«Je ne puis qu’admirer la négligence, l’incurie de la nation polonaise » – Jean Jacques Rousseau
Le débat passionné qui secoue le pays présentement rappelle ce propos de Jean Jacques Rousseau, qui semble avoir été taillé pour le Sénégal du fait de la situation ubuesque que la longue négligence de l‘Etat a fini par encourager et encastrer dans le rituel de la croissance des familles sénégalaises.
Le Code de la Nationalité est formalisé par la Loi n° 61-10 du 7 Mars 1961. Cette loi avait été signée par Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia et Gabriel D’Arboussier. Le 28 Juin 2013, la Loi 2013-05, qui modifiait des dispositions de 1961 avait été signée par Macky Sall et Abdoul Mbaye.
L’Article 18, qui est la clé de voute du Code de la Nationalité, n’a jamais été changé ou édulcoré. Cet Article stipule que : « Perd la nationalité sénégalaise, le Sénégalais majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ».
Connaissant les dispositions de l’Article 18, tous les signataires de ces documents ont sciemment enfreint la loi qu’ils étaient supposés respecter et faire respecter. Ce faisant, ils se sont rendus complices d’une grave forfaiture qui les disqualifie pour exiger des citoyens de ce pays un quelconque respect des lois.
Le Président Senghor et Abdoul Mbaye avaient la nationalité française au moment de poser l’acte officiel qui entérinait cette loi comme « Loi de l’Etat ».
Dans une sortie récente, Abdoulaye Wade, qui reste flou sur sa nationalité, s’est essayé à une défense de la double ou bi-nationalité en mettant en avant, entre autres, les « avantages » que ce statut était supposé procurer. Cette position est éminemment outrancière et choquante de la part de quelqu’un à qui le Sénégal a tout donné et qui, une fois évincé du pouvoir, est allé se lover dans son cocon d’outre-mer pour jouir des délices de la douce France de sa douce moitié.
Plus récemment encore, un Ministre officiant présentement dans le gouvernement de Macky Sall ne s’est pas gêné de déclarer, par mépris ou par ignorance, qu’il avait la nationalité française. Sans conséquence aucune.
Et il n’est pas le seul. Loin s’en faut ! Face à l’impunité qui semble être de mise, d’autres s’engouffrent de plus en plus ouvertement dans la brèche pour justifier leur propre turpitude. Et l’indécente sarabande ne fait que commencer…
Si la majorité des Sénégalais ne connaissent pas le Code la Nationalité, ceux qui ont la charge de ce pays ne peuvent pas se prévaloir de cette ignorance. Pour n’avoir jamais jugé utile de le changer, ils n’ont aucune excuse à avancer maintenant que la situation nous interpelle. Pour cette raison, le débat sur la nationalité est, dans une certaine mesure, très salutaire parce qu’il obligera les pouvoirs publiques –et le pays tout entier–à faire face à cette incurie d’état qui n’a que trop duré.
Comme dans toutes les situations où les intérêts particuliers sont menacés, une chape de terrorisme intellectuel s’est déployée sournoisement pour étouffer le débat, par le biais d’arguments spécieux qui ne laissent aucune place à l’intérêt national. Ceux qui se sont complu dans la situation de flou qui a prévalu jusqu’ici commencent à sortir des bois et à avertir la nation des dangers qui la guetteraient.
Ceux qui s’évertuent à faire la différence entre la bi-nationalité et la double nationalité s’obstinent dans des contorsions intellectuelles stériles car, indépendamment de la définition de ces deux termes, l’Article 18 –jamais changé ni édulcoré– ne permet ni l’un ni l’autre. Donc la distinction entre la bi-nationalité et la double nationalité est un laborieux exercice de sophisme qui cache mal un désarroi face à sa propre incongruité.
Disons-le clairement : Il ne s’agit ici ni de bi-nationalité, ni de double nationalité, encore moins de sénégalité. Soulever ces points, c’est chercher à occulter le vrai problème derrière un écran de fausse préoccupation pour étouffer un débat que tout le pays gagnerait à engager dans la plus grande sérénité. En fait, le problème que nous avons est tout simplement un problème de droit et de respect de la loi. Cependant, au-delà du problème de droit se pose, plus fondamentalement, le problème de la sécurité nationale.
