Quand j’étais petit, je me posais beaucoup de questions sur les emblèmes du Sénégal. Je voyais dans certains bureaux le lion, dans d’autres le baobab. J’étais curieux de savoir leur signification. L’omniprésence de la représentation du lion sur les murs, les couvertures de cahiers, les contes populaires… me turlupinait. Même dans les chants de nos artistes, il arrivait qu’on y fît l’éloge de cet animal. Gaïndé, Gaïndé de la célèbre cantatrice sérère Yandé Codou résonnait et résonne encore dans nos oreilles. Aussi, dans notre hymne national, la fameuse bête sauvage est bien servie. On lui rend hommage à travers ces vers : « Le lion rouge a rugi, le dompteur de la brousse ». Alors, comme tout enfant épris de connaissance, une interrogation me taraudait en permanence l’esprit : pourquoi sommes-nous considérés comme et/ou appelés des lions?
Cette énigme a marqué toute mon enfance. Les réponses que j’obtenais de mes amis ne me satisfaisaient point. Et, quand je me dirigeais vers les adultes, il m’était impossible d’en trouver un qui pouvait assouvir ma soif de connaissance. Je les trouvais tous aussi ignorants les uns que les autres.
Adolescent je continuais ma petite enquête. J’obtins de certains que la raison fondamentale de cette appellation était qu’on voulait pousser les sénégalais à avoir le caractère et l’attitude du lion face aux épreuves de la vie. Cette réponse, bien que peu convaincante, avait le mérite d’attiser ma curiosité et de m’obliger à reposer la question sous un autre angle. Une bête fauve peut-elle être inspirante au point d’influencer le comportement des humains? Je commençais alors à m’intéresser aux livres et films documentaires parlant du lion. Au bout de quelques nuits d’investigations, et en observant de plus près le félin, je trouvais des arguments qui semblaient donner une certaine logique à leurs propos.
Pour la première fois, je découvris les belles qualités du lion. Il est puissant, il est beau et il domine toute la jungle. Il forge le respect par sa hardiesse et sa prestance. Sur ce plan, il est indéniable qu’il serait un bon modèle à imiter, car une telle attitude insufflée à une population, lui serait très bénéfique.
Mais, dans mon esprit, quelque chose ne tournait toujours pas rond dans cette comparaison. Le jeune garçon que j’étais se dit « Si nous étions comme des lions, nous devrions briller parmi nos semblables et dominer dans toutes les compétitions internationales ». Or, tel n’était pas le cas. Constatant qu’on ne gagnait que rarement, je conclus que : Soit on était des chats se faisant passer pour des lions, soit on avait hérité partiellement de l’attitude du lion. Dans tous les cas, le petit adolescent comprit qu’il n’avait toujours pas trouvé la bonne explication.
Adulte, je continuais mon investigation. Je tombai alors sur un autre documentaire qui me révéla des faits surprenants sur les lions. Cette fois l’émission s’intéressait à leur vie en communauté. C’est là que j’appris que le lion n’avait pas que des qualités. Dans sa bande, le mâle dominant est impitoyable. Il sème la terreur ne laissant aucune chance aux autres, surtout aux jeunes males qu’il considère comme ses futurs concurrents. Il tue même les petits de la femelle qu’il va conquérir s’il lui arrive de faire tomber un autre mal dominant. Bref, il a tous les droits et les autres ont le seul devoir de se plier à sa volonté. Quand une proie est attrapée, il s’empare de la plus belle part, car il est le premier à se servir. Après avoir mangé à satiété, il se retire pour une petite sieste que nul ne doit perturber. Il règne en vrai égoïste, ne partage qu’avec son entourage immédiat composé de petits lionceaux et de femelles.
Étrangement, ce pan de la vie du lion me rappela le comportement de nos dirigeants. Je me suis dit : Enfin une explication plausible, mais qui s’applique uniquement à une certaine élite. Et quand le président Macky Sall, lors du meeting d’inauguration de l’échangeur de l’émergence, s’adressant à la foule dit : « On ne réveille pas un lion qui dort au risque d’être brutalisé », cela m’a conforté dans ma conclusion. Ainsi mes interrogations se sont aussitôt dissipées. Je me suis dit : Enfin, j’ai trouvé. Le seul lion du pays c’est celui qui le dirige. Non seulement, il l’a reconnu mais, force est de constater qu’il est toujours le mieux servi.
Il nomme aux emplois civils.
Il est le Chef Suprême des armées ; il nomme à tous les emplois militaires et dispose de la force armée.
Il dispose d’une caisse noire alimentée de plusieurs milliards de nos francs.
Il bénéficie de soins de santé garantis et sophistiqués obtenus dans les meilleurs hôpitaux à l’étranger.
L’éducation de ses enfants se fait dans les grandes écoles à l’étranger.
Il commande toutes les institutions,
- Le Président de la république, c’est lui-même.
- L’Assemblée nationale : Il désigne le président.
- Le Gouvernement : Il nomme le premier ministre.
- Le Conseil constitutionnel : Il nomme les cinq sages.
- Les Cours et tribunaux : Il dirige le conseil supérieur de la magistrature.
Il peut radier à sa guise tout fonctionnaire opposant (Ousmane Sonko, Nafi Ngom Keïta).
Il protège sa bande contre la justice : Ses partisans ne sont jamais coupables.
Il entrave les libertés politiques de ses adversaires (garanties par la constitution) : Liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de manifestation pacifique. Il dit qu’il veut réduire l’opposition à sa plus simple expression.
Il est indifférent à la souffrance des populations qu’il dirige. Rien ne lui empêche pas de dormir sur ses deux oreilles.
Il distribue l’argent du contribuable pour entretenir une clientèle politique sans avoir de compte à rendre.
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Mais, le chef doit faire attention à la révolution spontanée qui est souvent dévastatrice. Ce qui est valable chez les lions ne l’est pas souvent chez les humains. Un peuple poussé à bout réagit violemment. Les jeunes confinés dans la précarité, le manque d’éducation, le chômage constituent une bombe en latence. Et quand le feu éclate, les grands ont souvent plus de choses à perdre.
Même dans le cas des vrais lions, le mâle dominant finit souvent mal.
Babacar Ba
Auteur du roman Leurres et lueurs de l’Émigration
Email : babacar_ba@yahoo.fr