Il y a quelques mois, en vue d’une présentation, j’avais besoin d’un livre de Cheikh Anta Diop. Pour cela, je fis le tour de quelques librairies dakaroises, pensant que ce serait une formalité. Hélas, ce ne fut pas le cas, entendant de tous les libraires la même réponse : «Désolé, nous ne l’avons pas». Désespéré, J’en parlai au frère d’un ami, étudiant à l’Ucad, et qui me promit de le rechercher dans la bibliothèque de l’université qui porte son nom. En vain, le livre n’y était pas disponible. Je réussis finalement à obtenir le livre par le biais d’un cousin qui vit en France.
Quand j’étais enfant, mon quartier possédait une petite bibliothèque, où je passais mes temps libres. Quand elle ferma, je m’inscrivis à celle de l’Institut français, où l’abonnement annuel coûte 20.000 francs, une somme relativement modique. Mais imaginons l’élève dont les parents peinent à trouver de quoi le nourrir. Comment se procurera-t-il une telle somme ?
Trouver une bibliothèque dans les pays occidentaux est très aisé, et l’abonnement y est souvent gratuit. Je ne me réfère pas ici aux bibliothèques nationales, mais plutôt aux petites bibliothèques de quartier. Un contraste avec le Sénégal, qui ignore les multiples bénéfices de construire une bibliothèque nationale et des bibliothèques de quartier.
Les études requièrent le calme, la tranquillité. Un élève ou étudiant d’un quartier populaire trouve difficilement un tel environnement. Construire des bibliothèques permettra d’y remédier. Ce faisant, il pourra trouver cet environnement calme qui favorise la créativité. Plusieurs fois par semaine, je pars courir à la corniche. Au retour, je marche pour observer et réfléchir dans le calme. C’est ainsi que j’ai constaté le contraste entre disons Fann-Résidence – un environnement calme, sans bruit et Grand-Dakar – une ambiance de fête, bon-enfant. Lequel des enfants des deux quartiers aura les plus grandes chances de réussite ?
Si l’élève ou l’étudiant de Grand-Dakar trouvait un endroit calme, où il pourrait réviser et s’épanouir, ses chances de réussite augmenteraient. Une bibliothèque permet justement de créer ces conditions.
Les bibliothèques nationales ne servent pas juste de lieu pour lire, faire ses recherches, elles ont aussi une mission de sauvegarde du patrimoine littéraire du pays. Les livres des auteurs locaux y sont obligatoirement déposés. Ma difficulté à me procurer le livre de Cheikh Anta Diop ne se serait pas posée si le Sénégal disposait d’une bibliothèque nationale, où tout livre écrit par un Sénégalais serait obligatoirement consigné. Lors de mes années d’études à l’étranger, il m’arrivait souvent de voir sur les étagères de la bibliothèque de mon université, un livre écrit par un auteur sénégalais qui m’était inconnu. Un jour, par curiosité, je déambulais dans le rayon des livres d’auteurs africains. J’y vis un livre de Senghor intitulé Liberté 1. C’est ainsi que j’ai découvert que le nom de mon quartier – liberté 1 – tire son nom de ces livres.
Quand j’entends les revendications des musiciens et des acteurs, j’ai l’impression que les Sénégalais croient que la culture se limite à la musique, au cinéma et au théâtre. Et le livre dans tout cela ? Dans son livre Internet nous rend-il bêtes, Nicolas Carr défend l’idée que la civilisation occidentale s’est imposée grâce à l’essor des livres. Et avant elle, si le monde arabe domina le monde pendant des siècles, il le doit à sa culture du livre, avec les traductions des philosophes grecs et la création de la maison de la sagesse par le calife abbasside Haroun Ar-Rachid, ouverte aux savants par son successeur Al-Mamoun.
Former les leaders sénégalais de demain ne doit pas être juste l’apanage de l’Etat. Les hommes d’affaires sénégalais y ont un grand intérêt aussi – cela leur permettra de former les ressources humaines dont ils auront besoin. Quand il vendit sa société d’acier, Andrew Carnegie- l’un des hommes les plus riches de tous les temps – investit cette somme dans des œuvres philanthropiques, instaurant une tradition que poursuivront les autres self-made men américains. Il créa une université – Carnegie Mellon Université – et un réseau de bibliothèques – jusqu’à 2509 – aux Etats-Unis pour permettre à l’américain moyen d’augmenter son savoir. Il avait compris que cela favoriserait demain les entreprises américaines.
Aussi, les hommes d’affaires sénégalais doivent-ils participer à cette entreprise de salut public qui est de doter le Sénégal d’un réseau de bibliothèques. Tout comme il a construit un grand théâtre et un théâtre national, l’Etat doit en faire de même en construisant une bibliothèque nationale. Entreprendre ces actions permettra d’offrir aux Sénégalais défavorisés une meilleure égalité des chances, et au Sénégal de sauvegarder son patrimoine littéraire. Ces actions relèvent de l’urgence, et dans des années, se révéleront être des investissements avec un rendement très élevé.
Moussa SYLLA
moussasylla@live.fr