Le texte de Monsieur Mody Niang publié dans la presse des 5 et 6 octobre 2016, et qui a suscité des réactions, elles aussi parues dans quelques quotidiens, pose clairement le cas du statut de ce qu’il est convenu d’appeler Première dame de la République.
A y regarder de plus près, un parallèle est observé dans l’ « émergence » dudit statut, intrinsèquement lié aux droits et libertés pour lesquelles les Sénégalaises (soutenues quand même par des hommes ouverts à leurs causes), se sont battues et obtenus.
Chaque époque, entre 1960 et 1980, la Sénégalaise-type est confinée à un rôle de femme au foyer, ménagère disait-on et inscrivait-t-on même sur les cartes d’identité nationale, en son temps.
Durant les années 1980-1990, les ajustements structurels ont suivi les années de sécheresse, et envoient des milliers de chefs de famille au chômage. Les usines ferment leurs portes, la Fonction publique dégraisse. Les hommes peinent à trouver un emploi formel, les femmes prennent le relais, sortent de leurs foyers et s’enhardissent. Elles s’organisent dans des activités associatives, dans la restauration, la petite industrie de la mode et/ou de la beauté. Elles se substituent parfois aux hommes pour au moins arrondir les fins de mois et même dans certains cas, entretenir les ménages. Au plan politique (politicien), une campagne de désenghorisation est lancée. Elle n’a pas seulement pour objet, de trouver une nouvelle honnêteté à Abdou Diouf. Son épouse est également dans la propagande qui fit entendre à tous les Sénégalais que le Palais venait d’être occupé par (presque) d’authentiques Sénégalais. En effet, Senghor qui était comparé à un bounty, (ces biscuits enrobés de chocolat, mais dont le cœur était de vanille : noir dehors, blanc dedans) et son épouse française, venaient de leur laisser la place au Palais de l’Avenue Roume. Après une décennie de silence, Madame Diouf opère sa mue, prononce un discours, est aux premiers rangs des fidèles lors de la visite du Pape Jean Paul II, sort de sous le couvert de la Fédération nationale de l’action sociale (Fnass). L’histoire retient qu’en pleine période de préparatifs du 20ème anniversaire, Abdou Diouf trouve un prétexte pour le faire reporter. Deux mois après, la Fondation de son épouse était créée. Madame Diouf s’affirme alors comme actrice de la vie publique, notamment avec sa fondation Solidarité-Partage. A l’époque déjà, et plus encore après la chute du Président Diouf, des voix se sont élevées pour dire l’opacité qui entourait l’objet, son fonctionnement et sa gestion et ont rebaptisé la « Fondation Solidarité, Partage… du gâteau ».
Les années 2000 seront celles de la Sénégalaise décomplexée, qui revendique sa part de légitimité dans la construction nationale, comme Viviane Wade réclame sa sienne dans le Sopi. Elle a par ricochet, pris les coups reçus par son mari, en a donné, assumé ses défaites et a été dans le sillage de l’inlassable conquête de son époux pour le pouvoir. Exaltée par la victoire de son époux, elle sort du Palais, va faire son marché, participe à une marche pour protester contre les violences faites aux femmes, interpelle des soldats en partance pour le Congo en les mettant en garde contre les risques que des vendanges non protégées pourraient causer des récoltes sidéennes et précipite dans la nuit d’un tombeau, la Fondation de Madame Diouf. Elle crée l’ «Association Education-Santé », fait construire un hôpital à Ninéfécha, administré par le ministère des Forces Armées. Le ministère de la Santé de l’époque avait mis à sa disposition un personnel médical. Ce qui avait fait dire à un opposant de son présidentiel époux, non sans raison d’ailleurs: «Ce qu’on voit c’est que la première dame a son cabinet, donne des ordres aux ministres, au Premier ministre et a un budget. En réalité c’est un président bis ». Maître Wade avait, quant à lui qualifié son épouse de « sa première opposition ». C’est dire que la Première Dame de l’époque, était dans tout. Un an après la défaite de son époux, elle informe qu’elle dissout l’association et fait fermer l’hôpital. On n’avait jamais vu pareil arrivisme pour si peu d’arrivage !
