De par les actes politiques malheureux qu’il n’a cessé de poser depuis son avènement en 2012, le pouvoir en place au Sénégal a réussi la prouesse d’instaurer un manichéisme de fait et prégnant entre les acteurs du champ politique qui animent et rythment la vie publique sénégalaise : les lanceurs d’alertes d’une part et les chasseurs de primes d’autre part.
Des lanceurs d’alertes ostracisés
La nature ayant horreur du vide, les lanceurs d’alertes ont tôt fait d’occuper la place laissée vacante par une opposition classique timorée et aux actions aussi épisodiques que sporadiques.
Amenés par l’ex-commissaire Cheikhna Sadibou Keïta, l’ex-colonel de gendarmerie Abdoulaye Aziz Ndao, l’ex-inspecteur des Impôts Ousmane Sonko, l’ex-Premier ministre Abdoul Mbaye ou le journaliste Adama Gaye, les lanceurs d’alertes sont parvenus, en très peu de temps, à gagner la sympathie des Sénégalais avec leur discours de type nouveau et sans fard.
Sont également considérés comme lanceurs d’alertes les auteurs de «contributions» alarmantes, mais très fondées, dans la presse, ainsi que les intervenants très critiques des émissions radiophoniques «Wax sa xalaat».
Tout ce beau monde fait des nuits blanches à longueur d’année pour pondre les fruits de leurs réflexions et partager leurs idées généreuses avec les Sénégalais, parmi lesquels les proches collaborateurs du chef de l’Etat, en pensant naïvement que ces derniers transmettront les messages en question au président de la République, sans crainte d’une quelconque menace pour leurs postes ou privilèges. Malheureusement, l’entourage du chef de l’Etat est infesté d’hommes et de femmes qui pensent qu’en disant la vérité au Président, cela pourrait leur coûter leurs positions. Tant que dans le voisinage immédiat du chef de l’Etat l’on ne comptera pas des hommes d’honneur et à même de lui dire la vérité, aussi dure et crue soit-elle, ce dernier continuera à être trompé et abusé dans sa bonne foi.
En voie de conséquence, le pouvoir considérera toujours les lanceurs d’alertes comme des ennemis qu’il faut combattre, neutraliser à tout prix et réduire au silence alors que ces derniers sont pourtant leurs alliés objectifs, car en tirant sur la sonnette d’alarme, ils le préviennent de situations lourdes de dangers. Le Président Abdou Diouf l’a confessé vers la fin de son long règne, à travers son fameux et pathétique «Ah non ! Je ne le savais pas», à chaque fois que des informations graves sur l’état de la Nation sénégalaise lui parvenaient par des canaux non officiels. A cause de son «ignorance», le «très distant» Président Abdou Diouf a été débarqué par les Sénégalais au soir du 19 mars 2000. Idem pour son successeur, le Président Abdoulaye Wade qui, en juillet 2012, dans son gîte de Fann-Résidence, a eu à avouer publiquement, pour le regretter, que c’est son entourage qui l’a perdu en s’interposant toujours entre les Sénégalais et lui. Des courriers à lui adressés étaient interceptés et n’arrivaient jamais à destination. Des demandes d’audiences étaient restées sans suite. Bon nombre de ses instructions étaient restées lettre morte, etc. Le Président Macky Sall doit tirer des leçons sur ses illustres prédécesseurs.
Toutefois, ces excuses peuvent paraître trop commodes et ne dédouanent pas totalement les chefs d’Etat, car ils peuvent trouver le temps et les moyens de lire la presse ou suivre les médias de l’audiovisuel pour s’informer tant soi peu sur la vie des Sénégalais et se faire une idée plus exacte de la marche du pays à travers des nouvelles qu’ils auront recueillies personnellement, directement et de façon brute sans qu’elles soient altérées, filtrées ou censurées par leurs collaborateurs, car passées au tamis de leur entourage immédiat, les informations «aseptisées» qui parviennent au chef de l’Etat sont dénaturées et ne font que l’isoler du Peuple et contribuer à sa déconnexion de la réalité.
