Rappelons qu’au début des années d’indépendance, dans un air très célèbre, Maada Thiam chantait Vive Sénégal Yalla ko may Bakh et pour elle, et pour cause tous nos saints hommes : Serigne Boucounta Kounta Ndiassane , El Hadj Malick Sy, Cheikh Abdoulaye Niasse et Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké avaient prié pour cette nouvelle Nation. Un ami mécréant, homme de gauche réagissant à cette chanson, me disait en quoi le Sénégal peut-il être béni par les prières de ces saints, n’ayant ni pétrole ni gaz ? Pour lui, dans sa vision néo-mercantiliste, notre pays dépourvu de ressources naturelles ne pouvait qu’être handicapé dans la course au développement.
L’exploitation et le commerce des matières premières -notamment le gaz et le pétrole- représentent la principale source de devises étrangères et de recettes fiscales pour de nombreux pays en développement ; plus de 80% pour des pays africains comme l’Angola, la Guinée équatoriale ou le Nigeria.
Cette manne aurait dû théoriquement leur permettre de financer tout ou partie de leurs efforts en matière de développement, ce d’autant que le prix du pétrole a été multiplié par sept depuis la fin des années 1990. Dans cette logique, il y aurait tout lieu de se réjouir de la découverte de gisements de gaz et de pétrole de dimension mondiale dans notre pays, au large de Cayar, de Gueumbeul et de Sangomar, qui fera du Sénégal un membre du club fermé des pays africains producteurs de gaz et pétrole. La manne financière attendue devrait ouvrir de nouveaux horizons pour transformer notre économie et sortir les populations sénégalaises de la pauvreté. Toutefois, il convient d’être prudent à cet égard.
Les courants de pensée économiques dominants ont toujours considéré l’abondance de ressources naturelles comme un puissant vecteur de développement. Les investissements directs étrangers dans le secteur extractif et les recettes d’exportation devant contribuer ipso facto au développement économique, conformément aux théories selon lesquelles l’apport de capital représenterait la clé de voûte des stratégies de développement.
L’histoire économique des ces dernières années nous enseigne que cet optimisme ne doit être pas de mise. La plupart des études récentes ont pu montrer que l’exploitation d’hydrocarbures tendrait plus tôt à fragiliser la cohésion sociale, le tissu économique, et les institutions politiques des pays producteurs. De manière paradoxale, l’exploitation des richesses du sous-sol est souvent associée à la misère des populations locales, à la mauvaise gouvernance et à la dégradation de l’environnement ; bref à une source d’inégalités et de mal-développement.
Dès le début de nos indépendances, la malédiction des hydrocarbures a frappé des pays africains comme le Nigeria (sécession du Biafra), Congo et Angola (guerre civile) et créé de véritables kleptocraties au Gabon et en Guinée équatoriale.
Est-il possible de conjurer pour le Sénégal, cette malédiction, ce paradoxe de l’abondance des ressources naturelles appelé «mal hollandais» (Dutch disease) en référence aux découvertes de gaz naturel de la région de Groningue dans les années 1970 qui ont ruiné l’économie des Pays-Bas ?
Les causes de ce «paradoxe de l’abondance» sont multiples, comme le sont les explications relatives à l’impact négatif des ressources sur la performance économique des pays concernés.
La future industrie extractive, secteur très intensif en capital, mais très peu en main-d’œuvre élèvera le niveau des salaires qui tendra à se diffuser dans le reste de l’économie, au détriment de l’emploi et de la compétitivité du pays.
C’est pourquoi le futur boom gazier et pétrolier ne permettra pas d’absorber le chômage. Il faudra que le Gouvernement sénégalais continue à investir dans les secteurs comme l’agriculture qui est à haute intensité de main-d’œuvre.
Sûrement que la hausse exponentielle des recettes d’exportation du gaz et du pétrole, par exemple, aura pour effet l’appréciation du franc vis-à-vis des devises étrangères. En conséquence, des secteurs d’exportations traditionnelles du Sénégal comme l’arachide, les produits halieutiques et le secteur touristique, soumis à la concurrence internationale, perdront en compétitivité, avec des faillites et des pertes d’emploi à la clé.
Pour satisfaire l’augmentation de la demande intérieure, les ressources (capital et travail) s’orienteront vers la production de biens non compétitifs ce qui pénaliserait le secteur des exportations traditionnelles.
