La promotion de l’enseignement des sciences a suscité une euphorie au plus haut niveau, à tel point que des voix autorisées y vont jusqu’à confondre vitesse et précipitation ; efficacité et efficience. Dans ce branle-bas, des matières littéraires comme l’Allemand, l’Italien et le Russe sont supprimées ou menacées d’être supprimées, pour, soi-disant, élaguer le programme scolaire assailli par des disciplines jugées inutiles, et donner plus de place aux mathématiques, la science de la vie et de la terre, la physique et la chimie. Cependant, cette démarche a soulevé une inquiétude profonde et justifiée de la part des acteurs. Pourtant, malgré tout ce tintamarre, des médecins sortis de la faculté de médecine ont du mal à trouver un recrutement bien que le besoin se fasse sentir partout. Alors que de grandes gueules occupent des sinécures pour défendre le Président de la République ; et le seul outil qu’ils utilisent dans cette tâche très bien rémunérée, c’est la langue. Comble du paradoxe !
En fait, depuis les années 50, la science avec sa jumelle la technique, ont radicalement changé et continuent encore de changer le visage du monde. Mais à quel prix ? En réalité, ces découvertes scientifiques ont abouti à une révolution industrielle qui est la mère du productivisme et du mercantilisme, qui ont déclenché l’impérialisme, «le stade suprême de la propriété privé.» On ne disconvient pas sur le fait que le monde a et aura tant besoin de la science et de la technique comme le témoigne Mamadou Dia : «La société de demain sera plus que jamais une société scientifique, une société technique, pour que notre action commune soit «une création continue», pour que l’homme devienne partout maître de la nature, pour que la production puisse recevoir l’impulsion qui en fera un moyen de libération, pour qu’enfin l’humanité soulagée, affranchie partout de servitudes matérielles, puisse se consacrer à des œuvres vraiment humaines.»
Quand la science cherche à comprendre la nature, la technique s’attèle à sa transformation. Cependant, cette dernière ne doit pas se faire au détriment de l’homme, mais plutôt à son profit. Autrement dit, la science et la technique ne doivent pas chercher à maitriser la nature pour mieux exploiter l’humanité. Pour cela, les sciences humaines ont un rôle non négligeable à jouer. Et puis, qui parle de l’Homme parle de langue, car la langue demeure le propre de l’homme. Comment prétendre comprendre, sous toutes ses coutures, une société, une culture et une civilisation données, sans pour autant comprendre, au préalable, la langue qui est la locomotive de tous ses éléments.
Voilà pourquoi cette intention salutaire de produire une culture de l’universel passe impérativement par une compréhension et une acceptation mutuelles. D’où les efforts de Senghor pour apprendre l’allemand, la langue de Goethe, et Mamadou Dia de renchérir : «Il nous faut plus que nous estimer, nous aimer, vouloir pour l’autre ce que l’on veut pour soi, selon la parole du prophète. Or, pour s’aimer, il faut se connaître. Voilà que nous nous retrouvons de nouveau, en face de cette exigence fondamentale qui nous invite à nous découvrir mutuellement, préalablement à tout bond nouveau vers l’avenir, la nécessité d’accorder une large place dans nos pédagogies et dans nos relations, aux sciences humaines.»
Si l’Occident est aujourd’hui si désemparé, si déboussolé, c’est parce qu’elle a ignoré cet aspect inéluctable du développement. En fait ce développement-là, Mamadou Dia l’a toujours appelé de ses vœux ; un développement à visage humain, basé sur une société industrielle qui allie science, technique et culture. Malheureusement, au Sénégal, on imite aveuglement l’Occident sur tout. On est victime d’une paresse intellectuelle congénitale doublée d’un manque de volonté chronique, qui étouffent tout esprit d’invention et de créativité. Sinon, comment notre programme scolaire-après plus de 50 ans d’indépendance- serait-il aussi mutilé, et privé d’un pan aussi inévitable que la spiritualité ? Alors que l’Africain, contrairement à l’occidental, est naturellement spirituel. Pourquoi dans un pays comme le Sénégal, cette dimension n’est pas prise en considération dans l’enseignement ? Selon le Maodo : «Négliger l’éducation spirituelle, pour ne se consacrer qu’à l’éducation profane, c’est continuer à mentir à l’Afrique dont on exalte volontiers en lui refusant les moyens de la préserver, de la développer, de l’enrichir ; c’est persévérer dans la dichotomie et s’enkyster dans les idéologies héritées de l’Occident.. »
Elimane BARRY
Professeur d’Anglais
eltonbarry87@gmail.com