Dans un pavé servi par Monsieur Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Education nationale, ce dernier a cru devoir me citer nommément dans sa tentative bancale de conforter la pseudo justesse de l’exclusivité de la nationalité sénégalaise exigée du candidat à l’élection présidentielle, obligé de renier une -ou certaines- de ses nationalités pour ne demeurer qu’«exclusivement» sénégalais.
Je suis présenté comme le seul à remettre en cause le bien-fondé de cet «exclusivement» pour préférer ce que notre pays a connu, sans accroc, durant plus d’un tiers de siècle, de 1960 à 1992. En réponse, je ne vais pas noircir deux pleines pages de journal. Je suis prêt à tout débat public avec qui que ce soit à propos de cette exigence qui n’apporte aucune valeur ajoutée au Sénégal. En manière de réaction au papier de M. Thiam, je me contenterai de quelques observations avant de relever certaines inexactitudes et de confirmer mon point de vue qui ne date pas de maintenant, en démontrant que c’est «exclusivement» lui-même qui constitue le problème.
Quelques Observations
-La première : en cette veille de rentrée scolaire, du ministre de l’Education nationale, on était en droit de s’attendre à de l’action ou au moins à une réflexion sur les maux qui assaillent le secteur à lui confié et non à une méga dissertation sur cette option dangereuse de surf sur l’exclusivité de nationalité sénégalaise lors de la Présidentielle, ce qui a pu mener à des inepties du genre : les intéressés devraient abjurer toute autre nationalité 2 ans, 5 ans voire 10 ans avant l’élection. Tout ça alors que le président de la République, patron du ministre, a invité ses hommes à se dégager de cette querelle, lui-même n’ayant aucun problème avec les binationaux.
-La seconde : dans une récente contribution titrée «Attention : Exclusivement et Nationalité», j’avais attiré l’attention des uns et des autres sur les dérives potentielles si l’on persistait dans l’erreur de ce qui s’est révélé une plaie douloureuse, ailleurs, en Afrique. J’indiquais que «…chacun devra s’attendre à ce que demain, ce genre de mesure soit étendu à toutes les fonctions politiques et aux emplois publics».
Eh bien, ça n’a pas raté ! Comme si ce pays n’était pas confronté à d’autres préoccupations sérieuses, comme si la discrimination au patronyme dans l’établissement des Cartes nationales d’identité ne suffisait pas, on a entendu des voix démagogues s’élever pour exiger la même «exclusivité» de tous les titulaires de mandats électifs ou de positions officielles, gouvernementales, diplomatiques, administratives, militaires alors qu’aucun officier ne peut rapporter la preuve de la trahison ou d’un ordre anti national de la part d’un de nos nombreux Cemga ( Chefs d’Etat Major général des Armées) binationaux sous les ordres desquels ils ont servi, sans compter que dans leurs propres familles (enfants ou petits enfants) les binationaux sont légion.
Le danger? Demain, les mêmes demanderons que soit décidé que seuls les concitoyens «exclusivement» noirs de peau, grands de taille (minimum 1.80 m), musulmans (confrérie à déterminer), polygames (c’est le droit commun du Code de la famille), Ouolofs, de père et de mère sénégalais d’origine, c’est-à-dire relevant des mêmes critères que ce qui précède, etc. seront admis à la compétition pour tout type de fonction, même dans le privé. En route vers le fascisme, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
-Enfin, aucun «naturalisé» n’a pris part et ne participe au présent débat.
Le souci de précision m’amène à pointer la plume sur quelques inexactitudes.
De quelques inexactitudes
Là aussi, il ne s’agira pas d’un constat exhaustif mais simplement de ne pas laisser M.Serigne Mbaye Thiam professer l’inexact, induisant ainsi le lecteur en erreur.
-En 2011, le souci d’efficience dans la mise en œuvre de l’exclusivité de nationalité ne fut pas un sujet crucial dans les débats, d’autant que le Code électoral avait clairement prévu le mécanisme (article LO 114) et que jamais le Conseil constitutionnel n’a fait part d’une quelconque difficulté à cet égard. En tant qu’un des représentants des partis non alignés, le Bcg siégeait (M. Lamine Mané) dans cette Commission technique chargée de la revue du Code.