A une époque où l’Espagne des conquistadors profitait d’un accès privilégié aux richesses aurifères des Amériques, Miguel de Cervantes Saavedra déclara que «la gratification de la richesse ne se trouve pas dans la simple possession ni dans des dépenses somptueuses, mais bien dans son utilisation mesurée».
Le Sénégal devra faire sienne cette assertion pour conjurer le funeste sort qui a atteint la plupart des pays africains pourvus d’hydrocarbures. Comment faire servir les ressources naturelles au développement de notre pays ?
Les hydrocarbures n’ont pas été toujours un piège diabolique, les enchaînements macroéconomiques subtils décrits dans le cadre du «mal hollandais» ne sont pas systématiques ou inévitables.
De plus, s’agissant de la malédiction pétrolière, il faut bien préciser qu’elle ne joue pleinement que si et seulement si, les bonnes institutions (celles qui garantissent un contrôle parlementaire et des contre-pouvoirs, celles qui définissent avec soin et protègent les droits de propriété, celles qui organisent la concurrence sur les marchés des biens, du travail et des capitaux) ne sont pas au rendez-vous.
Heureusement pour notre pays, que cette découverte a eu lieu bien des années après l’indépendance et le parti unique ; dans un Sénégal d’une grande maturité politique, qui n’a jamais subi de coup d’Etat militaire, où existent une puissante et vigilante Société civile et une presse libre, avec une unité nationale renforcée.
Face à la future gestion des ressources naturelles, en particulier le pétrole et le gaz, qui agite depuis quelque temps, le landerneau politico-médiatique du Sénégal, le président de la République, Macky Sall, conforme à l’engagement du Sénégal à respecter le programme Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) a pris le décret n°2016-1542 du 3 août 2016 portant création et fixant les règles de fonctionnement du Comité d’orientation stratégique du pétrole et du gaz (Cos-Petrogaz).
En plus de la constitutionnalisation du droit des populations sur les ressources naturelles, cette structure devra renforcer le dispositif global de transparence dans la gestion des ressources naturelles.
Dans cette même lancée, depuis quelques jours l’ensemble des contrats miniers (or, phosphates, zircon, cuivre,…) du Sénégal sont disponibles sur le site du Gouvernement, c’est-à-dire www.gouv.sn.
Il faudra une politique monétaire autonome non liée au trésor français, adaptée et crédible, qui pourra en effet contrecarrer tout ou partie de la tendance à l’appréciation de la monnaie et le renchérissement des coûts de production intérieurs.
Mais il reste à assurer que l’accumulation de réserves en devises ne provoque pas d’inflation et que les revenus supplémentaires à travers un fonds souverain puissent être dépensés judicieusement et gérés de manière transparente. Les programmes de développement des infrastructures et des voies communication comme :
- Les corridors Autoroute /Chemin de fer Dakar–Tambacounda et Dakar-Saint-Louis
- Le renforcement du capital humain qui a toujours donné des avantages comparatifs, au Sénégal par la construction d’universités de haut niveau et des centres de recherches.
- Faire du Sénégal un hub sanitaire de la sous-région ouest-africaine, un lieu de tourisme médical grâce à la construction d’hôpitaux ultramodernes.
S’agissant des questions de redistribution, au Sénégal avec la liberté de presse, l’activisme de la Société civile et la conscience politique des populations, les futurs revenus pétroliers ne pourront pas être accaparés par une minorité.
Avec les importantes découvertes des gisements pétroliers et gaziers Sangomar Offshore Profond, Saint-Louis Offshore Profond , Cayar Offshore Profond, l’Etat sénégalais aura les moyens budgétaires de financer le programme d’urgence pour la modernisation des axes frontaliers dénommé Puma. Ceci pourra renforcer l’Unité nationale en ce sens que ces ressources énergétiques découvertes au large du pays wolof (Cayor,Walo) pourront financer le développement des régions périphériques qui se sont tant plaints du chauvinisme «grand wolof».
Avec le Pudc à travers un maillage serré d’infrastructures sociales de base dans ces espaces déshérités, le Gouvernement pourra accélérer le transfert des compétences et des ressources afin de permettre aux populations locales et aux élites de dépendre moins de l’Etat central.
Dans les années 2020, avec l’approfondissement de la démocratie, la participation citoyenne à la nouvelle manne gazière et pétrolière sera un puissant levier de développement durable comme en Norvège et non une calamité comme au Sud Soudan.
Amadou Bakhaw DIAW
Cesag/Dess/Economie de la Santé
Directeur de l’Etablissement Public de Santé 1 de Richard Toll
diaogo.nilsen@gmail.com