Les caractéristiques principales des lanceurs d’alertes tournent autour de la prévention et de la mise en garde. A travers leurs sorties, le pouvoir peut tâter le pouls du Peuple et sentir les pulsions des populations. Mais quand bien même ils ont le vent en poupe, les lanceurs d’alertes n’ont pas la partie facile. Au lieu d’être félicités et récompensés, ils sont voués aux gémonies et accusés de tous les noms d’oiseaux. Tantôt c’est l’imam râtib de la grande mosquée de Dakar, Pape Alioune Moussa Samb, qui leur jette une «Fatwa», tantôt c’est le Premier ministre, Momo Dionne, qui les menace de ses foudres pour «diffusion de fausses nouvelles». A moins que «l’armée mexicaine» ne les descende en flammes. On vitupère leur «manque de patriotisme». On les accuse de «divulgation de secrets professionnels» et même d’«offense au chef de l’Etat».
Des chasseurs de primes récompensés
Le quatuor Djibo Kâ, Me Ousmane Ngom, Serigne Mbacké Ndiaye ou Ibrahima Sène peut être pris comme un échantillon assez représentatif de l’ensemble des chasseurs de primes en activité au Sénégal. D’ailleurs, si on devait mettre d’un côté les Sénégalais admiratifs de ces quatre chasseurs de primes, et de l’autre ceux à qui ces quatre personnes font gerber, il n’y aura pas photo.
On a déjà tout dit sur Djibo Kâ, un homme politique qui a mangé à tous les râteliers en profitant des régimes des Présidents Senghor, Diouf, Wade et aujourd’hui Macky. Il est surnommé «le champion de la tortuosité» pour s’être révélé comme un spécialiste des revirements spectaculaires. Abdoulaye Wade, dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle de 2000, mais aussi les responsables du Front patriotique pour la défense de la République (Fpdr), récemment, l’ont appris à leurs dépens, quand Djibo Kâ les a abandonnés au milieu du gué pour répondre à l’appel du Président Macky Sall.
Me Ousmane Ngom, quant à lui, est réputé pour ses talents de traîtrise et de lâcheté, avec comme dernier fait d’armes en date ses fameuses «révélations» sur une prétendue volonté initiale du Président Abdoulaye Wade de confisquer la victoire de Macky Sall le 25 mars 2012. Une sortie inopportune, anachronique et peu crédible d’un énergumène qui fait tout pour plaire au prince.
De Serigne Mbacké Ndiaye, on retient deux choses principalement : Premièrement, le bonhomme a eu à faire la fameuse déclaration-aveu selon laquelle : «Si nous perdons le pouvoir, nous irons tous en prison.» Deuxièmement, le 26 février 2012, cet homme a failli mettre le Sénégal à feu et à sang en annonçant que le Président Abdoulaye Wade était réélu dès le premier tour alors que le dépouillement des votes était en cours. Aujourd’hui, avec son parti fantoche de Convergence libérale et patriotique, l’ex-porte-parole du Président Abdoulaye Wade appuie sans réserve l’actuel chef de l’Etat et appelle publiquement à la réélection du Président Macky Sall en 2019.
Pour ce qui concerne Ibrahima Sène du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), on ne peut le décrire mieux que ne l’a fait l’ex-colonel de la gendarmerie, Abdoulaye Aziz Ndao : «Vous vous êtes allié aux Socialistes et aux Libéraux tout en restant un Marxiste-léniniste. Je ne vois nulle part la conviction ou l’éthique, mais un besoin inébranlable de profiter du système (…) Par la parole et la plume, des intellectuels sans valeur [comme vous] sucent le sang de ce Peuple depuis 60 ans en traversant selon leurs intérêts propres tous les régimes de ce pays.» Ibrahima Sène s’est fait aujourd’hui tout doux depuis qu’il a été bombardé Pca de la Miferso. Un contraste saisissant avec la violence de ses attaques à l’endroit du candidat Macky Sall, dont il était l’un des plus virulents contempteurs à l’approche de l’élection présidentielle de 2012, comme en atteste cette passe d’armes épique :
Ibrahima Sène : «Macky Sall est le candidat de l’étranger et de la France.»
Macky Sall : «Les allégations de Ibrahima Sène selon lesquelles je serais le candidat de l’étranger et de la France sont fantaisistes et relèvent de l’affabulation.»
