Non loin du « lion qui dort », se tient solidement le Premier ministre, Mohamed Boune Abdallah Dionne, dans la posture de la panthère qui piaffe . But visiblement recherché à travers la vigoureuse conférence de presse du 20 septembre : endiguer la curiosité civique des Sénégalais et des Sénégalaises soucieux de vigilance autour du pétrole en voie de jaillissement dans les eaux territoriales.
A ses concitoyens et concitoyennes, le chef du gouvernement a dit, sans ambages ni fioritures, que le pétrole (richesse nationale et non familiale) est un sujet tabou, exclusivement réservé aux experts et aux gouvernants. Donc totalement exclu du débat public. Même les libertés constitutionnalisées et démocratiques ne décloisonnent pas le sujet. Mieux, le pétrole du Sénégal n’est ni gardé par la Marine nationale ni regardé par le Fisc, mais il est surveillé par – tenez-vous bien ! – le Code pénal. Faut-il en mourir de rire ou de peur ? Le Premier ministre est-il un farceur, un travailleur ou un cogneur ? S’il est interdit de battre les buissons, comment peut-on lever les lièvres, autrement dit dévoiler les scandales ?
Dans une équipe gouvernementale qui compte deux personnalités en charge de la Communication et renferme des journalistes indiscutablement valeureux, on est normalement et suffisamment outillé pour relever les défis dérivés de tous les volets du débat politique et économique, sans y inviter le Procureur et le gendarme. Prière de ne pas dévoyer les vocations originelles et perpétuelles de certaines institutions ! A court terme, ça paie pour les uns mais à long terme, ça dessert tout le pays. Les hommes de loi ont loi mais les hommes politiques de tous bords s’adossent à la légitimité – conférée par la démocratie et consacrée par la Constitution – qui les autorise à parler des problèmes de la nation. Sous tous les angles. Toute collision volontairement recherchée entre la légalité et la légitimité serait absolument aberrante et létale pour notre système politique enviable et envié.
Sous les magistères successifs des Présidents Senghor et Diouf, le Sénégal a forgé une admirable tradition des débats politiques jamais arbitrés par le Code pénal. Le club « Nation et Développement » rassemblait des gens policés et non des policiers. Quant aux polémiques vives et incisives – sur fond d’allégations, d’accusations, de soupçons et d’excès – elles furent l’apanage des plumes partisanes de choc situées de part et d’autre de la ligne de démarcation politique. A ces occasions-là, les talents avérés de la gauche et de l’opposition d’alors (Samba Diouldé Thiam, Matar Diouf, Jean-Pierre Ndiaye, Sembène Ousmane etc.) croisaient âprement et savamment le fer avec les valeurs sûres du « senghorime » et de la majorité (Abdou Salam Kane, Moktar Kébé alias Moké, Kader Fall, Djibo Ka et autre Max Magamou Mbaye) sans épée de Damoclès judiciaire au-dessus des têtes.
En attendant que le pétrole jaillisse abondamment et se mesure en innombrables barils, une question jaillit d’ores et déjà : pourquoi le chef du gouvernement a sacrifié un après-midi de travail, pour – non pas discuter avec la presse – mais discourir sur le pétrole face aux médias ? A tort ou à raison, le sentiment général est que Mohamed Boune Abdallah Dionne a défendu avec vigueur un absent-présent sur les lieux, du nom d’Alioune Sall. Ce qui met en relief le côté kafkaïen de la démarche quand on sait que le maire de Guédiawaye n’est ni Ministre ni Secrétaire d’Etat, pour bénéficier conséquemment de la solidarité gouvernementale. A la limite les élus locaux et leurs associations peuvent lui servir de boucliers. Il s’y ajoute que le sieur Alioune Sall est un journaliste nanti d’une expérience diplomatique, c’est-à-dire un homme qui ne manque ni de talent ni de bagout pour se défendre contre des accusateurs éventuellement incapables de fournir des preuves.
Perspective d’autant plus envisageable que le maire – à la différence d’un membre du gouvernement – n’a pas besoin de l’autorisation du Président de la république pour se présenter devant les tribunaux ou pour y attraire quelqu’un. Peut-être, trouve-t-on le paratonnerre commode du Premier ministre, de loin préférable à un procès aléatoire ? Quoiqu’il en soit, la parade est redoutable et ridicule. Ainsi, les Sénégalais peuvent débattre de l’agriculture, du Franc CFA, du tuyau de Keur Momar Sarr et des oléagineux mais point de mots sur le pétrole de tous les espoirs autorisés et… de tous les scandales supposés, réels ou étouffés. Les motivations du Premier ministre doivent être urgentes, sérieuses et mystérieuses pour qu’il envisage (option sinistre et surréaliste) de jeter des opposants farouches et des journalistes indépendants dans des prisons qui, aujourd’hui, explosent de sureffectifs et de sous-alimentation.
Décidément, le pétrole est un produit très flambant et assez sournois. Là, il brûle un pays par la guerre civile sans fin (tragédie angolaise). Sous des cieux plus éloignés, le pétrole assure le développement voire strictement l’équipement mais freine la démocratie (les pétromonarchies du Golfe). Dans certaines régions d’Afrique, il est paradoxalement un fossoyeur du progrès social. C’est le cas du Gabon qui est, à la fois, une éponge pétrolière et un creuset de la pauvreté. Au Nigeria, le pétrole est un vecteur d’insécurité et de déstabilisation, tant au Nord qu’au Sud. Au vu de ce tableau extérieur et au regard de la colère homérique du gouvernement de Macky Sall sur le dossier pétrolier, les Sénégalais préfèrent sûrement vivre de leurs cacahuètes dans la paix plutôt que d’exploiter leurs gisements ou leurs puits de pétrole dans une tourmente nationale qui ensevelit et la démocratie politique et la quiétude sociale.
Babacar Justin Ndiaye