Malgré le fameux discours de la Baule qui a consacré le multipartisme en Afrique francophone, la gestion du pouvoir, dans la pratique, se révèle être toujours l’affaire d’une poignée de personne et de leur appareil politique.
Sur le contient, en dehors de quelques pays tels que la Guinée et le Niger, les « oppositions historiques » ont peu de chances de se faire élire à la magistrature suprême. En revanche, une nouvelle génération d’opposants incarnée par des hommes et des femmes issus des arcanes du pouvoir, se montre électoralement plus redoutable.
Au Burkina Faso, Roch Marc Christian KABORE en quittant en 2014 le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de l’ancien président Blaise Compaoré, s’est fait élire président du Faso en 2015. Il y a eu aussi l’exemple du Sénégal dont le président, Macky Sall, avait quitté en 2008 le Parti démocratique sénégalais (PDS).
Cela a politiquement fragilisé son mentor politique le président Abdoulaye Wade qui nourrissait l’ambition de briguer un troisième mandat consécutif. Si d’aucuns pourraient soutenir que ces néo-opposants peuvent être des remparts à des velléités de patrimonialisation du pouvoir, on peut légitimement s’interroger sur leurs capacités réelles à constituer des alternatives politiques crédibles.
Le cap du mi-mandat a été franchi par le président Macky Sall. Alors, que retenir de ces quatre ans d’exercice du pouvoir ?
Durant la campagne présidentielle de 2012, il avait promis urbi et orbi de réduire le mandat du septennat au quinquennat. Une fois au pouvoir, il s’est remis à la voix consultative du Conseil constitutionnel, lequel a finalement choisi le statu quo. En se dédisant de la sorte, il a suivi les traces de ces dinosaures politiques qui ont fait dans le saupoudrage démocratique, en s’accrochant ad vitam aeternam aux délices du pouvoir. Cette volte-face est venue non seulement ternir son image mais aussi remettre au goût du jour l’inculture démocratique de la classe politique africaine.
Sur le plan économique, la croissance annuelle du PIB est passée de 3,49% en 2013 à 6,49% de 2015. Certes, il s’agit d’une bonne réalisation, mais cette croissance n’a pas profité à tous les Sénégalais qui n’ont pas ressenti une réelle amélioration de leurs conditions de vie.
La preuve est que le Sénégal stagne au niveau du classement de l’indice de développement humain (IDH) qui mesure la qualité de vie (autour de 0,46 depuis 2013). Pire, l’IDH ajusté aux inégalités a enregistré une baisse en passant de 0,326 en 2013 à 0,305 en 2014, plaçant le Sénégal au 170ème rang sur 188. Autant dire que les inégalités sont en train de se creuser, faute de stratégie de croissance inclusive.
Comme son prédécesseur, Macky Sall a reconduit la politique de grands travaux d’infrastructures, notamment routières. Bien que la route du développement passe par le développement de la route, elle ne fait pas tout, surtout dans un contexte gangréné par la corruption.
Les dépenses publiques servent surtout à enrichir l’élite au pouvoir et ceux qui gravitent autour. A défaut d’une bonne gouvernance, ces projets d’infrastructure feront le lit de la grande corruption. Par ailleurs, on ne peut pas compter uniquement sur ces grands travaux pour espérer infléchir la courbe du chômage. Il s’agit en effet de chantiers circonscrits dans le temps qui ne peuvent avoir un effet multiplicateur durable sur d’autres secteurs de l’économie.
Le « Plan Sénégal Emergent 2014-2018(PSE) » ressemble à du déjà vu. Retenant une approche de développement par le haut, ce plan conduit à accroître la place de l’Etat dans la sphère économique. L’excès d’interventionnisme a pourtant montré ses limites depuis longtemps.
Le financement de ce plan repose essentiellement sur l’investissement public. En dépit de la volonté affichée de promouvoir le secteur privé, c’est toujours l’investissement public qui est favorisé. De même, en dépit des discours sur l’économie de marché, dans les faits, l’économie est toujours contrôlée et dirigée par l’Etat. La planification centralisée a la peau dure.
En 2016, une progression de trois places dans le classement du Doing business et le fait de figurer parmi les dix pays réformateurs constituent l’arbre qui veut cacher la forêt.
Le Sénégal est loin d’être le pays de la libre entreprise. Ce n’est pas un pays économiquement libre. En dépit des places gagnées ces dernières années, le Sénégal reste à la 111ème place (sur 188 pays) dans le classement de la liberté économique réalisé par l’Institut Fraser.
Cela prouve la persistance d’obstacles réglementaires d’entrée au marché handicapant la création de richesse et des emplois par les entreprises privés. Des barrières qui créent des situations de rente puisque certains investisseurs qui ont des entrées auprès du pouvoir ou des connexions avec ceux qui légifèrent ou réglementent peuvent profiter des règles sur mesure, des privilèges ou de passe-droits, ce qui fausse le fonctionnement de l’économie de marché. On tombe alors dans le Business de copinage et de connivence.
Somme toute, la rupture tant souhaitée s’apparente à une arlésienne. D’ailleurs, l’enquête Afrobaromètre réalisée en 2014 indiquait déjà qu’un peu plus de 2/3 des citoyens sénégalais estimaient que les réponses apportées par le gouvernement actuel à leurs préoccupations ne sont pas optimales. Autant dire que l’on est très loin de la rupture promise…
BEMAHOUN Honko Roger Judicaël
Statisticien/Analyste politique