Ces derniers temps, il ne s’est pas passé une semaine sans une polémique impliquant ou visant la communauté mouride. Des propos inqualifiables sont tenus et des actes répréhensibles posés par des individus, dont certains sont des anonymes et d’autres des célébrités. Tel artiste a utilisé l’effigie de la grande mosquée de Touba dans un gâteau d’anniversaire ; tel animateur, sous couvert de l’humour, a tenu des propos inadmissibles sur Cheikh Ahmadou Bamba. Il n’en fallait pas plus pour déchainer la blogosphère mouride. Mais l’évènement le plus emblématique a concerné un certain Sakho qui, dans une vidéo de 30 minutes, a remis en cause bien des symboles mourides et dans des termes particulièrement outrageants.
Le point commun de tous ces individus incriminés est le fait qu’ils se déclarent fervents mourides. En mon sens, c’est là où réside un pan entier de la problématique, que les gesticulations observées dernièrement ne semblent pas mesurer à sa juste valeur. Il vrai que d’autres attaques, d’origine salafiste ou wahhabite, s’observent souvent et depuis longtemps contre la Mouridiyyah, mais de telles attaques sont plus aisées à démonter pour peu que les mourides se donnent les moyens d’un argumentaire rigoureux à la lumière du Coran, de la Sounnah et des écrits de Cheikh Ahmadou Bamba. En revanche, dès lors que ces attaques proviennent des rangs des mourides eux-mêmes, il convient de reconsidérer la méthode pour y faire face.
En voyant un mouride s’attaquer, volontairement ou non, à certains symboles de la Mouridiyyah, la première question à se poser est celle-ci : qu’avons-nous raté de la transmission du vrai message de Cheikh Ahmadou Bamba ? Cette interrogation place les mourides face à leurs responsabilités. Ont-ils suffisamment anticipé ces phénomènes amplifiés par la bulle médiatico-numérique ? Et surtout, ont-ils conscience qu’en tombant dans le piège des réactions violentes, ils sapent un pilier fondamental du Message de Cheikhoul Khadim diversement nommé : miséricorde, pardon, pacifisme ou non-violence ?
Au lieu de se poser ces questions essentielles, les appels à la violence se multiplient. La nouveauté est qu’ils sont portés et assumés au grand jour, à renfort de vidéos YouTube ou de posts Facebook incendiaires, par des personnalités dont la voix compte au sein de la Mouridiyyah. Ces réactions, s’accompagnant d’un esprit vindicatif et d’une posture qui se veut virile, auraient pour objectif de défendre la voie mouride.
À observer la vie de Cheikh Ahmadou Bamba, l’on peut légitimement se demander si cette ligne de défense aurait été la sienne face à la situation actuelle. Mieux, nous sommes fondés pour nous demander si, au fond, cette ligne nouvelle est la bonne. Le Cheikh n’a jamais fait usage d’une arme autre que la Foi sincère et la Science. Cela, bien que faisant face à des adversités et des attaques de loin plus violentes et plus pernicieuses que les récentes, et disposant d’un pouvoir de réplique beaucoup plus consistant. Comme l’atteste sa célèbre réponse, lorsque, le 10 juin 1903, un détachement de 150 tirailleurs, accompagnés de 50 spahis, fut dépêché vers sa résidence de Mbacké-Baol, avec la secrète intention d’attenter à sa vie en cas de trouble. En dépit de la détermination de ses milliers de disciples, réclamant publiquement la résistance armée, Cheikh A. Bamba exprima en ce jour ces paroles marquées en lettres d’or dans les annales de l’Histoire : « Je ne compte sur aucune assistance de la part de mes partisans ni ne crains l’agression d’aucun ennemi. J’ai placé toute ma confiance en mon Seigneur. ». Sens du dépassement qui le mena à proclamer, après plus de 33 années de brimades et d’exactions de toutes sortes de la part des colonisateurs français :. « J’ai pardonné à tous mes ennemis pour l’amour du Seigneur qui les a écartés de moi à jamais. Aussi ne songé-je nullement à me venger. J’ai accordé mon pardon à tous mes ennemis avec pureté de coeur.». (Muqadimâtul Amdâh).
C’est cette même « ligne de défense » pacifique du Serviteur du Prophète (PSL) que ses illustres Khalifes et descendants ont toujours essayé de perpétuer. Comme en témoignent ces mises en garde de Serigne Saliou Mbacké envers les disciples tentés par les représailles contre les détracteurs du Mouridisme : « [Les agressions et attaques] n’ont jamais empêché le Cheikh d’obtenir tout seul, des faveurs à profusion. Si, après tout son combat, l’ambition de ses disciples d’aujourd’hui s’oriente vers les querelles et les batailles [physiques] en son nom [qu’ils sachent que cela ne correspond nullement à sa propre démarche et à ses enseignements]. Si donc vous, ses disciples, attendez aujourd’hui pour suivre certaines conceptions rationnelles erronées pour vous engager dans des disputes et querelles stériles, sachez que ce ne sera nullement avec mon consentement… »
Il est donc permis de poser l’hypothèse selon laquelle ceux qui se réclament de Cheikh A. Bamba ne repousseront jamais efficacement un affront en utilisant des moyens différents. Cette hypothèse est d’ailleurs immédiatement corroborée par les faits, car le problème de fond que nous entendons régler par la force demeure entier. En effet, les photos et vidéos de ces attaques sont encore sur le Web et y resteront sans doute pour plusieurs décennies. Des individus continueront à y demeurer réceptifs. La seule solution à même de traverser les âges et les générations est celle qui rétablit la vérité à la lumière du Coran, de la Sounnah et des écrits du Cheikh. Ce n’est certainement pas la vidéo de la descente d’un groupe de mourides chez Sakho qui convaincra quiconque que ce dernier s’est trompé dans sa diatribe anti-mouride. Au contraire, cet épisode rajoute de l’eau au moulin de tous ceux qui pensent comme lui et qui ne s’expriment pas sur YouTube ou sur les réseaux sociaux. Tout en aggravant les tenaces clichés d’ignorance et d’intolérance des mourides que certains cercles ont depuis toujours nourris.