Quant à Marième Faye Sall, elle est décrite comme étant « cette femme qui s’était engagée sur le terrain politique aux côtés de son époux, participant à la mobilisation des électeurs, en pantalon jean et un T shirt à l’effigie du candidat, une casquette vissée sur la tête ». Le couple qu’elle forme avec l’actuel président de la République, constitué de deux êtres nés après l’indépendance du pays, nous renvoie sa différence avec la vieille classe politique et son engagement « naturel » avec la rupture. Dès l’accession de son époux à la Présidence de la République, le ton est donné : elle, Sénégalaise bon teint, de père et mère, n’est pas venue d’ailleurs. Cette fois-ci c’est la bonne, pas d’étrangère. Mais très vite, contrairement aux Premières dames précédentes, elle fait l’objet, à tort ou à raison d’alarme dynastique, entre faits de Première Dame, bon plaisir et esprit de cour. Sur son blog, il est inscrit : Marième Faye Sall, Première Dame du Sénégal- Blog officiel, mettant ainsi en exergue un lien privé qui donne un privilège public. La Fondation elle-même, n’a ni site, ni blog. Ou s’ils existent, ils ne sont pas référencés. Quand ce n’est pas la société de Loterie nationale sénégalaise qui offre des ambulances à la Fondation Servir le Sénégal qu’elle a mise en place, «elle bénéficie de nombreux soutiens matériels et financiers de mécènes qui cherchent peut-être le retour de l’ascenseur », selon Monsieur Baba Tandian, qui n’ignore rien de ce qu’il dit, lui qui a soutenu Solidarité-Partage, Education Santé et maintenant Servir le Sénégal. On ne peut être plus généreux et plus patriote, n’est-ce pas ?
Toutes ces Premières dames ont quelques points communs. A un moment ou à un autre du ou des mandats de leurs présidentiels époux, elles ont arbitré des querelles politiques, en faisant prévaloir leurs préférences et leur détestation. Seule leur façon de faire est différente. Et c’est là que se situe le nœud du problème. Pas élues, (les électeurs votent pour un candidat et non pour un couple), elles ont plongé (hormis Madame Senghor), avec leurs Fondations ou association dans des domaines sociaux qui ne sont en rien liés à leurs trajectoires personnelles, mais dont une dynamique a pris forme en les faisant passer de l’effacement à une visibilité accrue grâce à leurs actions humanitaires ou sociales, leur octroyant un rôle politique manifeste. L’objectif de leurs Fondations, leur mot d’ordre est d’identifier les groupes vulnérables, de diminuer les souffrances, de dérouler une politique compassionnelle, s’arrimant ainsi dans cette niche sociale d’un Etat en ruine et d’une privatisation de la redistribution sociale. C’est là que se sont affirmées et continuent de l’être, les activités les plus symboliquement et politiquement de nos Premières dames. Le départ du pouvoir du Président battu s’accompagne généralement d’une vague de rejet de l’épouse, qui juste avant l’élection perdue avaient subjugué par leur charme, leur générosité, leur simplicité.
Dérivé du « First Lady » américain, le terme Première dame devient l’équivalent qui qualifie l’épouse d’un candidat sorti vainqueur d’une élection présidentielle. Au Sénégal, le statut des Premières dames, a connu un processus lent mais continu d’institutionnalisation et de formalisation. Le même phénomène est observé en Afrique francophone où les Premières dames sont organisées dans un mouvement. Cette évolution a contribué à façonner les frontières des sphère publique et domestique que chevauche le pouvoir politique, au point où des voix se sont élevées pour qu’une fonction politique officielle leur soit attribuée. Mais officielle ou pas pourra-t-on un jour dissoudre les humeurs d’une première dame dans une solution constitutionnelle?
Apparu au Etats-Unis, First Lady a été adapté et a pris une couleur locale sénégalaise ou africaine francophone. En Amérique Hillary Rodham Clinton est en passe de devenir la Première femme, Présidente de Etats-Unis. Bill lui, après l’avoir été, se retrouvera accompagnant la nouvelle élue. Dans les coulisses, sûre qu’un nom lui a déjà été trouvé. Faudrait-il qu’on attende que les Américains l’inventent pour nous l’approprier?