Le Sénégal aborde un tournant décisif dans son évolution. Si la stabilité légendaire qu’on lui connait perdure, il ne serait pas superflu de dire que notre pays navigue entre des écueils et des risques importants qu’il est utile de souligner. Subissant comme tous les autres pays les menaces d’ordre sécuritaire, le Sénégal garde une spécificité marquée par des rapports particuliers avec ses voisins et des frontières largement faites par la nature.
Au-delà d’une fixation sur le panorama qu’offre notre pays, il urge d’adopter une approche préventive pour juguler la menace à temps, au lieu d’attendre à gérer une situation de constat qui pourrait être regrettable.
Il s’agira ici, de circonscrire quelques risques sécuritaires auxquels le Sénégal est exposé et de lister les défis dans nos différents espaces et domaines.
I – LES RISQUES
Quelles que soient leurs limites et leur nature, les risques conduisent souvent et surtout, si l’on n’y prend garde, à des dégâts collatéraux immenses. Pour le cas du Sénégal, ils sont nombreux et dormants et pourraient être regroupés en 2 catégories :
-avec les pays limitrophes ;
-par une ingérence étrangère.
11. Avec les pays voisins
-Le projet des vallées fossiles
Dans le courant de l’année 2000, le projet des vallées fossiles avait occasionné un intense ballet diplomatique entre Dakar et Nouakchott, avec la médiation du Maroc. D’un côté comme de l’autre, des levées de boucliers ont eu lieu et marqué cette crise entre le Sénégal et la Mauritanie. Sous le sceau de l’intégration et des rapports de bon voisinage, un compromis a été trouvé dans l’intérêt des deux pays, évitant ainsi une confrontation verbale, voire un conflit ouvert.
-Les licences de pêche dans les eaux territoriales mauritaniennes
Sur la base d’une vigoureuse coopération avec la Mauritanie, 400 nouvelles licences de pêche ont été accordées aux pêcheurs sénégalais, soit 50.000 tonnes de poisson, ciblant les espèces pélagiques, à l’exception du mulet. Cependant, si ce protocole d’accord a été obtenu, c’est bien sur la base de la réglementation mauritanienne en vigueur et de la disposition incluse, obligeant 24 embarcations de ces pêcheurs sénégalais à débarquer leurs provisions sur le marché mauritanien. Mais les risques qui tournent autour de ce protocole émanent principalement du non-respect de ces dispositions par les Sénégalais eux-mêmes, source de plusieurs arrestations de personnes et de saisie de pirogues. Les garde-côtes mauritaniens exercent souvent des droits de poursuite qui peuvent dégénérer ou occasionner des morts d’hommes.
-Le corridor Bamako-Dakar
Communément appelé «corridor du trafic», l’axe routier et ferroviaire entre les 2 capitales est devenu une voie de circulation de la drogue. Dakar et plusieurs villes de l’intérieur sont quotidiennement inondées par d’importantes quantités de «Brown» en provenance du Mali, constituant ainsi un risque énorme de déperdition de la jeunesse. Le prétexte soutenu par les conventions de la Cedeao sur la suppression des frontières n’a pourtant pas une primauté sur la protection de nos populations. Un incident diplomatique a été frôlé le 29 mai 2011 à Kayes, lors de la rencontre transfrontalière, sur fond de chauffeurs maliens incarcérés au Sénégal.
-La traversée du bac gambien
Depuis des décennies, le trafic entre les parties Nord et Sud du Sénégal a connu des hauts et des bas, selon l’humeur des autorités gambiennes. Véritable poumon de l’économie gambienne, le bac de Farafenni demeure le casse-tête des transporteurs sénégalais qui subissent, au-delà des retards incalculables, d’humiliantes tracasseries. Des blocus ont été opérés et le dernier en date a eu pour cause l’augmentation disproportionnée de la traversée à 400.000 frs Cfa par camion. Au moment où le Chef de l’Etat entame le renouvellement du parc routier lourd du Sénégal, l’on peut se demander si cette mesure n’a pas été prise à la lumière de cette nouvelle donne. Cette affaire, même réglée, relance à nouveau l’impératif besoin de se libérer de cette dépendance gambienne.
-Le trafic des véhicules Rim à Touba
Cette affaire, quant à elle, comporte beaucoup de non-dits et semble être le lit d’une corruption avérée et de l’érection de la cité religieuse en micro-Etat, un no man’s land pour les Douanes, alors que les autres corps de sécurité de l’Etat y opèrent allègrement. Cette situation qu’aucun n’ose décrier pourrait migrer vers les autres cités religieuses et ferait perdre à l’Etat la première de ses prérogatives et énormément de rentrées d’argent. Les circuits, comme les auteurs de ce trafic sont connus et ces pratiques sont contraires aux recommandations de Cheikh Ahmadou Bamba, pour qui ces égards sont accordés à cette ville sainte.
12. Par une ingérence étrangère
Lors de son discours inaugural livré à la 2ème édition du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, le Président Macky Sall disait : «Nous connaissons la typologie classique des menaces à la paix et à la sécurité, qu’il s’agisse de la lutte pour le contrôle du pouvoir politique ou des ressources naturelles, les conflits frontaliers et identitaires et le séparatisme. A ces racines du mal, se sont malheureusement ajoutés le trafic de drogue, la piraterie maritime, la criminalité organisée et le terrorisme».