Ibrahima Sène : « En réponse, je voudrais dire à Macky Sall d’expliquer pourquoi, en pré-campagne électorale, il a été le seul, parmi les 14 candidats, à être reçu par les Présidents du Gabon, du Togo et de la Côte d’Ivoire, qui ont été installés au pouvoir par Sarkozy, et par celui du Burkina… Et comment explique-t-il qu’il ait été le seul candidat à bénéficier du soutien public du Parti de Sarkozy, l’Ump, le jour de son congrès d’investiture à Dakar ? Ses connexions publiques avec les représentants de la Françafrique et le soutien du parti qui gouverne la France ne peuvent pas être des choses anodines… Il faut juste avoir le courage politique de le reconnaître et d’en tirer toutes les conséquences…»
Aujourd’hui, nos Communistes des tropiques (Pit, Ld, Aj & Co.) ont enterré la faucille et le marteau et ont cessé de chanter «L’internationale» pour s’embourgeoiser avec le nouveau régime libéral. Ils ont arrêté de rêver du «Grand soir» où la classe prolétaire et ouvrière donnera l’assaut de la Bastille et de la citadelle du capitalisme. Entre dans ce rang El Hadji Momar Samb du Rta-S, ce fort-en-thème qui nous a tout le temps bassinés avec ses histoires de «Rèew kenn duko paacòo dañu koy pencòo». Eh bien, le monsieur a disparu des radars et a cessé de la claquer depuis qu’il a reçu un fromage onctueux au Conseil économique social et environnemental (Cese) dans le cadre du «paacòo» du gâteau du pouvoir. C’est vrai qu’il est difficile d’avoir la bouche pleine et de parler en même temps.
Le problème avec ce nouveau régime, c’est qu’il pense qu’en accueillant à bras ouverts les chasseurs de primes, il neutralise leurs capacités de nuisance (pouvoir prêté à tort ou à raison aux Communistes). Le pouvoir Apr pense également qu’il peut tirer un bénéfice du statut de grands électeurs (Djibo Kâ n’en est plus un depuis 1998) pouvant lui faire engranger des suffrages en grand nombre ou l’aider dans la massification du parti. Halte à l’imposture des Communistes ! Jamais dans l’histoire politique du Sénégal, un parti d’obédience communiste ou marxiste-léniniste n’a dépassé la barre des 5% des suffrages dans une élection. Des faiseurs de rois ? Ils en sont à des années-lumière. Du menu fretin ? Assurément oui ! En vérité, ces «Coco» polluent et encombrent inutilement l’espace politique.
De fait, les chasseurs de primes excellent dans l’opportunisme et l’imposture pour récolter des fruits semés par d’autres qu’ils ont auparavant combattus à mort. Leur modus operandi, c’est le reniement par rapport à leurs idéaux ou à leur profession de foi de départ, la transhumance politique, l’agrippement aux coalitions au pouvoir ou la création d’un mouvement de soutien comme voie de contournement pour rejoindre plus tard le parti au pouvoir. Là où les lanceurs d’alertes ont d’ores et déjà gagné la sympathie des Sénégalais, les chasseurs de primes, parce que vomis par les populations, ne feront qu’aliéner au Président Macky Sall le soutien de ses concitoyens. En effet, leur image d’inconstance, de fourberie ou de traîtrise ne passe pas aux yeux des Sénégalais qui ne veulent plus les voir, même en peinture. Donc, le Président Macky Sall n’a rien à gagner à s’accointer avec de tels individus. Par contre, il a tout à perdre, car rien que la présence à ses côtés de ces messieurs peu recommandables lui coûtera un bon contingent d’électeurs qui ne piffent pas cette façon de faire la politique qui consiste à butiner d’un pouvoir à l’autre tel un papillon dans un jardin à fleurs.
Le Président Macky Sall gagnerait à prendre exemple sur ce chef d’Etat qui a chargé comme mission principale à un des conseillers qu’il a nommés, celle de lui dire tous les jours ce qui ne marche pas dans son pays. Ça, c’est de la rupture ! Toute disposition contraire tendrait à perpétuer un système qui a montré ses limites et qui n’a valu que regrets amers à tous les chefs d’Etat qui l’ont entretenu jusqu’à ce que la perte du pouvoir ne leur fasse revenir à la réalité. Tel le corbeau, dans la fable Le corbeau et le renard de La Fontaine, ils jurèrent, mais un peu tard, qu’on ne les y prendrait plus.
Pape SAMB
papeaasamb@gmail.com
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