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Bara Diouf : La Touche D’or Que La Presse Doit Être

Bara Diouf : La Touche D’or Que La Presse Doit Être

Je rapportais dans mon livre consacré à Senghor, le repas auquel le président de la République de l’époque, avait convié le mythique ministre Jean Collin et Bara Diouf, tous deux devenus membres de sa famille pour avoir pris femmes dans sa tribu. Le Président cherchait un Premier ministre et consultait. A la réponse gourmande de son mythique ministre, Sédar s’était tourné vers Bara qui dirigeait alors le quotidien « Le Soleil », pour recueillir aussi ses conseils. Ce dernier avait simplement dit : « Monsieur le Président, votre choix sera le mien ». On connaît la suite.

Rappelons également la visite que Bara Diouf est allé rendre sans tarder à Senghor pour lui dire que le grand Cheikh Anta Diop devait se rendre en Egypte, mais non sans peine, car il voulait être accompagné par la presse. Bara Diouf nous raconte cette anecdote le 29 décembre 2006, à l’hôtel Novotel. Le Président lui avait alors remis une somme d’argent, fort modeste à l’époque mais opérationnelle, afin que le voyage du savant se passât sans encombre. Et il avait ajouté ceci : « Vous couvrirez donc son voyage en le faisant accompagner. Je ne veux aucune trace de mon intervention, donc que l’on en parle pas à notre ambassadeur. Que tout soit discret. Vois-tu, je ne laisserais jamais seul Cheikh Anta Diop sur les bords du Nil »

On aime ou on n’aime pas Senghor, pour l’homme politique au pouvoir qu’il a été face à des oppositions, des haines et des ambitions de toutes sortes, homme d’État intransigeant, rigoureux, intraitable quand il s’agit de la République. Cheikh Anta Diop, on l’aime tout court. L’invincible savant a masqué l’homme politique aux ambitions légitimes. Il ne peut être que plus lisse. Les deux hommes s’appréciaient fortement et c’est cela l’essentiel.

La mort de Bara Diouf me bouleverse. Ce fut un esprit brillant, d’une élégance et d’une finesse caractéristiques de cette génération d’hommes et de femmes des années 70. Il a balisé les voies dorées du journalisme, de la presse écrite précisément. Bara Diouf était de l’or. Rares sont les journalistes d’aujourd’hui qui taquinent à peine ce métal. L’étain prédomine et il faut encore aller le chercher. Sa disparition devrait être un moment fort d’introspection pour les gens du métier. Dieu sait combien nous eûmes voulu être respectueux et admiratifs devant ceux qui exercent ce métier qui sait être noble, jusqu’au sacrifice de soi. Des journalistes sont morts pour leur plume. Ne l’oublions jamais. Mais la réalité du terrain, les enjeux, les preuves, sont accablants. Certes une presse enfermée dans la famine pourrait avoir des circonstances atténuantes. Mais le débat n’est ni dans la famine encore moins dans les circonstances atténuantes, il est sur la qualité et la dignité de ceux qui ont choisi d’exercer ce beau métier. Quel que soit le repas : orteils de chien errant sans moutarde ou rats grillés sans sel, jusqu’au bout et quelle que soit les conditions de travail, par respect et par dignité, il devrait être possible de bâtir une presse même dans la pauvreté et le manque. On peut crever de faim et vivre dans l’inconfort -ce que nous ne considérons pas comme juste- mais on ne peut pas faire de sa plume une quincaillerie. Il reste que nous en sommes arrivés, au regard du désastre, à la douloureuse vérité de Balzac : « Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’inventer ». Nombre de Sénégalais en seraient arrivés à ce jugement extrême, même si, pour ma part, elle nous reste indispensable comme bras armé contre les dictatures, la défense de la démocratie et des droits citoyens. Si la presse nous pourrit et la vie et l’esprit, c’est de la faute de ceux qui l’exercent non en servant l’éthique et l’excellence, mais en servant la politique politicienne au gré de leur intérêts. Une plume au service du plus offrant est une posture meurtrière. Des journalistes thermiques, Dieu nous en garde. Il est temps de fuir la fosse commune. La presse est un regard sur soi. Un acte de foi pour ceux qui en sont les ouvriers. Elle reste un métier qui doit être vécu et non porté comme un fardeau. On engage son honneur. On engage même sa vie. Le journalisme est une identité, une culture, un engagement, un sacerdoce, un choix de vie. Quand on sert la presse, son métier, avec dignité, c’est avec soi-même que l’on fait la paix. Accepter, choisir d’être journaliste c’est l’entêtement de servir la vérité et non celle des autres. On représente quelque chose de plus grand que soi-même.

