Si le gouvernement du Sénégal poursuit son option de promouvoir l’enseignement des mathématiques, des sciences et de la technologie dans le système éducatif, notamment au niveau des collèges d’enseignement moyen, on assistera, à court ou à long terme, à la suppression progressive voire totale de certaines langues étrangères comme l’Allemand, le Russe et l’Italien qui cesseront d’être enseignées en classe de troisième à compter de l’année scolaire 2017-2018. Il est même à craindre que cette mesure ne vienne à frapper d’autres langues étrangères comme l’Espagnol, le Portugais, le Latin ou encore le Grec. La volonté affichée par le gouvernement, en entreprenant de telles réformes drastiques initiées depuis quelques années, est de promouvoir à tout prix l’enseignement des sciences au détriment de celui des langues.
Ces langues étrangères que l’on veut supprimer dans le système, à côté des autres disciplines scientifiques, ont aussi leur rôle à jouer dans le processus de développement social, culturel, économique et même diplomatique. Elles ont marqué et ont diversifié le paysage linguistique scolaire national depuis très longtemps. Elles sont, comme toutes les autres langues, des instruments de communication et de travail dont les jeunes Sénégalais peuvent se servir dans leur pays comme ailleurs. Elles représentent un puissant moyen d’intégration entre les peuples, surtout dans un monde globalisé. Ces langues sont aussi des vecteurs de civilisation qui incarnent d’autres visions du monde.
Les pays respectifs où ces langues étrangères sont parlées entretiennent des relations étroites avec l’Etat du Sénégal, lesquelles relations sont basées sur une forme de coopération féconde dans beaucoup de domaines. Nul n’ignore, par exemple, les bonnes actions que les partenaires allemands ont menées dans notre pays, plus particulièrement dans le système éducatif, avec l’octroi des bourses et des voyages d’études accordés aux élèves, aux étudiants et aux enseignants, des dons de matériel didactique, des constructions d’infrastructures scolaires…Tout cela constitue une véritable richesse que notre pays doit préserver à travers l’enseignement des ces langues étrangères. Comment pouvons-nous continuer à bénéficier de tous ces avantages, si les Allemands savent que nous nous intéressons peu à leur langue ?
Le Sénégal ne pourra pas relever les grands défis du développement durable en sublimant l’enseignement des disciplines scientifiques et en délaissant celui des langues. Ce n’est pas en supprimant l’enseignement des langues ou en contraignant les apprenants à opter, coûte que coûte, pour les séries scientifiques que nous pourrons corriger le déséquilibre notoire entre les disciplines scientifiques et celles dites littéraires. En le faisant, nous risquerons, à terme, de produire l’effet contraire, c’est-à-dire que nous aurons, plus tard, beaucoup plus de médiocres élèves et étudiants dans les filières scientifiques que dans les filières littéraires. Et le système éducatif dégringolera d’un «boum» scientifique à une «crise» littéraire sans précédent dans un pays où le premier président fut un grand homme de Lettres. Notre soif de former des scientifiques pour résoudre certaines questions de l’heure, ne doit pas nous amener à compromettre des acquis obtenus grâce à une bonne politique linguiste étrangère.
L’enseignement des langues étrangères participe aussi de la formation des ressources humaines de qualité. Les matières scientifiques peuvent et doivent se promouvoir à côté des langues. D’ailleurs, les sciences ne peuvent être enseignées et apprises que dans les langues. On peut parler de langues sans science mais, on ne peut évoquer les sciences sans langues. Tout savoir scientifique est transmis dans une langue. Les bons scientifiques savent bien s’exprimer et sont souvent des polyglottes.
Le Ministère de l’Education nationale doit créer une bonne politique de coexistence harmonieuse entre les différentes filières qui composent le système. Il doit plutôt encourager et motiver davantage les enseignants qui interviennent dans les matières scientifiques, en rénovant leur matériel de travail devenu obsolète. Il doit également mettre les élèves qui voudraient librement porter leur choix sur l’étude des sciences dans de bonnes dispositions en les orientant en fonction de leur performance et de leurs aptitudes. Il doit, enfin, susciter et stimuler une forme d’émulation entre ces apprenants, en mettant en place des mesures d’accompagnement conséquentes traduites par l’octroi accru des bourses d’études.
Babou DIATTA
Professeur de Portugais au lycée Malick Sy de Thiès
thelougoumba@hotmail.com