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Polémique Sur Les Contrats Pétroliers : «un Débat Volontairement Pollué»

Polémique Sur Les Contrats Pétroliers : «un Débat Volontairement Pollué»

Face à certains sujets agités dans l’opinion par certains acteurs de la vie politique nationale, il m’arrive de me demander à quoi servent réellement certaines joutes oratoires proposées par une bonne part des protagonistes engagés dans le débat public. Je m’interroge sur certaines motivations et me demande si c’est pour l’intérêt d’un débat contradictoire et utile à la démocratie que l’on prend part aux échanges. La volonté de prendre à défaut un adversaire politique, le désir ardent de le confondre peuvent-ils justifier l’emploi de certains procédés parfois déloyaux et malveillants par moments : un déni manifeste de la réalité et la construction de faits ne reposant sur aucun élément objectif ou tangible, autre qu’une vue lointaine, autrement altérée de l’esprit ?

C’est vrai que notre pays en la matière ne fait pas une exception à part qui en ferait la risée des nations démocratiques. Dans un pays servant de référence pour son modèle démocratique, en l’occurrence la France, Ramsès Keffi, éditorialiste réputé du journal Libération, s’indigne d’une «clochardisation du débat public qui, trop souvent, a des allures de discussions d’ivrognes…» Nous ne pouvons pas reprendre à notre compte ces mots de Keffi pour caractériser ce qui se déroule sous nos yeux au Sénégal, tant la caricature paraîtrait grossière et outrancière. Nous pouvons cependant nous interroger légitimement sur la nature et la consistance de la contradiction emportant le débat public dans notre pays. Je n’ai pu résister à la tentation de questionner la contradiction qui irrigue encore les propos des contempteurs du gouvernement, après le repositionnement juste et opportun que le Premier ministre a opéré au sujet des contrats pétroliers signés par notre pays. Il est utile de rappeler que ce repositionnement est heureux, car la déclaration du Premier ministre a, en effet, le grand mérite de poser les termes corrects du débat, tout en apportant les clarifications indispensables qui ont fini d’édifier l’opinion de façon précise sur les tenants et aboutissants de ces conventions.

Contrats pétroliers : Un débat volontairement pollué


Dans le flot d’arguments déployés par des contradicteurs apparemment soucieux de vérité, je retiendrai ceux de l’avocat Assane Dioma Ndiaye, l’une des figures de proue de la Société civile sénégalaise, qui veut placer, apparemment du moins, son propos  sur le terrain de «l’objectivité» et du souci de clarté, et encore… Interrogé par le quotidien Le Soleil, après la publication par le gouvernement de l’ensemble des contrats pétroliers, il déclare : «Le Premier ministre a donné des garanties de publication des contrats pétroliers et en a été exécuté. Il a respecté sa parole. Je pense qu’il y a deux aspects : il y a d’abord l’exigence de publication du contrat qui a été satisfaite (…) il y a des interpellations (…) le caractère imposable des transactions.» Précisant ses préoccupations, l’avocat poursuit : «En tout cas, nous Société civile, c’est sur ce dernier point qu’on n’a pas été servi parce que, d’après le ministre des Finances, les recherches et les explorations sont dispensées d’impôts, sont exonérées.»

Première précision à apporter aux propos de Me Ndiaye : les recherches dans l’industrie pétrolière et les explorations se confondent. Les deux concepts renvoient à la même réalité pratique. La deuxième précision, c’est lui dire que ce n’est pas le ministre des Finances qui dit, c’est plutôt la loi qui en dispose et le ministre ne fait que rappeler à bon escient les dispositions légales inscrites dans le droit positif sénégalais. Le ministre des Finances est obligé de les respecter, sous peine d’enfreindre des engagements irrévocables de l’Etat. Faut-il le rappeler, le combat de Me Assane Dioma Ndiaye a toujours été de faire respecter par l’Etat, en toute circonstance, ses obligations légales à l’égard de tous les sujets de droit, y compris les sujets de droit bénéficiant des contrats pétroliers, objet du débat.

