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Economie Du Magal De Touba

Economie Du Magal De Touba

Chaque année, ce sont des millions de musulmans, venus de tous le Sénégal et du monde entier, ou demeurant  à Touba et dans ses environs, de toutes conditions et de tous âges, qui viennent répondre à l’appel du vénéré Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.

Touba la Sainte, pendant la période du Magal, c’est également le point culminant des affaires au Sénégal. En l’espace de quelque jours, la ville devient un carrefour commercial pour troquer, acheter, vendre. Avec le Magal, l’activité économique de Dakar prend un répit en faveur de la ville religieuse qui accueille les marchands ambulants, surtout aux alentours du quartier Touba mosquée, rendez-vous de milliers de pèlerins qui font des emplettes après avoir visité le mausolée du Fondateur du Mouridisme.

Les paragraphes qui suivent présentent quelques-uns des effets économiques du Magal.

1. MOBILISATION ET AFFECTATION DES REVENUS DES PARTICIPANTS AU MAGAL 

Sommes mobilisées

Les talibés mourides ont le désir d’augmenter chaque année les efforts consacrés au Magal et, pour beaucoup de pélerins, il leur a été difficile d’estimer leurs contributions financières. Dans notre échantillon[1], elles varient de 10.000 FCFA à 350.000 FCFA par individu, et parfois elles peuvent dépasser le million de FCFA (y compris le transport international pour certains).  

Affectation des sommes mobilisées

39,20% de la somme destinée au Magal est consacrée  aux contributions auprès des Dahiras, de la famille d’accueil et en tant que « cadeaux pieux » faits aux marabouts. C’est un effort de participation autour d’une cause commune léguée par le Cheikh. Ensuite, suivent par ordre d’importance les dépenses personnelles des pèlerins (26%, en habillement, chaussure, coiffure, etc), les dépenses liées aux frais de transport (environ 5%) et les dépenses de télécommunication (environ 3%). En plus de ces contributions, il y a également la mobilisation de matériels (cuisine, sonorisation, bâches, chaises, nattes….).

II. NIVEAU ET STRUCTURE DES DEPENSES DES MENAGES ET DES DAHIRAS ET SECTEURS BENEFICIAIRES  

Niveau des dépenses des ménages de Touba/Mbacké

Une concession moyenne de l’échantillon dépense environ 1,4 million FCFA avant ou pendant le Magal. Mais, il faut relever que ce sont plusieurs ménages qui se retrouvent littéralement, au même moment et dans une même concession, pour célébrer ensemble le Magal et effectuer le Berndël. Si l’on considère que Touba et Mbacké comptent environ 90.000 ménages en 2011 (en rétropolant les données du Recensement général de la Population de 2013), que les participants au Magal se fixaient à environ 3,16 millions de personnes[2] en 2011 et que les ménages du département de Mbacké comptent, en temps normal, 9 personnes par ménage, en moyenne, on peut donc postuler que les concessions de Touba (y compris les maisons des marabouts et des Dahiras), accueillent en moyenne, pendant la période du Magal, environ 4 ménages en leur sein. Chacun de ces ménages dépense en moyenne 350.000 FCFA avant ou pendant le Magal.

Structure des dépenses des ménages de Touba liées au Magal  

Les enquêtes[3] menées par Emergence Consulting auprès des ménages de Touba et chez les Dahiras, ont montré que 68% des dépenses sont consacrées à la consommation alimentaire. Viennent ensuite les dépenses liées aux ustensiles de cuisine (environ 5%), aux produits énergétiques (gaz, charbon ; 4,2%), aux matériels électroménagers (4,1%), a la rénovation de l’habitat (4,05%), aux télécommunications (3,71%) et aux matériels de décoration (3,17%).