-Il est faux de laisser croire que c’est la loi 92-14 du 15/1/92, fruit d’un soi-disant «large consensus politique» qui tout d’un coup, porta «introduction de cette disposition» exclusive dans la Constitution. C’est un raccourci trompeur. En vérité, la disposition fut d’abord introduite dans le Code électoral en 1991, déclarée anti constitutionnelle par la Cour suprême en décembre 1991, reprise en début 1992 par le Président Abdou Diouf pour intégration dans la Constitution, sans recueil d’aucun consensus. Je reconnais que, par la suite (Présidentielles de 1993 et 2000), le Président Diouf a eu l’élégance et la hauteur de vue de ne jamais recourir à ce texte qui à l’origine (travaux de 1991), avait été suggéré, pratiquement imposé par des individus appartenant à l’opposition de l’époque et qui, dans l’espoir de l’alternance, souhaitaient écarter Maître Abdoulaye Wade, pour des raisons évidentes à leurs yeux. Plus tard, Wade Président, ce sont les mêmes qui viendront picorer dans sa main.
– Maladroitement, M.Thiam convoque les incapacités qui touchent le nouveau naturalisé pour tenter de justifier «la discrimination que (l’exclusivité) introduit entre les citoyens». Il prétend qu’elle «n’est pas choquante en soi». D’abord ces incapacités sont limitées dans le temps, sans compter qu’un décret peut exonérer l’intéressé desdites incapacités. Ensuite, M. Thiam reconnaît la discrimination alors que toute la Constitution la proscrit. Cela, c’est choquant.
-M.Thiam nous méprise lorsqu’il compare le Sénégal au Niger, le Gabon ou la Rdc, là où il aurait dû le faire avec les vrais démocraties que sont la France, le Cap-Vert, le Bénin, l’Ile Maurice. Son approche ce n’est pas du droit comparé, mais de la juxtaposition compilatoire, de l’étude exotique faisant fi des contextes particuliers. On compare ceux qui sont comparables.
-Il est inexact de soutenir que le Sénégalais majeur qui acquiert une autre nationalité perd «automatiquement» la nationalité sénégalaise. C’est faux! La loi n’indique rien d’automatique, il faut un acte express à cet effet, donc un décret. Si j’avais opté pour une surface rédactionnelle plus vaste, j’aurais indiqué l’origine et expliqué le sens de cette disposition dont les uns et les autres ont une lecture au premier degré.
– C’est faux de dire qu’au Sénégal existe un droit du sol (sauf pour le nouveau-né issu de parents inconnus et trouvé sur le territoire). L’enfant né au Sénégal de deux citoyens français eux-mêmes nés au Sénégal n’est pas sénégalais (cf. aussi dernier alinéa de l’article 1). Le double droit du sol édicté par l’article premier du Code de la nationalité ne s’applique que si l’un des parents, au moins, est sénégalais. Nous ne sommes pas dans le système du droit du sol automatique américain, canadien, brésilien, (pratiquement tout le continent américain sauf quelques exceptions comme la Colombie). Sous certaines conditions, l’enfant né de parents étrangers est bénéficiaire du droit du sol au Danemark, au Portugal, en Irlande, en Italie, en Espagne, en Belgique et même en Allemagne (si, si).
– Pour le droit allemand, d’ailleurs, j’ai eu l’occasion de prouver qu’il est mensonger de prétendre qu’il n’admettait pas la double nationalité (cf.mon article «Hypocrisie à la Nationalité» publié dans Walfadjri et Enquête du 15/9/12 p.10). Quant à la disposition américaine supposée de droit du sol exigé de tout candidat à la Présidentielle (US natural born citizen : citoyen de naissance), elle est d’origine pluriséculaire (1787), de fondement historique (il s’agissait d’éviter qu’un britannique ne puisse être Président) et sans esprit de discrimination quelconque à l’égard des autres concitoyens américains. Le débat sur la question avait été lancé avec l’ancien candidat, John Mc Cain, né dans un camp militaire américain mais au Panama et a été relancé, cette année, avec le cas du sénateur du Texas, M. Ted Cruz, né au Canada d’une mère américaine. Actuellement, diverses thèses s’affrontent parmi les constitutionnalistes américains car le «Us natural born citizen» n’est pas clairement défini par la Constitution puisqu’il est admis qu’en fait partie l’Américain né à l’étranger de parents américains. Donc, évoquer cet exemple dans ce débat relève du hors- sujet.