Me Ndiaye, votre qualité de militant très engagé de la Société civile vous confère à la foi des libertés et des obligations. La lutte que vous menez comporte deux aspects qui sont consubstantiels à votre action. Il s’agit d’une part de votre liberté de critique, et d’autre part de votre devoir d’éduquer et d’informer le citoyen pour lui permettre de jouir pleinement et dans les meilleures conditions de son statut de sujet de droit. Vous êtes un sachant, vous connaissez parfaitement la règle de droit. Expliquez donc aux Sénégalais que c’est la loi qui a décidé que toutes les opérations conduites durant les deux phases de recherche et de développement, étapes préalables à l’exploitation du gaz et du pétrole sénégalais, sont exonérées d’impôts et de toutes autres taxes fiscales et parafiscales. Si la vocation d’éducation avait été parfaitement assumée, vous auriez sans peine expliqué à l’opinion que le gouvernement a simplement respecté ses engagements en vertu du principe sacro-saint de la continuité de l’Etat, en approuvant par arrêté n°12328 du 4 août 2014 du ministre de l’Energie, la cession totale à Timis Corporation des droits détenus par Petro Tim Limited résultant des contrats de recherche et de partage de production ainsi que les accords d’association relatifs aux blocs Cayar offshore profond et Saint-Louis offshore. Le 4 septembre 2014, la même autorité a approuvé la cession des droits détenus par Timis Corporation à Kosmos Energy. Il faut préciser que cette cession avait été décidée avant l’arrivée au pouvoir de l’actuel régime. La question posée est de savoir si des impôts sont dus sur ces différentes cessions à l’aune des dispositions fiscales en vigueur au Sénégal ? En l’espèce, ce sont les dispositions fiscales contenues dans la loi 98-05 du 8 janvier 1998 portant Code pétrolier qui sont seules susceptibles d’être convoquées ; les permis qui concernent les cessions opérées ayant été octroyés avant l’abrogation desdites dispositions par la loi 2012-32 du 31 décembre 2012, modifiant diverses dispositions législatives relatives aux régimes fiscaux particuliers, une question donc de l’application de la loi dans le temps, qui reçoit ainsi une réponse normale et universelle.

Me Ndiaye, il suffit de consulter les textes pour dire aux Sénégalais qu’en ce qui concerne les phases de recherche et de développement, la loi 98-05 du 8 janvier 1998, portant Code pétrolier précise clairement en son article 48 que : «Les titulaires de convention ou de contrat de services ainsi que les entreprises qui leur sont associées dans le cadre des protocoles ou accords visés à l’article 8, alinéa 4, sont exonérés pendant les phases de recherche et de développement de tous impôts, taxes et droits au profit de l’Etat.» De manière générale, l’exonération pendant la phase de recherche se justifie notamment par le niveau élevé des investissements pendant la prospection alors qu’aucune garantie de découverte n’est assurée. A défaut d’avoir fait cette consultation avant la déclaration du ministre des Finances, ayez au moins le souci de vérifier ce qu’il a dit pour apaiser les inquiétudes légitimes des Sénégalais que vous avez davantage aiguisées par la critique constructive. Nos concitoyens auraient été davantage rassurés si vous, le sachant, avez été vigilant en leur expliquant qu’aux termes des dispositions de l’article 48 précité, il s’agit d’une exonération totale d’impôts ; le terme «notamment» cité dans l’article n’ayant pour but que de préciser certaines exonérations et n’a, en l’espèce, aucune vocation à limiter la portée de celles-ci. De même, au regard de cet article, en plus du titulaire de la convention, la loi vise de manière expresse «les entreprises qui leur sont associées dans le cadre des protocoles ou accords visés à l’article 8, alinéa 4», s’il s’avère que ces opérations sont effectuées dans le cadre des phases de recherche et de développement. A cet égard, les dispositions de l’article 8, alinéa 4, précisent que : «Sont soumis à approbation préalable, conformément aux dispositions de l’article 56, tous protocoles ou accords par lesquels le titulaire d’un titre minier d’hydrocarbures ou d’un contrat de services promet de confier, céder ou transférer, partiellement ou totalement, les droits et obligations résultant dudit titre ou contrat.»

Aussi, l’article 56 du Code pétrolier dispose que : «Les titres miniers d’hydrocarbures, les conventions ou les contrats de services sont cessibles et transmissibles, sous réserve d’autorisation préalable, à des personnes possédant les capacités techniques et financières pour mener à bien les opérations pétrolières. Les demandes de cession et de transfert, sauf si ces opérations s’effectuent entre sociétés affiliées, doivent être adressées au ministre pour approbation. Cette approbation sera réputée acquise si le ministre n’a pas notifié son refus motivé dans les soixante jours suivant la réception de la demande.» La question posée s’agissant des cessions effectuées est alors de savoir si les sociétés Petro Tim Limited, Timis Corporation et Kosmos Energy à qui ont été cédés les droits relatifs au contrat de partage peuvent bénéficier des dispositions de l’article 48 du Code pétrolier. A ce titre, les cessions des titres miniers relatifs aux blocs Cayar offshore profond et Saint-Louis offshore effectuées entre Petro Tim Limited, Timis Corporation et Kosmos Energy ont été toutes approuvées par le ministère de l’Energie, conformément à l’article 56 du Code pétrolier. Ces cessions rentrent donc bien sous l’empire des situations juridiques prévues par l’article 8, alinéa 4 du Code pétrolier. De surcroît, elles ont été toutes effectuées pendant les phases de recherche et de développement. Sous ce rapport, conformément aux dispositions de l’article 48 dudit code, aucun droit aux impôts au profit de l’Etat ne peut être réclamé à ces sociétés sauf à violer les dispositions de stabilité fiscale bien positionnées dans les conventions et qui indiquent qu’«il ne pourra être fait application au contractant aucune disposition ayant pour effet directement ou par voie de conséquence de remettre en cause les droits économiques résultant du contrat et d’aggraver les charges et obligations découlant pour lui des régimes visés au chapitre 7 du Code pétrolier, tels que ces régimes sont définis par la législation et la réglementation en vigueur à la date de la signature du présent contrat sans accord préalable des parties».