Au fond, avec un peu de recul, il est aisé de voir que la solution au problème posé ne saurait être physique ou violente. Il est fondamentalement idéologique. Mieux, il s’agit d’un impératif de sûreté nationale, car les propos tenus par le sieur Sakho auraient pu l’être de la même manière contre la Tijaniyyah et la Khadriyah qui, avec la Mouridiyyah, concentrent l’écrasante majorité des musulmans du Sénégal. En s’attaquant à ces voies – toutes d’obédience soufie -, on remet en cause la stabilité du pays, symbolisée par la pratique d’un Islam tolérant et respectueux des différences. Les mourides passeraient à côté du vrai débat, s’ils se cantonnaient à bander leurs muscles et à proférer des menaces de mort contre les auteurs de ces attaques. Cette attitude ne serait pas à la hauteur du défi lancé à la Mouridiyyah et, à travers elle, à tout l’Islam de notre pays. La bataille est donc autrement plus difficile et ne se résume pas à exiger des excuses publiques à chaque auteur de propos ou d’actes déplacés. Cette bataille est celle de toute une vie pour défendre un Islam qui, jusqu’ici, nous a garanti une paix sociale durable en dépit de nos difficultés économiques grandissantes.
Pour mieux percevoir à quel point le défi est de taille, il suffit d’observer que le sieur Sakho a convoqué des sourates, des hadiths et des vers de Cheikh Ahmadou Bamba pour alimenter sa diatribe anti-mouride. Il a été forcé, chez lui, devant les caméras, de retirer ses propos. Il n’a visiblement obtempéré que pour « sauver sa peau ». Si la problématique que sa sortie a posée reste non résolue à ce jour, c’est parce qu’elle exigeait une méthode que les mourides – énervés à juste titre – n’ont pas pris le temps d’affiner. Celle-ci devant plutôt s’orienter dans le sens de la création d’espaces d’échanges et de plateformes médiatiques assez puissantes pour fournir des éclairages pertinents « en temps réel », auxquels les internautes pourraient recourir en pareilles circonstances. Le fait est, qu’on le veuille ou non, nombreux sont les individus, comme Sakho, qui remettent en cause les symboles de la Mouridiyyah. Internet contribue à donner à cette pratique une résonnance toute particulière. Face à cette situation, les nouveaux mourides semblent désorientés, sans doute parce qu’ils n’ont pas suffisamment anticipé les effets dévastateurs de la caisse de résonnance médiatico-numérique. Subitement, ils ont le sentiment que la terre entière leur en veut. Cet état d’esprit se lit dans les propos d’un certain nombre de mourides qui restent persuadés que ces attaques sont commanditées par des sociétés occultes ou par des lobbies conspirationnistes. N’ayant pas pu explorer cette piste dans la présente réflexion, j’éviterai de m’y aventurer, mais toujours est-il qu’avoir cette idée fixe en tête empêche d’appréhender le problème posé dans toute sa complexité et avec toute la rigueur requise. Nous ne saurions nous retrancher derrière ce « conspirationnisme » ou « complotisme » pour ne pas regarder en face nos propres insuffisances dans la transmission du vrai message de Cheikh Ahmadou Bamba.
Les réactions épidermiques desservent souvent les causes qu’elles prétendent défendre, si nobles soient-elles. Tout dernièrement, l’épisode du gâteau d’anniversaire d’une artiste nous en a donné la preuve. Certaines personnalités mourides ont jugé opportun de s’en indigner, induites en erreur, au moins en partie, par des mourides qui, précédemment, avaient fait circuler une photo montrant un gâteau à l’effigie du Cheikh associée à cette même soirée d’anniversaire. Vérification faite, il s’agissait en réalité d’un photomontage. Cela n’atténue en rien la gravité de l’utilisation de la mosquée par ailleurs, mais cet épisode renseigne sur la prudence qui doit être de mise dans un monde où les informations, qu’elles soient vraies ou fausses, circulent à vitesse « grand V ».
Quant à la violence – physique ou verbale -, elle a ceci de dangereux qu’elle donne le sentiment qu’un problème est réglé alors qu’elle n’a fait que l’amplifier. Dans le cas d’espèce, sous prétexte de défendre des symboles du Mouridisme, les réactions énergiques et les appels au meurtre contribuent davantage à saper, aux yeux de l’opinion, un fondement historique de la Mouridiyyah : la non-violence. Or si nous devons une chose à Cheikhoul Khadim, c’est de ne jamais dévier de la voie qu’il nous a tracée, surtout quand il s’agit de défendre cette même voie. Dieu nous en préserve, mais si le zèle mis dans cette « défense » tous azimuts devait conduire un jour au meurtre, les conséquences seraient plus que désastreuses. Il est encore temps de se ressaisir.
Jaa ngeen jëf !
Omar Ba