est vrai que l’insécurité routière, contrairement à d’autres fléaux, est l’une des préoccupations majeure, mondialement partagée par et entre tous les pays : 1,14 millions de décès, 20 à 50 millions de blessés par an, à travers le monde, nous apprend l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Au Sénégal, la recrudescence des accidents de la circulation, d’année en année, prend des proportions inquiétantes consécutives au mauvais état des véhicules, surtout de transport en commun, et aux mauvais comportements des usagers de la route : excès de vitesse, conduite en état d’épuisement ou d’ébriété, non maîtrise des techniques de conduite, non respect du code de la route, surcharges et autres débordements inacceptables de passagers ou de marchandises, indiscipline et négligence notoire des chauffeurs et des piétons, etc. Sans oublier l’état défectueux des routes (situation qui, il est vrai, est en train de s’améliorer), parfois leur étroitesse, dans certains endroits du pays.
Ainsi donc, en dix ans, début 2002 à fin 2011, au Sénégal, la route a coûté la vie à 3177 personnes, dont 1205 piétons. 49747 personnes sont sorties des accidents avec des blessures, dont 21274 avec des blessures graves, selon les statistiques de la Direction des Transports Terrestres. Pour l’année 2015, la route, au Sénégal, a fait 24231 victimes, dont 400 décès. Ce qui est énorme et inadmissible, surtout à mi-chemin de la décennie de la sécurité routière qui a démarré en début 2011. Le coût économique des accidents de la route représente plus de 1% du Produit Intérieur Brut (PIB), soit plus de 77 milliards de francs CFA par an, informe le Ministère des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement. Et Monsieur Mansour Elimane Kane, Secrétaire Général du dit ministère, d’apporter les précisions suivantes : « 43% des accidents de la route concernent le conflit entre la voiture et le piéton. 5% des causes d’accidents procèdent de l’état du véhicule. Plus de 2% sont dus à l’état de la route. 92% de ces accidents sont dus au facteur humain (comportements sur les routes, somnolence au volant, utilisation de substances psychotropes (drogue), défaut de maîtrise, indiscipline et manque de civisme…»
Mais on laisse faire ! Personne pour mettre le holà, semble-t-il !
Et, comme dans un monde à l’envers où l’on ne cherche guère à améliorer l’état des choses, on vole les boulons des rails et des glissières sur les autoroutes qui en disposent. On vole les regards des égouts et les revêtements des barrières des passerelles. On fraude dans la délivrance des pièces techniques et dans les contraventions. On sur-encombre les trottoirs, obligeants les piétons à marcher sur la chaussée. Par endroit, surtout à Dakar, on étale les marchandises à même la chaussée, où se faufilent piétons et pousse-pousse, ignorants allègrement les règles élémentaires de bonne conduite sur la route.
Et les « Cars-rapide » (cars de transports urbain, de 35 places) et les « Ndiaga-ndiaye » (cars de transports urbain ou interurbain de 45 places), à l’occasion de meetings politique, de combats de luttes et autres événements sportifs, n’hésitent pas à entasser militants et supporters jusque sur leurs porte-bagages. Et en période de « Magal » (événement religieux célébrant l’exil de Serigne Touba) et de « Gamou » (événement religieux célébrant la naissance du Prophète), malgré les appels des Chefs Religieux, les « Foo-tolou » (camions de transport de marchandise complètement couverts) et les « Dieumbeut » (camions de transport de marchandise à découverts) et autres véhicules bringuebalants impropres au transport en commun, peut être même impropres au transport tout court, dictent leurs lois sur toutes les routes du pays.
A Kaolack, plus que partout ailleurs au Sénégal, les Motos Jakarta, dont les conducteurs, pour la plupart, négligent le port de casque, règnent en maîtres absolus de la route où ils mutilent et tuent en cascade, surtout des jeunes gens à la fleur de l’âge.
Et les rues et avenues de plusieurs quartiers de l’intérieur du pays, et même de notre capitale, où divaguent très souvent des animaux domestiques, sont transformées en terrain de football, à certaines heures du jour, au grand dam des conducteurs, etc.
Alors, à cause de toutes ces pratiques hors normes devenues coutumières, les accidents de la route, chaque jour plus rocambolesques, sont la règle. Et chez nous, hélas ! peut être plus que nulle part ailleurs au monde, les routes et les machines roulantes, faites pour faciliter les contacts entre les hommes, faites pour leur servir de moyens de transport, sèment la désolation et le deuil dans les familles, n’épargnant ni les enfants ni les vieillards. Il est temps d’arrêter tout cela!… Et le Président de la République, son Excellence, Monsieur Macky Sall, a eu raison de déplorer « la recrudescence inadmissible des accidents de la route», et d’appeler à « faire de la sécurité routière, l’axe fondamental d’une politique dynamique des transports » ; c’était lors du Conseil des Ministres du mercredi 17 Février dernier, à l’occasion de laquelle il a invité le Gouvernement « à procéder à l’actualisation des plans de circulation de la capitale, à la réorganisation et à la modernisation de l’administration publique des transports et du secteur ; à veiller à un contrôle routier rigoureux, à l’effectivité des visites techniques, à une meilleure implantation des sites dédiés, et à la sensibilisation des professionnels et usagers de la route sur la sécurité routière. » Dispositions fort appréciables, assurément.
Mais, il est temps de prendre le taureau par les cornes…, et de le terrasser… Il est temps d’affronter le Monstre ! Ce ne sera pas facile, il est vrai. Il y aura des résistances, des protestations, des menaces et des attaques ; des lobbies seront levés,… Il y aura risques d’être encorné. Mais le combat mérite d’être mené, pour qui veut sauver son peuple.
Il est vraiment grand temps pour nous de nous remettre en cause et de comprendre enfin, comme l’écrit Monsieur Samba Nor Ndiaye, Chargé du projet sécurité routière de l’EMAD, financé par l’Union Européenne, via le Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, « que les morts et autres victimes de la route sont le fait de l’impact global de nos mauvais comportements individuel et non une fatalité » ; et de travailler à replacer les choses à l’endroit en « faisant de la sécurité routière l’affaire de tous et pas seulement des services techniques de l’Etat et des forces de l’ordre, car, en vérité, tous les citoyens doivent en être des coproducteurs par leur comportement de tous les jours et leur coopération», écrit-il, par ailleurs.
Et le Docteur Mor Adj de la Fédération Sénégalaise des Sociétés d’Assurance, d’ajouter : « Il est donc primordial de favoriser la cohabitation entre les différents usagers de la route afin que la place publique ne soit plus un lieu de compétition, mais un lieu d’harmonie ». Et de conclure avec justesse : « Seule la prise conscience des uns et des autres peut diminuer les accidents ».
Alors, vivement que la prévention routière portent les fruits escomptés en nous assurant une bonne sécurité routière !
ABDOU KHADRE GAYE
Ecrivain, Président de l’EMAD
emadassociation1@gmail.com