Les trains qui arrivent à l’heure, a-t-on coutume de dire, n’intéressent pas grand monde. Ce n’est pas mon cas. Il y a quelques semaines, j‘ai eu l’honneur de me joindre aux habitants de mon quartier, Ouest Foire, pour défendre un bout de terrain sur lequel un entrepreneur voulait installer une station services.
Des hommes, femmes et jeunes armés d’une foi inébranlable en leurs possibilités, adossés à leurs droits et conscients de leur force en tant que groupe de citoyens sont sortis pour s’opposer à un projet qui défie le bon sens. Tout les donnait perdants, puisque les travaux avaient déjà commencé sur le site, protégé nuit et jour par une bonne dizaine de pick-up remplis de gendarmes obéissants, ayant reçu l’ordre de protéger le chantier contre je ne sais qui.
Lorsque les jeunes du quartier m’ont invité à les rejoindre pour mener le combat aux côtés de mes voisins et concitoyens, je me suis tout d’abord attaché à comprendre les tenants et aboutissants du projet contre lequel j’étais sensé me dresser. Je me suis alors adressé à des spécialistes et certains services compétents de l’Etat. Je me suis entendu dire, le plus souvent, que le promoteur avait des papiers en bonne et due forme; qu’il avait toutes les signatures requises depuis plusieurs années et avait donc bien le droit d’installer sa station.
En dépit du respect que je voue à ceux qui m’ont informé, qui sans doute ont dit le droit tel qu’il est écrit, à juste titre, je n’ai accordé à cette information officielle qu’une crédibilité toute relative car sachant, d’expérience, que la privatisation interstitielle de certains services publics, le copinage et toutes sortes de passe-droits peuvent faire obtenir à peu près n’importe quoi dans notre pays, y compris les autorisations les plus fantaisistes et les plus improbables, mêmes lorsqu’elles mettent en danger la vie d’autrui.
Lorsqu’un acte est manifestement illégitime car reposant sur une légalité douteuse, pour ne pas dire plus, le devoir de tout citoyen est de s’y opposer. L’installation d’une nouvelle «essencerie», entre deux stations déjà existantes, séparées l’une de l’autre de moins d’un kilomètre, ne peut se justifier par aucune nécessité sociale ou économique. Ouest Foire aurait pu se suffire de cette vérité seule pour s’opposer au projet. Mais les dirigeants du mouvement ont fait plus. Leur intelligence stratégique, leur citoyenneté et leur sens de la responsabilité forcent le respect.
Ils sont venus vous voir, documents à l’appui, pour prouver l’insondable menace qui pèserait sur la population si les autorités laissaient le promoteur conduire son projet insensé à son terme. Ils vous ont prouvé qu’un câble de la Senelec, d’un très haut voltage, passe en dessous du site. Ils vous ont montré que le canal d’évacuation des eaux de pluies, construit à coup de milliards par l’Etat il y a seulement trois ans, dans le cadre du programme de lutte contre les inondations, pourrait être gravement menacé, alors qu’il a fini de donner la preuve de son efficacité, car voilà plusieurs années que l’on ne parle plus d’inondation à Ouest Foire. Je ne sais pas s’ils vous ont parlé des enveloppes remplies de billets de banque qui ont accompagné les lettres adressées à certains dirigeants du mouvement, les invitant à une concertation devant réunir certaines autorités étatiques au niveau départemental et les représentants des populations et du promoteur. Bien entendu, ces généreuses enveloppes, venues d’on ne sait où, ont été renvoyées à leur envoyeur, sans autre forme de procès. Belle leçon d’intégrité.
Ayant documenté la dangerosité du projet, ils ont déposé une plainte auprès de votre Direction, la Descos.
Il m’est revenu qu’ayant pris connaissance de ces éléments, vous avez immédiatement ordonné la suspension des travaux sur le site. Une mesure conservatoire heureuse et opportune. Je vous en félicite vivement. L’action citoyenne responsable a ainsi rencontré la réaction républicaine diligente d’un agent de l’administration publique visiblement à la hauteur de sa charge.
Je voudrais donc saisir cette occasion pour vous dire combien votre acte nous rafraichit et nous rassure. Je n‘ai pas l’honneur de vous connaitre, ni ne connais vos agents, encore moins les actes qu’ils posent dans le cadre de leur travail pour me permettre un jugement de portée générale sur votre action.
Pour avoir été au front, avec un espoir bien maigre, il faut le dire, compte-tenu de ce que l’on sait dans notre pays, je mesure à sa juste valeur votre courage et votre perspicacité. Votre train est arrivé à l’heure, Monsieur le Directeur. Je vous invite maintenant à le garder sur les bons rails. Car être du coté des peuples, c’est être du bon coté de l’histoire.
Je sais bien que vous avez seulement fait suspendre les travaux sur le site, le temps d’y voir clair. J‘ai ouï-dire que des tractations seraient toujours en cours dans certains milieux, car le promoteur dit-on, n’aurait pas encore renoncé à installer son projet. Mais au vu des actes que vous avez posés sur ce cas et sur d’autres, avant et ailleurs, nul doute que vous saurez bien lire et décrypter les vrais enjeux.
Je n’ai rien contre les investissements de cette nature, bien au contraire. Mais nous devons réussir un équilibre dynamique entre la nécessité de l’investissement productif et l’impératif de l’organisation de nos espaces de vie et de la prise en compte des effets sociaux et environnementaux de ces investissements. De plus, il y a tellement d’endroits à Dakar et dans le pays, où une station services serait plus appropriée que sur ce bout de terre.
Nos espaces publics sont balafrés et agressés de toutes les façons qu’il est possible de détruire une chose. Sur la Vdn, en face du supermarché Exclusive, les dégâts occasionnés par les dizaines de gros porteurs appartenant à une entreprise de transit sur les dalles recouvrant le canal d’évacuation des eaux me choquent au plus haut point. Je ne parle même pas des camions stationnés en pleine route, depuis des mois, sur la contre-allée longeant la route de l’aéroport, en face de l’imprimerie Tandian. J’ai déjà été jusqu’à la mairie de Yoff pour signaler le danger, sans résultat. Un jour, à Dieu ne plaise, un grave accident pourrait avoir lieu sur place. Et comme toujours, nous mettrons tout sur le dos de la Providence.
Nos quartiers ont besoin d’espace de jeux pour nos enfants, de jardins publics, de terrains de sport, de piscines municipales, de maisons de quartiers pour abriter nos cérémonies, etc., comme cela se fait dans tous les pays normaux. Aidez-nous, Monsieur le Directeur, à préserver ce qui nous reste!
Dr Cheikh Tidiane DIEYE