Maman, je ne sais même pas par où commencer cette lettre que, pourtant, je tiens tant à vous écrire depuis ; pas seulement en tant que votre ancien étudiant au Département d’Anglais, mais également en tant que témoin oculaire des efforts que vous avez déployés avec désintéressement, je le suppose, pour la bonne marche de ce département parmi les plus surpeuplés de l’université de Dakar, sinon le plus surpeuplé.
Maman, j’ai été témoin en tant qu’étudiant de première et de deuxième année, des difficiles conditions dans lesquels vous donniez vos cours au Camp Jérémy. Empathique, vous nous demandiez souvent de façon sympathique de ne pas nous asseoir sur des briques ou à même le sol. Comme si vous ressentiez la peine dont nous souffrions, parfois, en suivant les cours debout sur la pointe des pieds derrière une fenêtre, au-dessus des épaules d’un camarade. Orphelins et sans tuteurs dans une mégapole comme Dakar, où les villageois que nous sommes avions du mal à nous adapter à cause de l’individualisme qui avance à pas de géant ; alors que certains abandonnaient purement et simplement les études, nous qui nous étions accrochés voyions en vous un réconfort et une consolation. D’autant plus que vous ne manquiez jamais, en venant, d’amener un peu d’argent pour assurer la photocopie des textes que nous exploitions.
Maman, pour vous assurer combien votre présence nous rassurait, je vais rappeler à votre souvenir cette épreuve de listening lors d’un examen en deuxième année. Après une première lecture faite par M. Moreau, qui semblait lire par le nez, nous avions abandonné tout espoir de réussir, d’autant plus qu’on était en session unique. Cependant, quand vous fîtes irruption dans l’amphithéâtre Ucad II, un ouf de soulagement jaillit de toutes les rangées, comme si vous veniez d’ôter les sept cieux qui reposaient sur nos pauvres têtes. Votre lecture douce et limpide avait fini par donner raison à nos cris de joie.
Maman, étant chef de département, vous avez toujours pesé de votre poids pour que les étudiants, vos fils, réussissent en masse, plus par pitié que par souci de redorer votre blason, pardon ndokett, aux yeux des autorités universitaires. Sans oublier l’assistance sans faille que vous avez toujours apportée au Club d’anglais du département, comme une poule prête à tout céder au profit de ses poussins capricieux. Omar Fall, Moussa Ndour et Mansour Daffé, pour ne citer que ceux-là, en sont des témoins oculaires incontestés parce qu’incontestables.
Mais depuis que vous avez commencé à fréquenter les lambris dorés du Palais de l’avenue Roume, Maman, j’ai du mal à mettre un nom sur votre visage qui m’est, pourtant, très familier. S’agit-il en effet de Madame Ba ou de Marième Badiane ? Je ne saurais le dire ! Toujours est-il que votre sortie dans l’émission Face-to-Face a été un coup de massue duquel je ne me suis pas encore relevé. En tant que intellectuelle, je m’attendais à ce que vous dites que vous avez milité à l’Apr par conviction ou par idéologie plutôt que par émotion. Cet aveu m’a vraiment laissé koi ! Pourtant, cette injustice, que vous avez combattue sous Wade et qui vous a poussée à soutenir Macky Sall, a été subie par votre sœur, Nafi Ngom Keïta et votre collègue Amsatou Sow Sidibé, également par vos frères Ousmane Sonko et le Professeur Malick Ndiaye. Et «l’injuste, comme le disait l’autre, vous le savez mieux que moi, ce n’est pas celui qui commet un acte d’injustice mais celui qui assiste à cet acte sans mot dire». Autant dire, comme pour paraphraser la femme du roi Christophe dans la tragédie de Aimé Césaire qui s’adressait à un thuriféraire du roi : cela ressemble beaucoup à ce que vous aviez tant combattu auparavant et que aujourd’hui vous êtes la plus grande défenseure. Ou bien, à force d’arpenter les couloirs en marbre du Palais présidentiel vous êtes devenue endurcie par la real politik.
Maman, excusez cet amour filial, que dis-je, cette passion filiale qui me pousse à amener ce linge sale sous l’arbre à palabres. C’est seulement parce que je serais très déçu voire humilié, de vous voir trainée devant le tribunal de l’histoire, alors que votre nom devrait figurer en lettres d’or dans les annales de l’histoire. Et Bob Marley de chanter: “Don’t gain the world and lose your soul. Life is more than silver and gold.”
Elimane BARRY
Professeur d’Anglais
eltonbarry87gmail.com