La disparition d’un grand monument comme Bara Diouf nous offre l’occasion de ce cri du cœur que nombre de Sénégalais ont poussé avant moi.

Bara Diouf avait un toucher de mots unique. Il avait du cœur. Il avait un style. Il avait du talent. Il servait un quotidien et une ligne éditoriale bien définie et sans conteste. Mais il servait magistralement « sa » vérité et même si on ne la partageait pas une seule fois, on restait admiratif et respectueux d’une haute plume. D’un mot, il était devenu une icône. Nous demandons aux jeunes générations de journalistes qui ne l’ont pas connu encore moins lu, de faire un détour aux archives du quotidien « Le Soleil » pour découvrir les merveilles d’un trésor devenu patrimoine. Puisse d’ailleurs, « Le Soleil » commencer un jour prochain à publier ses éditoriaux, afin de nous faire revivre les grandes pages d’histoire de notre si cher pays.

Aujourd’hui que l’on dit que les médias ne sont pas le reflet de ceux qui les font, mais de ceux qui les regardent ou les lisent, on mesure combien notre société marche vers l’impasse dans des crispations douloureuses où le triomphe de l’esprit est loin, bien loin, alors que là est le salut, là est le refus du suicide.

Avec la disparition de Bara Diouf, nous affirmons notre fierté de faire partie d’un pays qui a vu naître de telles figures et le respect que nous portons à une presse possible, applaudie, sans « obscures espérances », une presse aux missions élevées, riche de millions de mètres cubes d’or et de fleurs. Bâtir une presse avec des femmes et des hommes qui la conduisent et la servent, ne dépend ni de Dieu ni de l’argent, mais du savoir-faire et du savoir-être, de la grâce, de la foi et du sacrifice qu’impose la mission. Nous rêvons d’une presse d’idées et non d’une presse marchande à deux sous de ragots, de fables, de faits divers, d’effets d’annonces politiques ronflants, spectaculaires et creux. Certes faut vendre pour vivre, mais pas à tous prix. La presse s’est démythifiée parce qu’elle a abandonné la qualité, la profondeur de l’analyse et du traitement de l’information. Elle a ainsi perdu le lien avec l’esprit, c’est à dire la force de la pensée et la rigueur de l’analyse. Il y faut un réajustement des valeurs et de l’excellence du travail servi. Il est une paresse et une médiocrité durables et radioactives qui semblent avoir irradié jusqu’aux meilleurs. La presse est une femme trop belle et trop précieuse pour être couverte de boue et de suie.

Puisse l’exemple de Bara Diouf guider notre presse au meilleur. Nous avons besoin d’elle. Nous mesurons l’apport immense et irremplaçable d’une presse au service de la démocratie, de la justice. Si nous devons vaincre la pauvreté et l’injustice, nous les vaincrons avec la presse, sinon nous échouerons.

Il est midi et un bel homme, une belle plume, un savoureux esprit, nous quitte pour aller vivre avec Dieu la meilleure des vies. C’est notre prière pour Bara. Je l’aimais parce qu’il était difficile de ne pas aimer Bara Diouf, c’est à dire aimer ce que l’intelligence, le talent, le courage et l’engagement pouvaient offrir de meilleur au service d’une mission et d’un pays.

Comme la mort sait nous punir en nous privant d’un visage, d’une parole.

 

Amadou Lamine Sall

Poète

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