La fête de l’Aid El Kebir, communément appelée Tabaski (fête du mouton ou du sacrifice), célébrée le dixième jour du mois lunaire, est et demeure une manifestation religieuse et sociale très importante dans la société sénégalaise. En souvenir du sacrifice d’Abraham qui s’apprêtait à sacrifier son enfant, cette fête commémore le sacrifice du fils de ce dernier sur ordre de Dieu, lorsque celui-ci, à l’ultime minute, lui envoie un mouton pour prendre la place de son enfant. En souvenir, chaque famille sacrifie son mouton, parfois un autre animal (une chèvre ou un poulet par exemple). L’animal est consommé lors d’un grand repas de famille réunissant tous les membres de la famille, venant parfois d’horizons divers ou de différents continents.
A travers les ans, la Tabaski est en train d’être dénaturée et est devenue par la force des choses la célébration la plus redoutée dans notre pays. La Tabaski affole, déstabilise et jette un énorme stress dans de nombreux ménages en proie aux innombrables besoins, allant de pair avec cette célébration. En effet, cette fête, perçue comme un moment de partage, de solidarité et de communion dans les familles sénégalaises, est en train de devenir petit à petit le cauchemar des pères de famille «Gorgorlou» et la hantise des nantis, obligés quelquefois de se terrer dans des endroits inaccessibles afin de ne pas répondre aux nombreuses sollicitations fusant de toutes parts. Personne n’échappe à cette fièvre de la fête qui touche tous les citoyens devenus les otages d’un système qui crée de faux besoins (gros béliers de plus de trois cent mille francs, boubous «Getzner» dernier cri ou «Bakha») payés à des centaines de milles etc.
De plus, cette fête augmente la pression sociale dans les entreprises et dans le monde du travail en général qui, depuis un certain nombre d’années, ne cesse de faire face à de nombreux mouvements d’humeur, consécutifs soit à des avances non payées, à des retards de salaires ou encore à des primes non encore encaissées. Les pressions venant de toutes parts, les travailleurs sont en quête de gains et avoirs pouvant leur permettre de faire face aux nombreuses dépenses de la fête qui font que tous les moyens sont bons pour augmenter son capital.
Mais qu’est-ce qui fait donc courir les Sénégalais à la veille de la Tabaski ?
Dans notre contexte actuel, les chefs de famille (hommes ou femmes) sont victimes des revendeurs de moutons, plus connus sous le nom de «Téfanké», qui spéculent à volonté sur les prix du mouton, les transporteurs qui multiplient les prix du transport, les tailleurs qui prennent les tissus des clients et peinent à livrer le travail à temps échu (les enfants voulant renouveler leur garde-robe à tout prix afin de ne pas «redoubler») etc. Tous ces ingrédients font que beaucoup de ménages sont sujets à des tensions pouvant faire éclater le couple eu égard aux nombreuses dépenses qui peinent à être satisfaites dans un contexte social et financier faisant que la cherté de la vie ne permet plus de faire les fastes d’antan ou si ce n’est que ces fastes sont devenus trop onéreux ou tout simplement impossibles à satisfaire.
Par ailleurs, dans la circulation, les esprits sont surchauffés et les nombreux transporteurs en commun rivalisent d’ardeur pour augmenter les gains afin de se payer un beau bélier, ou pour tout simplement pouvoir rentrer dans son patelin natal avec les poches pleines. Toutes les rues de la capitale sont assaillies par les vendeurs qui s’installent sur les trottoirs ou à défaut, au beau milieu de la chaussée. Les vendeurs à la sauvette prennent d’assaut les artères de la capitale avec des couteaux, haches ou autres objets tranchants susceptibles de trancher la gorge en un éclair. Dans la vie de tous les jours, les téléphones portables sont devenus des objets présentant de potentiels dangers à cause des appels au secours pour des enveloppes afin de se payer un mouton ou des habits tout neufs, pour ne pas être des exclus de la fête. De ce fait, les appels téléphoniques sont filtrés au maximum.
Dans de nombreux bureaux, les pères de famille ont perdu le sommeil à cause de la cherté du mouton qui, d’année en année, voit son prix se multiplier.
Est-ce vraiment soutenable cette célébration qui jadis était attendue avec impatience pour être célébrée dans la ferveur, et qui aujourd’hui augmente la pression des pères de famille, devenus hostiles à cette merveilleuse fête.
La Tabaski est devenue un casse-tête pour les familles de fidèles désirant contenter leur famille, mais à quel prix… La grande question aujourd’hui consiste à voir comment repenser la fête, régler le problème d’approvisionnement en moutons dans un pays dépendant en partie du cheptel venant de nos voisins maliens ou mauritaniens, et trouver des solutions aux déchets post Tabaski jonchant toutes les rues de la capitale. Comment arriver de nos jours à se doter en nombre suffisant en moutons et à des prix raisonnables ? A défaut, serait-il possible d’envisager une solution pouvant aller jusqu’à égorger un mouton par famille si nous savons que dans de nombreuses maisons, pas moins de trois moutons sont requis pour la Tabaski ? Est-ce que le gouvernement, de concert avec les chefs religieux et coutumiers, ne devrait pas revoir ou repenser cette merveilleuse fête en voie de devenir un cauchemar pour les citoyens sénégalais ? Est-il raisonnable de continuer à sacrifier à cette tradition à des coûts qui ne cessent de grever le budget des pauvres pères de famille devant également faire face à la rentrée des classes avec tout son lot de dépenses ? That’s the question …
Dr Mawa SAMB
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