L’alimentation constitue un élément essentiel dans le budget des ménages. L’habitude des achats des ménages durant le Magal est caractérisée par la forte présence de la viande (plus de 47% des dépenses alimentaires) (viande de bœufs, chameaux, moutons, chèvres, poulets). D’autres postes de dépenses liés à l’alimentation émergent par leur importance, comme les jus de fruits, les sodas et les eaux minérales (près de 13% des dépenses alimentaires), le riz et les autres céréales  (un peu plus de 11%), le sucre (5%), les produits d’assaisonnement (4,5%), les huiles végétales (4% environ), les produits laitiers et de pâtisserie (4% environ)

Les produits d’élevage et d’aviculture sont très florissants avec le Magal. Les sociétés avicoles préparent des bandes de poussins chair  spécialement  pour le Magal, afin de répondre à la forte demande. Pour les éleveurs, l’événement constitue une période de traite. Les meilleures têtes de leurs troupeaux sont réservées à la vente à Touba car les mourides ont l’habitude d’acheter de gros bœufs, des milliers de moutons, de chèvres et même des chameaux  pour le Magal. De plus, durant cette période, les pays limitrophes, en particulier la Mauritanie, participent de manière très importante à la fourniture des moutons, des bœufs et des chameaux.

Une enquête sommaire menée au niveau du foirail principal de Touba, en 2011, a révélé qu’un total de 16.200 têtes de bétail y ont été vendues durant la période du Magal (pour un chiffre d’affaires de 2 milliards 140 millions FCFA), réparties comme suit : 5000 bœufs, 7000 moutons, 1700 chameaux et 1500 chèvres. Il faut néanmoins noter que beaucoup de mourides se rendent à Touba avec le bétail à sacrifier le jour du Magal, et, pour les résidents à Touba, s’approvisionnent bien avant le Magal ou élèvent eux-mêmes du bétail.

Beaucoup d’Industries et de commerces du Sénégal connaissent leur meilleure période de vente pendant le Magal de Touba. Les sociétés de production et de distribution de nattes, d’ustensiles de cuisine, de glace, de matelas, d’eau minérale, de sodas, de jus de fruits (notamment les canettes) et de produits laitiers font l’objet d’une forte demande.

Pour les entreprises artisanales de construction, le Magal est une vraie aubaine avec les nombreuses rénovations des lieux de résidences des pèlerins. Plusieurs semaines avant le jour du Magal, il est quasi-impossible de trouver des ouvriers disponibles si l’on veut faire des travaux dans sa maison à Touba. Certains vont même jusqu’à déplacer les ouvriers des autres villes du pays, en particulier ceux de Dakar. Et il en est de même pour les autres acteurs de ce secteur (menuisiers, plombiers, électriciens,  etc.). Le Magal est donc un facteur de création d’emplois.

Le secteur des Télécommunications n’est pas en reste. Durant le Magal, Touba devient le premier site du Sénégal pour le nombre d’appels entrants et sortants pour tous les operateurs téléphoniques.

Le secteur du transport routier connait également une effervescence, plus importante que la Tabaski même, en raison de la volonté de tout mouride ou sympathisant mouride de prendre part au Magal.  De ce fait, les stations d’essence connaissent une forte demande de la part des nombreux véhicules de transport dont le nombre est estimé dans l’étude menée en 2011, en comptant  les rotations, à 110.000 véhicules.

III. APPROCHE PAR DES DONNÉES CONJONCTURELLES

L’importance du 18 Safar au Sénégal peut être analysée sous le prisme du suivi conjoncturel et de l’incidence de cette grande manifestation sur l’activité économique, en exploitant les données de la Direction de la Prévision et des études économiques.

Le sous-secteur des corps gras alimentaires constitue le  sous-secteur le plus dynamique durant la période antérieure au Magal. Etant donné que le « berndël » occupe une place prépondérante dans le budget des pèlerins, on enregistre une forte hausse de 45% pour ce sous-secteur. La même observation peut être faite en ce qui concerne les activités relatives à la fabrication de produits alimentaires céréaliers qui enregistrent une évolution à la hausse deux mois avant le 18 Safar. Quant aux activités relatives à la fabrication de sucre, confiserie,  produits du cacao, du thé et du café, elles affichent une forte progression d’au mois de 20% deux mois avant le Magal.

Au titre des ventes locales de ciment, une nette amélioration des ventes est notée le mois précédant le Magal. En effet, pour les besoins de réparation et de construction de bâtiment, l’activité des BTP enregistre une forte hausse de l’ordre de 20%.

