Cher Ousmane, j’ai entendu parler de ton entrevue dans une émission télé du dimanche, le 23 octobre 2016, apparemment tu y étais invité comme juriste. D’abord toutes mes félicitations pour tes accomplissements, je ne suis point surpris, je sais que tu aimes la matière juridique et que tu as toujours rêvé l’enseigner. Je me souviens de nos chaudes empoignades intellectuelles mais très fraternelles comme étudiants à l’université de Perpignan.
Selon un éditeur de presse en ligne, tu serais l’auteur de ce propos à l’égard d’un ancien Premier Ministre: « Je ne peux pas être Premier ministre, contresigner un décret, sortir du gouvernement et critiquer ce décret que j’ai signé. De dire que les autres ne m’ont pas donné la bonne information. Il est plus responsable que le chef de l’État quand il contresigne un décret. La contre-signature, c’est que dans un régime comme le nôtre, on considère que le président est irresponsable politiquement. Quand le Premier ministre contresigne, c’est lui qui endosse cette responsabilité. Devant les difficultés, c’est lui qui va répondre devant l’Assemblée. Donc je considère sa sortie très légère».
Vraiment? Toi Ousmane, maitre de conférences à l’Université, qui donnes des cours aux étudiants? Je ne peux pas le croire, à moins que les cours de François Féral te semblent très lointains ou que l’on ait au Sénégal une bien curieuse acception de la notion de contreseing et de responsabilité ministérielle.
Éloignons-nous un peu du tumulte politicien et l’œil des cameras, (le buzz n’est pas propice à la sérénité d’un débat intellectuel honnête). Revenons au sujet : un Premier ministre contresigne un décret, des années plus tard il découvre que le rapport de présentation du décret contenait des inexactitudes qui ont fondé la prise de décision, il interroge le Président de la République sur sa connaissance au moment de la signature du conflit d’intérêt impliquant sa parenté. Par quelle tour de magie juridique la responsabilité d’un contresignataire d’un décret peut-elle être engagée?
Beaucoup de confusion à mon avis entre la solidarité gouvernementale et la responsabilité ministérielle. Lorsque cela arrive tu sais bien qu’on a le choix, soit prendre une mesure de validation ou annuler l’acte, cela arrive même pour un acte notarié, à ce moment on procèdera par inscription de faux, mais jamais on ne va engager la responsabilité de l’autorité qui instrumente l’acte.
Sur le contreseing :
Dans notre petit livret vert jadis intitulé ‘’Lexique des termes juridiques’’ de Dalloz, le contreseing y est défini comme : » la formalité par laquelle une personne ayant reçu qualité pour le faire, atteste de l’authenticité de la signature apposée sur un document par une autorité sur un acte public’’. Si tu as une autre définition en vertu d’une loi d’interprétation, voire un avis du Conseil constitutionnel, je suis preneur, mais d’ici là je suis obligé de m’en tenir la définition d’usage.
Pourquoi je parle d’authentification? Parce que les actes qui doivent être signés du PR sont de deux catégories, ceux qu’il signe seul et qui sont des actes de pleine souveraineté et ceux (ordinaires) qu’il peut déléguer ou qui sont soumis au contreseing pour authentifier qu’ils émanent de lui. Le contreseing n’a pour effet un transfert ni de compétence ni de responsabilité, ce serait induire en erreur tes auditeurs.
Sous l’empire de la Constitution de 2001 à l’article 43 «Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets. Les actes du Président de la République, à l’exception de ceux qu’il accomplit en vertu des articles 45, 46, 47, 48, 49 alinéa 1, 52, 60-1, 74, 76 alinéa 2, 78, 79, 83, 87, 89 et 90 sont contresignés par le Premier Ministre.» notons que dans la constitution française qu’on a copié c’est le même phénomène :« les articles 19 et 22. de la Constitution prévoient que » Les actes du Président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier Ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables »»
Le nombre des actes non soumis au contreseing du PM est même plus important au Sénégal passant du simple au double, donc contrairement à ton affirmation le PR du Sénégal est plus responsable que son PM qui n’a qu’une compétence résiduaire en la matière.
Exemple si un jour le PR comme il en a l’autorité signe le décret qui te nomme Professeur d’Université, sur la base de ton inscription sur une liste de qualification, de ta candidature à un concours de recrutement par poste, sur tes titres et travaux et que le PM contresigne ledit décret, cela ne veut absolument pas dire qu’il valide l’acte du PR mais plutôt qu’il authentifie la signature du PR, puisque c’est l’art. 44 de la même constitution qui donne le pouvoir au Président de nommer aux emplois civils.