Il faut noter, en effet, que l’acquisition ou la préservation de la nationalité est un acte purement individuel et volontaire. Une fois posé, cet acte doit être assumé avec toutes les implications qu’il induit. Donc, il n’est ni concevable ni acceptable d’imposer les conséquences de ses actes à une Nation qui a ses lois.
Par ailleurs, l’octroi de la nationalité, quelle qu’elle soit, s’accompagne toujours d’une exigence de servitudes et d’un devoir d’allégeance. Ainsi, même si le Sénégal permet la violation de ses propres lois ou se permettait de changer le Code la Nationalité pour accommoder la double nationalité, les pays qui nous font face ont et auront toujours à cœur de préserver leurs propres intérêts.
De ce point de vue, le cas des Etats Unis constitue un exemple éminemment édifiant. Le processus de naturalisation de ce pays inclut la prestation d’un serment d’allégeance qui ne laisse place à aucun doute. Ce serment dit:
« Je déclare, sous serment, que je renonce à et abandonne absolument et entièrement toute allégeance et fidélité à un prince étranger, potentat, État ou à toute souveraineté à laquelle j’ai été jusqu’ici un sujet ou un citoyen ; que je soutiendrai et défendrai la Constitution et les lois des États-Unis d’Amérique contre tous les ennemis, étrangers et nationaux ; que je leur ferai allégeance et leur serai fidèle ; que je prendrai les armes au nom des États-Unis lorsque requis par la loi ; que je remplirai un service non-combattant dans les Forces armées des États-Unis d’Amérique lorsque requis par la Loi ; que j’effectuerai des travaux d’importance nationale sous direction civile lorsque requis par la Loi ; et que je prends cette obligation librement sans aucune restriction mentale ou but d’évasion ; avec l’aide de Dieu. »
Ce texte est on ne peut plus clair. Du point de vue des Etats Unis, la préservation de la nationalité américaine écarte toute possibilité de double ou bi-nationalité, et astreint l’individu à une entière allégeance à la Constitution, aux lois et aux injonctions de ce pays. Point barre !
Ainsi, au vu de la mode de nos femmes à accoucher à l’étranger ou de nos compatriotes qui en ont les moyens ou l’opportunité de chercher une autre nationalité, l’on est en droit de se demander combien de personnes, qui ont une nationalité autre que celle sénégalaise, sont terrées dans les replis profonds de la haute administration, des services de défense, de sécurité, de renseignement du pays, dans les cercles des affaires et les milieux académique et associatif, dans les organisations de la société civile, dans la presse et qui obéissent à des sollicitations contraires ou qui peuvent être contraires aux intérêts du Sénégal.
Cette situation, d’une extrême gravité, remet en cause les bases sécuritaire, économique, sociale et culturelle de notre pays. Et de ce point de vue, personne n’a le droit d’exiger ou de s’attendre à ce que l’on accommode ses intérêts particuliers au détriment de l’intérêt national.
Par conséquent, l’Etat du Sénégal qui, depuis 1961 a failli à ses responsabilités, doit réagir maintenant pour faire respecter la loi –ou la modifier– et ceci dans le seul souci de préserver l’intérêt supérieur du Sénégal.
Dans cette perspective, nous rappelons, en conclusion, ces mots de Jean-Jacques Rousseau :
« Quand le nœud social commence à se relâcher et l’Etat à s’affaiblir ; quand les intérêts particuliers commencent à se faire sentir et les petites sociétés à influer sur la grande, l’intérêt commun s’altère et trouve des opposants ; l’unanimité ne règne plus dans les voix, la volonté générale n’est plus la volonté de tous, il s’élève des contradictions, des débats, et le meilleur avis ne passe point sans dispute…et l’on fait passer faussement sous le nom de lois des décrets iniques qui n’ont pour but que l’intérêt particulier.»
Falilou Diouf
Auditeur-Conseil
Dakar