Le processus de mise en place du haut conseil des collectivités territoriales a vécu. Le projet a été validé et les membres devant le composer ont été élus et où nommés. Le décret portant organisation et fonctionnement de l’institution ne diffère pas tellement des autres institutions qui l’ont précédée. Certains observateurs et analystes politiques, de simples citoyens ont marqué leur désaccord par rapport au projet. J’en faisais partie. Mais maintenant que le président a usé de ses prérogatives, acceptons le, mais soulevons quelques considérations d’ordres techniques et non politiques qui nous permettront peut être de partager nos inquiétudes par rapport au projet.
D’abord lever les confusions et les fausses interprétations
Je rappelle que l’acte 3 est une continuité dans le processus de décentralisation au Sénégal et à ce titre il s’est incarné dans ce que l’on a appelé d’abord le code l’administration communale, puis le code des collectivités local et enfin le code général des collectivités locales. Le code général des collectivités locales n’est pas l’acte 3, mais l’instrument qui va le matérialiser. L’acte 3 c’est la vision, c’est la politique qui a un contenu, des étapes et des techniques de mise en œuvre. Je demande souvent à mes étudiants de comparer le code des collectivités locales de 1996 à celui de 2013 car en dehors de quelques modifications du premier, 90% des articles et titres du premier sont dans le deuxième. Le code général n’est donc pas une nouveauté. Il n’est donc pas non plus nécessaire de souligner le caractère quasi permanent de la territorialisation des politiques publiques qui non plus, n’est pas une nouveauté. Ici je fais référence à la plupart des politiciens et nouveaux maires qui en parlent avec exaltation, émerveillement en faisant sciemment ou non table rase du passé. Mais on comprend que la plupart d’entre eux n’ont pas la formation requise et ne sont pas spécialistes de la décentralisation et n’ont jamais exercé dans la fonction publique et l’administration centrale. Parfois même ils ont été intérimaires de service et de passage et tombent inopinément dans le débat. Il faut les laisser faire leur cinéma et disparaitre. Ils sont sénégalais.
Mais entre nous militants et facilitateurs en politique de décentralisation, osons quand même poser le débat de l’intérêt technique pour ne pas dire la nécessité administrative du HCCT. Nous avons bien noté que finalement le HCCT ne prend aucune décision et cela se matérialise par le lexique de ses missions (participe, concoure, étudie, reçoit) etc., ce qui remet en question son impact réel sur le processus. Mais si on jette un regard critique, et même non critique, disons un simple regard, ce qui saute aux yeux de « l’observateur » dans ce domaine est qu’il y’a transfert et même parfois dépossession de compétence et ou de domaines de compétence pour ne pas dire simplement détournement de missions. Il est évident que les missions énumérées ne sont rien d’autres que les missions qui normalement sont dévolues au ministère même en charge de la décentralisation. Or il faut éviter que des missions régaliennes de l’état ne soient transmises à des comités ou à des institutions qui n’auront aucun répondant sur le plan administratif. Faut il encore le rappeler, dans l’administration, nous avons des manières de faire les choses, de traduire les visions en profession de foi (lettre de politique sectorielles au niveau des ministères), lettre de politique sectorielle déclinée en programme national, programme inséré dans des instruments de mise en œuvre communément appelés DPBEP et DPPD selon les directives N° 06 de juin 2009 de l’UEMOA et dont la traduction opérationnelle est matérialisée par les PTA (plan de travail annuel).
Je vais approfondir l’argumentaire en détaillant encore plus.
Prenons par exemple les missions du HCCT, le premier dit que le HCCT « étudie les moyens à mettre en œuvre pour le développement des territoires et le bon fonctionnement des collectivités territoriales », ensuite « concourt au renforcement du dialogue entre l’Etat et les acteurs territoriaux », pour dire en troisième mission « promeut le développement des bonnes pratiques dans la gestion des collectivités territoriales ». A mon humble avis, le principal organe de suivi que l’on appelle le CNDCL, conseil national de développement des collectivités locales, pouvait jouer le rôle du HCCT, dans ses missions. Cette instance, comme celles qui vont suivre sont tous institués par décret et le CNDCL doit se réunir chaque année et est présidé par le président de la république. Que ce soit sur le contrôle de légalité ou sur la coopération décentralisée, le CNDCL aurait pu jouer de son expertise, de son caractère pluridisciplinaire et de son ancrage institutionnel pour exercer ses missions. Malheureusement cela n’a jamais été fait et pourtant, ce conseil seul pouvait faire le bilan annuel, forces et faiblesses, opportunités et contraintes, recommandations, arbitrages, médiation, etc., bref sous l’encadrement et la supervision même du président de la république.
