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La Prison De Reubess : La Faillite D’un Système De Répression

La Prison De Reubess : La Faillite D’un Système De Répression

« La prison n’est qu’un espace muré qui cache les échecs de la société ». Anthony Dacheville

« La prison n’est qu’un reflet démesurément grandi de la société qui produit ceux qu’elle incarcère ». Hubert Bonaldi

La mutinerie de Reubess ayant entraîné la mort du détenu Ibrahima Mbow doit être examinée avec lucidité afin de montrer les limites de notre système carcéral. Une enquête doit être menée avec responsabilité et équité afin que l’auteur ou les auteurs de la mort de feu Ibrahima Mbow puissent être arrêtés et traduits en justice. Il ne peut y avoir d’impunité pour de tels faits graves. C’est le minimum que les parents de la victime attendent de l’Etat du Sénégal . Les autorités oublient souvent que les prisonniers restent et demeurent encore des humains malgré la gravité de leurs délits ou crimes commis à l’encontre de la société. Il est inadmissible que la population carcérale de Reubess dépasse l’entendement. La faute à qui ? Nous n’avons pas le droit de nous voiler la face. La société sénégalaise est en elle-même monstrueuse dans son fonctionnement. Il ne me vient nullement à l’esprit de déresponsabiliser les détenus.

Toutefois, je tiens à préciser que la société doit tenir en compte le parcours du prisonnier en vue de sa réinsertion. Parmi les détenus de Reubess et des autres maisons d’arrêt du pays, beaucoup ne sont sous le coup de la loi qu’à cause d’un délit mineur, résultat d’une maladresse, d’une imprudence ou d’une faiblesse de caractère. A cet effet, il est injuste et inadmissible que de tels prisonniers puissent être mis en détention avec des meurtriers ou de violeurs. Il est également injuste que pour les délits mineurs, des détenus soient incarcérés pendant de nombreuses années sans jugement. La plupart des prisonniers sénégalais n’ont commis que de petits larcins. Pour cette catégorie de détenus, la justice doit être plus flexible pour assurer leur réinsertion dans la société. Il ne s’agit pas d’un quitus ou un droit à commettre de petits délits. Pour cette catégorie de détenus, l’Etat du Sénégal doit veiller à ce qu’ils puissent bénéficier d’une formation qualifiante pour ceux d’entre eux qui n’ont pas eu l’occasion de fréquenter les bancs de l’école de la République . Le juge de l’application des peines doit aussi s’assurer des conditions d’existence du détenu et de sa famille afin qu’il ne retombe plus dans la petite délinquance. Il s’agit plutôt d’une politique visant à désengorger les prisons et de ne garder que ceux qui ont commis des crimes graves ( de sang, économiques, financiers, sexuels) de nature à déstructurer le fonctionnement normal de la société.

Dans un pays où la majorité de la population n’a pas eu la chance de fréquenter l’école ou de bénéficier d’une formation et vit dans des familles précarisées, cela relève d’un miracle que les crimes et délits n’explosent pas. C’est à ce niveau qu’il faut dresser un tableau sans complaisance de la société sénégalaise. Parfois, ce sont plutôt les pesanteurs sociales qui poussent certains individus à commettre certains délits afin de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Dans un pays où on s’abaisse en donnant plus de considération aux nantis de par l’apparence de leur richesse souvent indûment acquise et on humilie le faible parce qu’il est pauvre, il devient de plus en plus fréquent que des jeunes ou des pères de famille veulent gravir le plus vite l’échelon social pour rentrer dans les grâces de leur famille ou de leur belle famille en commettant des délits ou des crimes. Dans ce cas de figure, l’individu fait abstraction des valeurs morales et se dit que la société ne lui laisse pas le choix.

La République n’a pas le droit de laisser ses enfants au carreau et à le devoir de leur assurer un avenir viable et digne. Il est inadmissible que dans un pays de croyants toutes obédiences confondues, il existe encore beaucoup de jeunes et des pères de famille qui ne peuvent subvenir à leurs besoins qu’en ayant recours au banditisme. L’Etat du Sénégal a le devoir de rationaliser ses ressources afin de pouvoir assurer un revenu minimum d’insertion aux familles les plus précarisées où personne ne travaille ou ne dispose de revenus réguliers. L’Etat du Sénégal doit aussi encourager le recrutement des jeunes par les entreprises par le biais des incitations fiscales encadrées et soucieuses d’une politique économique et sociale juste et favoriser les micro financements pour les jeunes au pays et non de la Diaspora. Les jeunes sénégalais vivant au pays ont plus besoin du soutien de l’Etat. C’est ce déséquilibre grave qu’il faut arrêter afin de venir en aide aux populations les plus précarisées .

La situation de la prison de Reubess est indigne pour une République responsable et soucieuse d’un équilibre de la société. Nous n’acceptons pas dans une vie familiale normale de s’entasser dans les chambres. Nous voulons tous un minimum de confort et d’intimité. Pourquoi nous fermons les yeux sur les conditions inhumaines de détention dans les prisons sénégalaises ? Par lâcheté ou par faiblesse ? Nous avons le devoir moral d’exiger que les autorités de la République traitent de façon décente nos prisonniers , qui sont nos frères et nos sœurs. C’est le prix à payer lorsqu’on vit en République. L’administration pénitentiaire doit faire son mea culpa et refuser de mener cette politique carcérale indigne. L’administration pénitentiaire doit également réserver le même traitement à tous les détenus. Il ne peut pas exister un traitement de faveur pour certains prisonniers au détriment d’autres. Des délinquants à col blanc séjournent tranquillement en prison et ne manquent de rien , sauf le fait de humer l’air de la liberté.

Ces conditions de détention nous interpellent et nous rappellent notre passé de comptoir d’esclaves . Nous devons en avoir honte. La solution au problème de la surpopulation carcérale n’est nullement dans la création de nouvelles prisons modernes. L’Etat doit donner plus de moyens aux acteurs de la justice afin qu’ils puissent faire leur travail dans un délai raisonnable eu égard au respect des droits de la victime et du détenu. Nous devons opter pour un autre système de répression des délits et crimes. Pour les simples délits sans circonstances aggravantes, la justice peut toujours d’autres alternatives, par exemple des travaux d’intérêt général. Il ne s’agit pas de délivrer des chèques en blanc pour la petite délinquance, mais de leur éviter au maximum les liens de la détention au contact de grands criminels. Nos prisons ne doivent accueillir que les grands bandits ou criminels de toutes sortes qui sont en rupture avec la société et ses valeurs et qu’aucune autre forme de réinsertion n’est possible avec cette catégorie de détenus. Même pour ces derniers, il urge de mettre à leurs dispositions des conditions saines de détention pour qu’ils ne restent pas dans l’animalité et la déchéance morale pour qu’un jour là société puisse les récupérer. Ils ne doivent pas désespérer de nous autres citoyens. Nous devons avoir un regard magnanime à leurs égards parce que les vicissitudes de la vie peuvent nous conduire à emprunter de tels chemins tortueux et sinistres.

 

Massamba NDIAYE

massambandiaye2012@gmail.com

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