Dans une récente interview dans un journal de la place (L’Observateur du 29 septembre 2016) sur les cartes d’identité de la Cedeao, le Directeur de l’automatisation du fichier (Daf) s’est exprimé, dans un entrefilet qui a failli nous échapper, sur la prochaine suppression du vote des militaires qui aurait désormais lieu en même temps que le vote civil.
Loin de moi l’idée de mettre en doute un seul instant le professionnalisme et les qualités de rigueur du directeur de l’automatisation du fichier dont j’ai eu à apprécier les qualités intellectuelles pour l’avoir pratiqué en tant que directeur de la Réglementation touristique sur la question du visa biométrique.
Mon objectif est d’ouvrir une boîte à idées sur la question pour susciter les avis des anciens militaires et des civils férus de stratégie militaire à l’exclusion des militaires en activité assujettis au devoir de réserve (qui a fait tant couler de salive ces temps derniers) et soumettre à l’autorité nos craintes par rapport à cette décision.
Le Général Mamadou Mansour Seck, qui fait autorité sur le sujet, est revenu sur cette question lors de son passage à la Tfm en disant que cette disposition était liée à un problème de sécurité et que si l’autorité pensait que cette précaution n’est plus à l’ordre du jour, elle peut la supprimer.
Ainsi donc en supprimant cette disposition, l’autorité penserait-elle qu’il n’y aurait pas péril en la demeure en mobilisant les militaires pour le scrutin le même jour que les civils ?
A mon humble avis, je crois qu’en prenant cette décision, l’autorité civile a seulement pris en compte la «prétendue majorité de la démocratie sénégalaise qui aurait seulement peur que le ciel lui tombe sur la tête» est une lecture superficielle de la mission des Forces de défense et de sécurité (Fds) réduite au rôle réducteur dans sa participation à la sécurité publique pendant le scrutin.
En restant dans cette perspective, alors même que l’environnement asymétrique dans lequel nous évoluons nous dicte une disponibilité opérationnelle permanente, nous refusons de tirer les enseignements de l’histoire militaire notamment de la «guerre du Kipour» et du syndrome américain de «suffisance sécuritaire» après la chute du mur de Berlin.
Dans le premier cas, c’est la surprise opérationnelle ayant abouti a la traversée de la ligne «Bar Lev» et la remise en cause même de l’existence d’Israël. Et dans le deuxième cas, c’est la surprise stratégique du 11 septembre qui continue encore d’influencer les relations internationales et pour longtemps.
Le Sénégal n’a ni l’histoire démocratique de ces pays même si après deux alternances nous nous croyons au firmament de la démocratie. Ni les capacités militaires et économiques de résilience pour renverser une situation préjudiciable à notre sécurité nationale. (Le Joola dont on n’a pas encore tiré toutes les leçons est encore frais dans les mémoires). Ainsi la disponibilité opérationnelle de nos forces de défense et de sécurité le jour du scrutin n’est pas seulement un problème de sécurité publique mais de sécurité nationale face aux menaces diffuses et multiformes, qui intègrent aussi la lutte contre les catastrophes majeures pour lesquelles les armées apportent leur concours à l’autorité civile ! Ces évènements ne peuvent être planifiés ni dans l’espace ni dans le temps sans la disponibilité de moyens opérationnels crédibles et la capacité de les mettre en œuvre le moment voulu.
Comment donc concilier l’impératif de sécurité et le droit à l’expression du suffrage des hommes qui sera le drame cornélien auquel fera face le commandement étant donné que le jour des élections où toute la Nation et les ressources sont focalisées sur le scrutin est «un temps faible», une fenêtre d’opportunité pour tout stratège du terrorisme ou toute velléité d’atteinte à la sécurité nationale.
Quel comble pour un commandant d’unité qui, recevant un ordre d’intervention, est obligé de se rendre compte que son unité est partie voter.
Au demeurant l’histoire militaire nous enseigne que quand les efforts sont focalisés sur un évènement majeur dans la vie d’une Nation, serait-ce la fête nationale (Rappelons-nous de l’attentat qui coûta la vie à Anouar El Sadate). Il est de bon ton de distraire quelques-uns pour regarder au-delà des remparts de la cité et ceux qui sont dédiés à cette tâche sont appelés «soldats» parce qu’ils reçoivent de la cité, une compensation pour cette distraction des «travaux champêtres» et cette compensation s’appelait «solde» d’où le soldat tire son nom et sa qualité de premier citoyen qui ne découlerait ainsi point du vote.
Alors laisser les forces de défense et de sécurité à leur mission permanente le jour du scrutin est conforme aux enseignements de l’histoire et à l’impératif de sécurité nationale surtout quand ce vote a peu d’impact sur l’issue du scrutin.
D’ailleurs le jour où ce vote sera décisif dans l’issue du scrutin, il ne s’agira même pas de contempler l‘alternative d’un vote simultané mais la suppression pure et simple du vote des militaires.
Dans des circonstances à peu près semblables où les militaires influaient sur les choix électoraux après la guerre de sécession, le congrès a simplement voté le «posse comutatus» pour laisser les militaires se consacrer à leur mission principale.
Alors la sagesse recommande de revoir cette disposition avec un plus grand recul et d’en apprécier toutes les conséquences.
Colonel Mamadou ADJE
Ancien directeur de la Règlementation touristique et facilitateur au Centre Kofi Annan pour le maintien de la paix (Accra)
makoumba4@yahoo.fr