– Au contraire de ce que dit M. Thiam, il est très utile, surtout au plan juridique, d’évoquer le cas du Président L.S. Senghor, celui qui mena notre pays à l’indépendance, organisa l’Etat et consolida la Nation mais demeura français, conformément aux dispositions transitoires (supprimées en fin juin 2013) du Code de la nationalité qui l’autorisaient. Je mets M. Serigne Mbaye Thiam au défi de prouver que le Président Senghor n’a pas «sauvegardé la souveraineté et la sécurité du pays…(qu’il n’a pas marqué) …un attachement exclusif pour la Nation sénégalaise (en exerçant) sa fonction dans le seul intérêt du seul Sénégal». J’attends qu’il relève ce défi ici lancé ! Senghor n’est pas parti archi-milliardaire.
Donc, vouloir douter du patriotisme d’un autre binational placé dans les mêmes conditions que le Président Senghor relève de la «sénégalité», sœur de l’«ivoirité», cousine de procès d’intention en traîtrise potentielle et de la discrimination rejetée dans tous les compartiments de la Constitution, à commencer par son préambule.
Malheureusement, d’autres inexactitudes perlent le texte.
Supprimer Exclusivement
Je m’honore d’avoir compté parmi les rares (là je n’étais pas le seul) à soutenir et démontrer que les 7 ans s’imposaient à l’actuel mandat du Président Macky Sall. Je ne suis pas un adepte de la pensée unique et je débats en conviction jusqu’à la preuve contraire. Je n’ai pas pour credo de hurler avec les loups.
Il en va de même sur le sujet en discussion pour lequel j’ai pris position depuis longtemps et, publiquement par écrit depuis 2012 (cf. supra « Hypocrisie à la Nationalité»). Ce n’est donc pas d’aujourd’hui que je combats l’obscurantisme relativement à la nationalité sénégalaise. J’ai déjà listé quelques dérives qui nous guettent car je préfère faire partie des aînés qui disent «… je vous avais prévenu plutôt que je le savais».
Parce que «Exclusivement» est arrivé dans notre ordonnancement juridique par effraction, qu’il a déjà été déclaré anticonstitutionnel, qu’il demeure contraire à la Constitution au vu des dispositions du Préambule de la Charte fondamentale ainsi que de ses diverses mentions anti discriminatoires, qu’il est donc devenu, au minimum, inconstitutionnel, qu’il est illégitime et inopportun car constituant un danger pour le pays, qu’il ne correspond pas au génie ouvert de notre Peuple ni au vécu de notre diaspora ni aux réalités du peuplement du Sénégal, etc.je confirme que je prône sa suppression pure et simple.
Je le fais avec une conviction accrue lorsque j’observe les vaines contorsions mentales de Monsieur S.M.Thiam qui, au lieu de nous convaincre, nous conforte dans l’idée de la confusion dans laquelle cette condition peut plonger le juge constitutionnel. Je ne parle pas de ses contradictions.
Si, à propos de cette nationalité exclusive, le Code électoral commande une Déclaration sur l’honneur dans le contrôle de laquelle le Conseil constitutionnel n’a jamais fait preuve d’aucune gêne, je ne vois pas pourquoi on veut théoriser, maladroitement, sur des hypothèses utopiques. Si quelqu’un (ça ne peut être qu’un candidat en compétition à la Présidentielle) a une preuve de fausse déclaration, qu’il en saisisse la Haute juridiction ou alors qu’on cesse de nous pomper l’air avec ce faux problème.
Etre en règle avec l’administration fiscale, fait aussi l’objet d’une Déclaration sur l’honneur. Pourquoi l’on ne frétille pas avec la même intensité sur ce point ? La fausse déclaration est possible là aussi.
J’ai déjà indiqué que je n’avais aucun doute sur la binationalité de notre premier et de notre troisième chef d’Etat ; peu de doute sur le cas du second. L’essentiel : tous ont été de grands patriotes et l’ont prouvé. Qu’on arrête donc de nous bassiner avec cette exclusivité dangereuse qu’il vaut mieux supprimer et qu’on travaille !
Jean-Paul DIAS