En ce qui concerne la coopération décentralisée, l’un des principaux obstacles demeure le principe de l’unicité des caisses, à l’heure presque ou partout dans le monde, la philanthropie gagne du terrain et ou le « capital » tend de plus en plus à éviter l’état et ses lourdeurs et pratiques qui ne sont pas toujours transparentes. Lorsque le président Abdou Diouf a voulu mettre en œuvre la première restructuration et régularisation foncière à Daliford a Dakar ( à l’époque une superficie de 12 hectares pour une population de 6000 habitants ) pour un fond de presque 12 milliards des Allemands, le problème de la destination s’est posé car pour les allemands, il n’était pas question que ce fond soit logé au trésor. Diouf a été obligé de signer le décret portant création du FOREF pour régler la question.
Pour les missions relatives au développement des territoires et à l’aménagement, je rappelle que nous avons le CIMAT qui est le comité interministériel de l’administration territoriale, (tiens, tiens) on retrouve ici l’une des activités phares anciennement exercée par la DAGAT (direction générale de l’administration territoriale) qui gérait et supervisait le contrôle de légalité et ses résultats étaient produits sous la forme d’un rapport intitulé « rapport sur le contrôle de légalité ». Cette activité de la DAGAT n’a pas prospéré car le maire, entouré de son staff, faisait face aux techniciens de la DAGAT qui épluchaient les dossiers un par un et à la fin vous délivraient un quitus de satisfecit. Elle a disparu car le contrôle à posteriori est passé par là. Ensuite, il y’a le CIAT (comité interministériel de l’aménagement du territoire) dont l’objectif justement est de veiller sur la mise en œuvre des politiques d’aménagement du territoire, avec notamment l’implication des techniciens et haut fonctionnaires de l’état. Faut il le rappeler, pour l’aménagement du territoire, la bible est le plan national d’aménagement du territoire dont l’horizon temporel est de 25 ans. En d’autre termes la photographie du territoire national dans 25 ans, c’est le PNAT.
Enfin pour tout ce qui est appui, évaluation des politiques, renforcement de capacité, rapport, nous avons la CNACER (commission nationale d’assistance aux centres d’appui au développement local) qui joue le rôle d’appui technique et institutionnel, surtout (appui institutionnel), terme que nous aimons bien dans l’administration sénégalaise. Mais plus encore, il y’a lieu de se demander à quoi servent l’association des maires du Sénégal ( AMS) et même de l’union de l’association des élus locaux ( UAEL) ainsi que toutes les autres formes d’organisations qui participent à la mise en œuvre du processus de décentralisation au Sénégal. A l’évidence, à rien.
La liste n’est pas exhaustive. Nous nous battons depuis des années pour avoir une charte sur la déconcentration et une loi cadre pour encadrer les finances locales qui depuis l’acte 3 pose beaucoup de soucis aux exécutifs locaux. Il en est de même pour la fonction publique locale ainsi que de l’instauration d’une haute école pour les collectivités locales car de ce qu’il nous est donné de constater, sur le plan de la qualité des ressources humaines dans les collectivités locales, c’est carrément l’hécatombe.
Pour nous du secteur, voila nos projets, voila nos priorités. Nous recherchons 1000 milliards sur cinq ans pour boucler définitivement ces projets : autonomisation des CL sur le plan financier à partir d’une loi cadre, vote, promulgation et mise en œuvre de la loi sur la fonction publique locale, la charte sur la déconcentration, correction des limites territoriales et harmonisation des populations du nord qui refusent de s’unir pour des raisons que nous savons, une haute école des collectivités locales à l’instar du ministère de la santé et de l’action sociale qui forme son propre personnel ( ENTSS et ENDSS).
Au Sénégal les humains sont bizarres. Certainement le président Macky Sall est quelqu’un de bien. Mais c’est un fils de Wade et il fera comme Wade. Ce dernier avait aussi sa clientèle politique, il a fait le CRAES après avoir supprimé le sénat, Macky aura son HCCT. WADE avait Karim, Macky aura son Aliou Sall. Les anciens compagnons de wade se sont retournés contre lui pour devenir sa plus farouche opposition, Macky a devant lui ceux qui le soutenaient en 2012. Ainsi va le Sénégal. Ce n’est pas compliqué. Il faut juste être sénégalais.
Professeur Aly khoudia Diaw
Expert en décentralisation et développement local