Me Ndiaye, en poursuivant le débat avec vous, je ne peux m’empêcher de rappeler que le rôle de contre-pouvoir qui est celui de la Société civile est une nécessité pour tout dirigeant qui considère que la critique plutôt d’offenser compense ses manques et ses faiblesses. Ce rôle est davantage plus utile quand il est exercé avec une distance objective. Cette dernière dont il est question postule la conduite d’un processus qui met en valeur tous les points de vue qui concourent à rendre les termes d’un débat lisibles et utiles à la contradiction porteuse de progrès.

La position défendue par le ministre des Finances est légalement confortée par l’article 722 de la loi n° 2012-31 du 31/12/2012 portant Code général des Impôts qui précise que «les personnes admises, soit au bénéfice du Code des investissements, soit au bénéfice des lois relatives aux entreprises franches d’exportation ou aux entreprises agréées à la zone franche industrielle de Dakar ou des lois portant Codes minier et pétrolier restent soumises, pour la durée et la validité de leur agrément, au régime fiscal qui leur a été consenti selon les textes en vigueur, à la date dudit agrément».

Me Ndiaye, il est utile de rappeler que c’est sous l’impulsion du Président Macky Sall que le Sénégal a adopté en décembre 2012 une vaste réforme fiscale qui a, entre autres innovations majeures, conduit à revoir profondément le régime des exonérations en vigueur. C’est ainsi qu’à la faveur de la loi 2012-32 du 31/12/2012, toutes les dispositions fiscales contenues dans la loi 98-05 du 8 janvier 1998, portant Code pétrolier ont été abrogées et certaines d’entre elles rapatriées dans le Code général des impôts (Cgi) qui constitue aujourd’hui leur seul réceptacle. Cette nouvelle législation entre dans le cadre d’une politique tendant à asseoir une gouvernance plus efficace et plus transparente dans, entre autres, le domaine qui nous occupe. Vous ne pouvez pas l’ignorer, pourquoi vous semblez dubitatif quand le ministre des Finances ne fait que répéter ce que la loi dit ? C’est cela qui constitue le problème et explique en partie la faiblesse affligeante de ce débat.

Dites aux Sénégalais qui se montrent dubitatifs comme vous que dans les secteurs pétrolier et minier, les exonérations ont été fortement rationnalisées et ne concernent dorénavant, pour les phases recherche et développement, que les opérations strictement pétrolières ou minières. Désormais, les mutations de propriété ou de jouissance de titres miniers, lesquels s’entendent de tous droits d’exploration, d’exploitation et autres autorisations présentant un avantage économique, accordés dans le domaine des mines ou des hydrocarbures au Sénégal, sont appréhendées par l’impôt aussi bien chez le cédant que chez le cessionnaire. Aussi, si ces cessions avaient été régies par le nouveau Cgi, auraient-elles été taxées. Cette réforme qui a pour but de rationaliser les opérations fiscales procède d’une volonté politique résolue d’adapter notre système aux standards internationaux de la gouvernance fiscale marquée par la transparence et la lutte contre l’opacité. C’est tout le sens des engagements internationaux souscrits depuis 2012 par le Sénégal qui est membre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales et, a signé et ratifié en 2016 la convention multilatérale de l’Ocde concernant l’assistance mutuelle en matière fiscale.

Par ailleurs, concernant une autre critique adressée à la déclaration du Premier ministre qui prétend que cette autorité a proféré des menaces à l’endroit de ses contradicteurs, l’on ne peut de ce point vue que déplorer la mauvaise foi manifeste de ceux qui soutiennent cette lecture ou cette interprétation tendancieuse à dessein. Quand le Premier ministre dit de façon claire que ceux qui continueront de diffuser sciemment de fausses informations s’exposeront à la rigueur de la loi pénale, il ne fait qu’appeler à la raison ou encore mettre en garde les auteurs de tels faits répréhensibles, comme prévus et punis par notre droit positif. Toute autre extension ne serait qu’un abus destiné à créer et à entretenir de l’amalgame, à défaut d’arguments pertinents et utiles à faire valoir !

Latif Coulibaly

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