Les services financiers enregistrent une évolution favorable deux mois l’organisation du Magal. Cette tendance pourrait être imputée aux nombreux transferts étrangers et locaux faits par les talibés mourides en perspective de l’organisation du Magal.

Enfin, l’examen des entrées à l’aéroport des ressortissants sénégalais montre qu’une forte poussée est observée trois mois avant le Magal. Ce phénomène s’est accentué lors du Magal 2011, où il été constaté une hausse respective de 205% et de 55% des arrivées au cours des deux mois qui précédaient l’évènement. En d’autres termes, les pèlerins anticiperaient leur venue au Sénégal. 

IV. L’EFFET DU JOUR DU MAGAL SUR L’ACTIVITE : UNE APPROCHE ECONOMETRIQUE

Les fêtes religieuses qui sont liées au calendrier lunaire ont un effet direct sur l’activité économique. Cet effet consiste en un arrêt total ou partiel de l’activité au cours des journées de fête, mais également une accélération ou décélération de l’activité au cours des périodes qui précèdent ou qui suivent ces fêtes comme l’attestent les résultats de l’analyse conjoncturelle.

S’agissant de la modélisation de l’effet du Magal de Touba et de sa durée, on suppose que l’impact de cette manifestation religieuse commence  avant le jour de la fête par une décélération de l’activité jusqu’au jour du Magal où il y a un arrêt total ou partiel de l’activité suivi d’une reprise graduelle jusqu’au retour au niveau normal de l’activité économique.

Pour cela, l’effet de cette fête est modélisé par trois variables. La première modélise l’effet d’avant le Magal de Touba, la deuxième modélise l’effet du jour de la fête et la troisième modélise l’effet d’après du jour du Magal de Touba. En outre, l’effet de la durée du Magal a été modélisé en faisant l’hypothèse que la fenêtre de la fête s’étale sur 3 jours. Toutefois, la position du jour du Magal peut atténuer le « nombre jours de travail perdus ». Par exemple, si le Magal tombe un samedi (comme c’est le casz cette année), seul le vendredi sera considéré comme « jour de travail perdu ». L’estimation économétrique a révélé que la durée du Magal sur l’activité a un impact non significatif.

Toutefois, il convient de souligner que lorsque nous testons l’effet du jour avant, le jour du Magal et le lendemain du 18 Safar, des résultats forts intéressants sont à signaler. En réalité, l’effet de l’avant et du jour du Magal de Touba est négatif  par contre l’impact du lendemain du Magal de Touba est positif. Ces constats corroborent l’hypothèse de base qui voulait que l’impact d’une manifestation religieuse commence  avant le jour de la fête par une décélération de l’activité jusqu’au jour de la fête où il y a un arrêt total ou partiel de l’activité suivi d’une reprise graduelle jusqu’au retour au niveau normal de l’activité économique.

Au total, les effets négatifs de l’arrêt partiel de l’activité économique imputables à la manifestation religieuse sont largement compensés par le boom noté dans les trois à deux mois qui précèdent le Magal de Touba et dont bénéficient les entreprises dans plusieurs secteurs d’activités économiques. Ainsi, la décision de faire du jour du Magal un jour férié n’est donc pas préjudiciable à l’activité économique, au regard des nombreux effets positifs qui découlent des préparatifs du 18 Safar.

V. RECOMMANDATIONS

L’étude a montré que le Magal génère d’énormes bénéfices pour les entreprises installées au Sénégal. Touba et sa région pourraient en tirer un meilleur profit du point de vue économique, si les mesures ci-après étaient mises en œuvre :

 

Moubarack LO

 

[1] Il s’agit des pèlerins d’âge adulte enquêtés, en 2011,  dans les concessions de Touba, par le Cabinet Emergence Consulting, dont la plupart sont des chefs de ménage visitant ou vivant à Touba. L’équipe de l’étude comprenait notamment Moubarack LO,  Ousseynou Sarr, Mouhamadou Bamba Diop, Facoumba Guèye et Moussa Diaw.

[2] Enquête Emergence Consulting de 2011. Pour 2015, le nombre de participants au Magal a dépassé 4 millions de personnes.

[3] opcit

 

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