Si nous sommes d’accord avec la prémisse que nous sommes dans un régime présidentialiste qui donnes quasiment tous les pouvoirs au PR, il serait douteux voire aberrant que l’on donne au PM simple coordonnateur de l’équipe gouvernementale un quasi droit de véto et un pouvoir de validation des actes du PR, c’est juste insensé Ousmane. Qui plus est, prenons comme hypothèse pour les fins de mon exposé, que les titres universitaires qui soutiennent ta candidature comme professeur et qui ont concouru à la prise de décision soient sujets à caution. Comment pourrait-on raisonnablement imputer cette responsabilité au PM qui signe es qualité ton décret de nomination? (je sais que ton parcours universitaire exempt de tout vice et tu es brillant).
Dans ma compréhension de la lettre de Mr Mbaye, il ne critique pas le décret en question comme tu le mentionnes, il dit qu’il est corrompu par le rapport de présentation qui l’accompagne. Ce rapport affirme des choses qui s’avèrent inexacts par la suite, donc la question ici est de déterminer le moment de la connaissance de ces inexactitudes par Mr Mbaye pour voir s’il a tardé ou non à alarmer ou interroger le PR. Comme nous l’avons appris en droit, la bonne foi se présume, jusqu’à preuve du contraire.
Ensuite, tu sembles faire une confusion (je suis tenté de dire exprès car je sais que tu sais) entre solidarité gouvernementale, responsabilité politique et responsabilité administrative. La responsabilité dont il s’agit ici est une responsabilité fonctionnelle. Il s’agit, selon la jurisprudence du Conseil d’État français, des ministres auxquels « incombent, à titre principal, la préparation et l’application des actes » considérés ( CE, Sect., 10 juin 1966,. C’est une interprétation du texte constitutionnel, qui permet d’examiner la régularité formelle de textes réglementaires.
En l’occurrence le ministre responsable n’est nul autre que celui des mines qui a présenté le décret, c’est lui qui prend l’initiative d’élaborer le texte du rapport en cause, confie à ses services la responsabilité principale de cette élaboration, s’emploie à recueillir le concours de toute ressource administrative qui lui est nécessaire, et soumet le texte au conseil des ministres.
Comment dans ces conditions demander au PM qui contresigne le décret de refaire tout le travail en amont avant d’apposer sa signature sous celui du PR qui s’est lui, fié a priori sur l’Administration?
Admettons qu’un PM tatillon s’aventure à contre-vérifier tout ce que les ministres préparent, quels seraient les délais de traitement des dossiers administratifs? Quelle serait l’utilité des nombreux attachés administratifs et autres conseillers que nous payons pour ce faire? Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le caractère dangereux d’un tel raisonnement, un décideur serait responsable juridiquement nonobstant la faute individuelle dans la chaîne d’élaboration administrative? Cela veut dire que malgré un avis technique requis et soumis, un ministre serait responsable à raison d’une fausse déclaration sur des faits qu’il n’avait pas pour mission de constater?
Que le ministre de l’intérieur serait responsable d’avoir délivré un passeport sur la base d’un acte d’état civil basé sur de fausses représentations?
Qu’un notaire instrumentant serait responsable de poser un acte alors que son client aurait menti sur son état civil par exemple?
Qu’un ministre serait responsable suite à un mensonge dans une déclaration d’utilité publique?
Vois-tu ou cela nous mène?
Au delà de la personne de l’ancien premier ministre, admettant qu’il soit responsable même, peut-on lire son message au lieu de tirer sur le messager? Parce qu’après tout, le problème reste entier, l’État du Sénégal a contracté avec quelqu’un qui a un casier judiciaire, le triangle Petrotim-Timis-Kosmos comme celui des Bermudes laisse galoper nos imaginations sur des disparitions inexpliquées, tantôt il s’agit de nos milliards tantôt des sociétés off shore.
J’ai appris au moment d’écrire ces lignes que tu serais, un militant APR section Fouta, (ce qui reste à vérifier et sous réserve de rétractation), le cas échéant cela expliquerait cette ligne de défense au profit du gouvernement. Il y a pas de mal à militer dans un parti, cher ami, mais il ne faut pas que nous confondions les genres, assumons nos casquettes politiques sans nous appuyer sur nos titres académiques pour donner du poids à nos postures politiques. Bien entendu je suis ouvert aux arguments que tu voudras bien m’apporter pour justifier ton propos, le tout sans acrimonie et en toute amitié.
Maître Pape Kanté
Avocat!