Vous vous apprêtez messieurs, dames à entrer dans la grande famille des enseignants, avec enthousiasme et inquiétude confondus. Je le fis, il y a de cela 46 ans exactement en 1970 comme instituteur adjoint stagiaire. Dieu merci, j’ai eu à traverser les différents ordres d’enseignement et je crois très humblement pouvoir prodiguer quelques conseils à des débutants comme vous. Vous donnez un yobbal pour parler wolof.
Enseigner n’est pas un métier, mais une mission, une mission de par l’objet sur lequel il travaille et l’importance des finalités qu’il s’assigne. Une mission est toujours exaltante, mais délicate.
Une mission, chers maîtres, comporte toujours des exigences et engage des responsabilités.
Quelles exigences et quelles responsabilités me diriez-vous ?
Les réponses à ces questions constitueront la modeste contribution que je compte apporter à votre excellente formation pour participer à votre réarmement face aux multiples défis qui vous attendent.
Une mission est toujours exclusive. Le soldat qui va en campagne, le joueur sélectionné en équipe nationale ne peuvent durant cette période avoir une autre activité aux risques de compromettre leur mission.
Le statut général des fonctionnaires interdit à ces derniers de s’adonner à une activité autre que celle pour laquelle la fonction publique les a recrutés. Cette interdiction est plus marquée chez les enseignants. L’enseignant et surtout l’instituteur est aussi bien maître à l’école, dans la rue et chez lui. Non seulement il doit servir de modèle partout, mais préparer son enseignement chez lui. C’est d’ailleurs les raisons pour lesquelles le président Mamadou Dia, qui fut instituteur, leur alloua 20% de leur salaire indiciaire, plus des indemnités de logement que les instituteurs seuls avaient. L’instituteur ne peut donc s’adonner à aucune autre activité sous peine de sanctions.
Une mission interpelle tout l’être. L’homme est une entité à trois dimensions : dimensions corporelle, morale et cérébrale. Toutes ces dimensions doivent être en éveil dans l’accomplissement d’une mission.
Enseigner exige une santé corporelle pour une mobilité parfaite et aisée. Il demande une prestance permanente. Il s’appuie sur une connaissance de l’enfant, une maîtrise parfaite des contenus à enseigner et des didactiques des disciplines. Chose que ne peut réaliser qu’un esprit vif, alerte et éclairé, apte à trouver les solutions appropriées.
L’enfant est une créature spéciale et fragile qu’il faut manœuvrer avec tendresse et amour. Sans cela, vous ne pourrez rien en tirer. Qu’il ait confiance en vous. Même s’il arrive que vous le brutalisiez, qu’il sente que vous le faites parce que vous voulez son bien.
L’enseignant a des responsabilités
Responsabilité par rapport à l’enfant. Des enfants vous ont été confiés. Ils comptent sur vous pour une insertion harmonieuse dans la société par des acquisitions de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. Pour l’enfant, vous êtes le savant qui connaît et sert de modèle en tout. Tout ce que dit le maître est vrai pour lui. Cette confiance aveugle constitue une responsabilisé qui pèse sur vous et vous impose une correction en tout.
Responsabilité par rapport aux parents. Des pères et des mères vous ont confié leurs progénitures. Ils ont mis entre vos mains ce qu’ils ont de plus cher au monde. Ils comptent sur vous pour que ces derniers soient le prolongement de leur vie. Ils comptent sur vous pour que demain, quand ils subiront le poids de l’âge, ces derniers puissent maintenir l’équilibre de la famille. Ils comptent sur vous pour pouvoir dire avec fierté ; celui-là c’est mon fils. Alors messieurs, dames mesurez cette responsabilité.
Responsabilité par rapport à l’Etat. L’Etat pour se perpétuer et se développer a besoin de citoyens engagés pour la cause nationale et bien au fait des sciences et technologies de pointe. Il a construit des écoles et formé des maîtres. Il compte sur vous pour l’avenir de la Nation, pour le bien-être des générations présentes et à venir. A ce titre, vous êtes plus importants que le soldat qui va en guerre, car lui se bat pour un problème conjoncturel et vous, vous êtes dans le structurel. Votre combat ne finit jamais. Pensez aussi à cette grande responsabilité !
Responsabilité par rapport à l’humanité. Dans ce monde où sévit une crise d’humanisme, où on se demande si on est meilleur à l’animal tant la barbarie sans raison n’émeut plus, seuls les enseignants doivent aller au front et renverser la tendance. Les drones et autres engins de mort ont échoué, il faut parler aux cœurs et aux esprits, domaines des éducateurs. Quelle responsabilité vous avez !
Responsabilité par rapport à vous-mêmes. La plus belle femme au monde ne peut donner que ce qu’elle a. Vous êtes appelés à dispenser un savoir. Vous ne pourrez le faire si vous ne disposez de ce savoir. Vous êtes tenus de la façon la plus obligatoire d’être détenteurs de savoirs. Une formation permanente et continue s’impose à vous surtout dans ce monde où rien n’est figé, où tout est dynamique. Il est de votre devoir de ne pas rater le train. Responsabilité immense !
A la lecture de ces exigences et responsabilités, vous vous dites certainement qu’il faut être un surhomme pour être un bon enseignant. Vous n’auriez pas tort de penser ainsi.
A la lecture de ces exigences et responsabilités, vous me rétorquez que la société dans laquelle vous évoluez a, elle aussi, des responsabilités par rapport à vous. Celles de vous mettre dans des conditions optimales de travail et sur tous les plans. Vous auriez une fois de plus raison.
Mais je vous demanderais seulement une chose. Chaque matin, quand vous aurez 30 à 40 paires d’yeux fixés sur vous, essayez de lire derrière ce regard pétillant, hagard, anxieux selon. Derrière ce regard se nichera une espérance, espérance d’un homme, d’une femme, d’une Nation, de l’humanité.
Et dites-vous au fond de vous-mêmes : ‘’Je me refuse de décevoir cette espérance’’, et vous réussirez, soyez en certains.
Ibou THIAM
Inspecteur éducation à la retraite
pathiam2@yahoo.fr