Ces risques nouveaux, généralement préparés de l’extérieur, gangrènent dangereusement nos équilibres et sont plus difficiles à éradiquer.
Le contrôle des ressources naturelles
-L’or du Sénégal oriental
Si les Sénégalais ont applaudi à l’extraction du premier kilogramme d’or, nombre parmi eux, sinon la majorité, ignore les quantités qui en sont extraites. D’une part, notre manque d’expertise nous a conduit à accepter des concessions minières à des sociétés étrangères, mais l’exploitation artisanale est presque sous le contrôle d’Ouest-Africains. Plusieurs sociétés (Mdl, Oromin, Sored Mines, Rand Gold) explorent toute la région et le pays est déjà entré dans la phase même d’exploitation industrielle par la société Mdl. Ainsi, beaucoup de périmètres sont devenus des espaces privés pour les nationaux, ce qui occasionne, surtout pour les exploitants artisanaux illégaux, des conflits, des éboulements et la création de circuits d’écoulement parallèles, sous le nez et la barbe de tous.
-Le pétrole au Nord et au Sud du pays
La récente découverte du pétrole offshore au Nord du pays, ajoutée à la première enregistrée sur le prolongement de la frontière sénégalo-bissau guinéenne et les recherches qui se poursuivent, constituent une nouvelle donne pour le Sénégal car, inaugurant l’ère de l’accès aux ressources énergétiques indispensables pour son développement et un coup de frein à la montée vertigineuse des importations du pétrole. Le risque majeur devant ces découvertes, est d’arriver à la malédiction du pétrole : conflit avec les voisins, corruption aveuglée, mauvais emploi des ressources, crise interne, etc. S’y ajoutent aussi les risques liés à l’environnement marin, avec l’exploitation offshore, pour préserver notre pêche, la biodiversité marine, la pollution marine et le contrôle du trafic maritime.
-La cyber-criminalité
Ce phénomène qui se développe au Sénégal est mené principalement par des étrangers, avec des logiciels sophistiqués pour traquer et gruger des nationaux, épier tous les mouvements financiers, intercepter des appels téléphoniques internationaux et entrer frauduleusement dans les opérations des sociétés de transfert d’argent. Les risques à ce niveau sont incalculables, car permettant à ces derniers d’accéder aux cercles vitaux du pouvoir, par la magie de l’informatique.
-Le terrorisme
Il demeure le risque majeur car utilisant des formes basées sur la logique jihadiste radicale, endoctrinant des jeunes qui partent combattre en Syrie, en Afghanistan ou au Nigéria, pour des causes qui ne sont pas les leurs. Cet obscurantisme les amène à frapper leur propre pays en passant par des ramifications insoupçonnées. Ce risque est omniprésent, omnidirectionnel et de premier rang, surtout pour des pays sous-développés comme le nôtre.
II- Les défis
Devant ces différents risques, gouvernants comme gouvernés se doivent de relever les défis globalement regroupés dans le contrôle de nos espaces, nos ressources, nos politiques et la circulation des personnes et des biens. On pourrait les inventorier sommairement et ils passeraient par :
- le renforcement de l’Etat de droit ;
- la promotion de l’éducation, la formation et l’emploi des jeunes ;
- l’adoption des réformes législatives et une loi sur les revenus du pétrole ;
- la conduite d’une politique de bonne gouvernance avec le développement de politiques transparentes ;
- le développement d’une expertise nationale pour favoriser le transfert de technologie ;
- la sécurisation de nos ressources énergétiques par une gestion intégrée sous-régionale des espaces ;
- une harmonisation des statuts ;
- le renforcement de la diplomatie par une multiplication de commissions mixtes pour superviser les espaces communs ;
- la mise en place d’une politique ardue de collaboration entre les services de sécurité du pays et de la sous-région par l’échange d’informations ;
- une large et permanente sensibilisation des populations sur les périls de l’heure.
CONCLUSION
Si la stabilité évoquée plus haut est toujours de mise, il ne faudrait pas qu’on dorme sur nos lauriers. Tous les signes avant-coureurs sont perceptibles et l’heure est à la prévention, à l’adoption d’une attitude plus citoyenne et responsable à tous les niveaux.
Malgré les politiques initiées, la bonne volonté des gouvernants et les efforts colossaux qui sont faits dans tous les domaines, les populations doivent comprendre qu’elles sont les premiers bénéficiaires des retombées de toutes sortes, mais également les premières victimes de tout chaos.
Une Nation a son essence même dans la volonté de vivre en commun de ses différentes composantes, mais la sauvegarde des idéaux qui les gouvernent, est le terreau fertile dans lequel toutes les visions se conçoivent.
Aussi, le respect des équilibres et des acquis, sera ce cordon ombilical qui nous lie entre compatriotes et frères Africains. Ces mêmes populations sont les acteurs sur le terrain et à l’origine des crises, des conflits, des différends, des divisions, des rancœurs et de la fraternité. Dans l’opulence comme dans les difficultés, nos destins sont toujours partagés.
Lieutenant-colonel (ER) Adama DIOP
Ancien Chef de la Division Médias et Stratégies de la Direction de l’Information et des Relations Publiques des Armées
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