«Mes progrès en allemand m’avaient, enfin, permis, de lire des poésies de Goethe dans le texte. Ce fut une révélation, qui m’amena à relire, d’un esprit plus attentif, les grandes œuvres du Maître. Dans ma minuscule bibliothèque je plaçais, maintenant, Faust et Iphigénie à côté de l’Enéide, des Pensées de Pascal et des Dialogues de Platon, devenus mes livres de chevet.» Léopold Sédar Senghor: «Le Message de Goethe aux Nègres nouveaux», In: Liberté I, Paris, Le Seuil, 1964, p. 83.
La lettre Nº 00005372 signée par le ministre de l’Education nationale en date du 14 octobre 2016 vient confirmer le décret 2014-632 du 7 mai 2014 levant ainsi toute équivoque quant à la suppression de l’allemand dans les collèges d’enseignement moyen. Cette mesure est d’autant plus surprenante que notre ministre de tutelle n’a pas précisé les raisons qui motivent ou justifient la suppression programmée de la langue de Goethe qui, à court et moyen terme, se verra rayée de la carte scolaire et universitaire du Sénégal.
En effet, l’application d’une telle décision est inopportune dans un contexte mondial de promotion du plurilinguisme et de l’interculturalité. D’autre part, elle annihile les efforts considérables consentis par le Président Senghor en faveur de l’allemand au Sénégal. Comment peut-on expliquer la suppression de la langue de la première puissance de l’Union européenne, qui de surcroit est la première langue au sein de l’espace Schengen.
Par ailleurs, les arguments qui militent pour le maintien de l’enseignement de l’allemand dans le cycle moyen font légion.
En premier lieu, les Allemands ont, depuis le retrait des coopérants français, sans cesse œuvré à la promotion et à la vulgarisation de leur langue. A titre d’illustration, on se rappelle bien que la République fédérale d’Allemagne a soutenu l’enseignement de l’allemand en finançant la conception de matériels didactiques pour l’apprentissage de la langue allemande, mais aussi en favorisant l’africanisation du corps professoral à travers le programme spécial d’Abidjan et l’octroi de bourses aux étudiants africains en germanistique. Concernant la formation des professeurs d’allemand, l’institut Goethe offre des bourses d’immersion linguistique et de séminaires en Allemagne pour le renforcement de leurs compétences langagières et didactiques. Cette opportunité de coopération bilatérale contribue à faire des professeurs d’allemand, des professeurs de langue parmi les mieux formés du système éducatif sénégalais.
Dans le même ordre d’idée, il nous semble utile de rappeler que la coopération entre le Sénégal et les pays germanophones (Allemagne, Autriche et Suisse) présente des avantages certains aux plans scientifique, sportif, artistique et sécuritaire. Pour le cas de la région de Thiès que nous connaissons bien, la ville entretient un partenariat solide et fructueux avec deux villes allemandes (Coesfeld et Solingen) ayant permis la réalisation de projets pour le bien-être des populations, la distribution de dons en matériels didactiques, informatiques, sanitaires, de vivres, de vélos et d’échanges scolaires. En effet, il est quasi impossible de trouver dans ce pays, une ville ou un village où les Allemands n’ont pas réalisé des projets de grande envergure.
La dernière réalisation en date est le Cem de Fahu, entièrement construit par L’Ong allemande «Hilfe für Senegal», inauguré le 15 octobre 2016 par M. Oumar Ba, directeur de l’Enseignement moyen secondaire général. Imaginez maintenant que l’on veuille dire à ces généreux donateurs que l’allemand, leur langue, n’y a pas sa place. Le mois prochain verra l’arrivée d’une délégation de la paroisse de Munich à Thiès pour la réalisation d’un projet de lutte contre l’immigration clandestine financé à hauteur de 3 millions € (2 milliards F Cfa).
En outre, les fondations allemandes présentes au Sénégal -Konrad Adenauer, Friedrich Ebert, Friedrich Naumann, Rosa Luxembourg- apportent une contribution précieuse à l’éveil d’une conscience citoyenne et à la consolidation de la démocratie sénégalaise. Près de 2 000 élèves de l’enseignement privé catholique sont parrainés par des Allemands qui leur paient annuellement tous les frais de scolarité. Et la liste est loin d’être exhaustive.
Enfin, une des conséquences, et pas des moindres, est le sort de quelque 220 professeurs d’allemand du moyen-secondaire et du supérieur. Qu’adviendra-t-il de ces braves pères de famille qui ont appris, étudié, obtenu des diplômes et compétences nécessaires à l’exercice de leur fonction et à qui on dit sèchement : «Vos compétences, votre expérience, gardez-les. Nous n’en voulons plus.» Que penser des nombreux apprenants, très enthousiastes à l’idée d’étudier la langue de Goethe en ce début d’année scolaire et à qui on dit du jour au lendemain : «Plus d’allemand dans les Cem. Allez plutôt étudier l’espagnol, l’arabe ou le portugais.»
Voilà autant d’arguments et de réalisations qui plaident pour l’enseignement de l’allemand dans les collèges. Ceci n’est pas une simple plaidoirie pro domo : c’est un appel citoyen à la conscience multiculturelle et multilingue qui a toujours animé l’esprit du Peuple sénégalais.
Ibrahima DIOP
Docteur en littérature allemande et comparée
Professeur au lycée Médina Fall Thiès