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Non Au Rétablissement De La Peine De Mort Au Sénégal

N.B. Le débat sur la peine de mort étant, une fois de plus, en train de faire rage, je vous envoie, pour publication, cet article que j’avais fait paraître dans la presse en 2013, mais qui garde encore toute son actualité ainsi que sa pertinence. Merci d’avance et bonne journée.

 

Par une proposition de loi allant dans ce sens et déposée le mardi 19 novembre 2013 sur le bureau du président de l’Assemblée nationale, un honorable parlementaire, qui se prévaut du soutien de quatre-vingt de ses collègues, vient d’afficher sa ferme volonté de travailler au rétablissement de la peine de mort dans notre pays. Il s’agit là, assurément, d’une initiative par rapport à laquelle nous ne saurions manquer de marquer notre désaccord en notre qualité de militant convaincu des droits et libertés individuels et collectifs de la personne humaine et cela, pour quatre raisons au moins.

La première raison c’est que, si jamais elle venait à aboutir, une telle initiative consacrerait un recul net pour notre pays en matière de droits de l’Homme. En effet, dans l’histoire du Sénégal indépendant, la peine de mort n’a eu à être mise en application qu’à deux reprises : une première fois, le 11-04-1967, sur la personne du sieur Abdou Ndaffa Faye qui, le 03-02 de la même année, avait perpétré un meurtre sur le député Demba Diop ; une deuxième et dernière fois, le 15-06-1967, sur le sieur Moustapha Lô qui, le 22-03 de cette même année 1967, avait tenté d’assassiner le président de la République d’alors, M. Léopold Sédar Senghor. Le successeur de ce dernier, le Président Abdou Diouf, détenteur du pouvoir de 1981 à 2000, avait solennellement déclaré que, jamais sous son mandat, il ne laisserait appliquer la peine de mort. Succédant au Président Diouf en 2000, le Président Abdoulaye Wade impulsa et promulgua la loi 2004-38 du 28 décembre 2004, portant abolition de la peine de mort qui, d’ailleurs, bien que toujours prévue en son temps par l’article 12 de notre Code pénal, était abolie dans les faits parce que tombée en désuétude.

Rétablir la peine de mort ne ferait donc aujourd’hui que consacrer une régression de notre pays dans le domaine des droits et libertés. Ce serait même ramer à contre-courant de l’histoire face au puissant mouvement abolitionniste qui se dessine à l’horizon et dont les signes annonciateurs sont la mobilisation déterminée des organisations de défense des droits de l’Homme au double plan national et international, la progression lente, mais sûre du nombre de pays abolitionnistes et le rejet de la peine de mort tant par la justice internationale que par le droit international. Pour la justice internationale, il suffit de penser à la Cour pénale internationale et aux Tribunaux pénaux internationaux de La Haye et d’Arusha qui ont écarté la peine capitale même pour les crimes les plus abjects : génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre. Pour le droit international, nous pensons au Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et visant l’abolition de la peine de mort, adopté par l’Ag de l’Onu le 15-12-1989 et entré en vigueur le 11-07-1991, que le Sénégal gagnerait à ratifier à l’image du Bénin, du Cap-Vert et du Liberia.

La deuxième raison de notre désaccord par rapport à l’initiative de l’honorable député relève de considérations de fait, liées à la peine de mort elle-même, à ses motivations et conséquences. De ce point de vue, il faut d’abord remarquer qu’il n’y a aucun pays au monde où la justice est à l’abri de l’erreur judiciaire. Or, en matière de condamnation à mort, la peine une fois mise à exécution, l’erreur judiciaire devient irréparable. La seule alternative qui reste alors à l’Etat se ramène à une réparation pécuniaire et à des excuses publiques officielles et solennelles que des familles d’exécutés, traumatisées à jamais, n’hésitent pas à rejeter parfois.

Il faut ensuite remarquer que, selon de nombreuses études fiables menées sur la question, l’institution de la peine de mort n’a aucun effet réducteur sur le taux de criminalité. De fait, cela relève d’un simple constat : aujourd’hui, le taux de criminalité n’est pas plus élevé chez les pays abolitionnistes que chez ceux non abolitionnistes ; c’est plutôt le phénomène inverse qui, paradoxalement, semble se vérifier. Cette absence d’effet dissuasif de l’institution de la peine de mort sur la criminalité s’explique par le fait qu’au moment de commettre son forfait, le criminel ne prend pas en compte la peine qu’il encourt : s’il prend la décision d’agir, notamment après préméditation, c’est qu’il en est arrivé à la conclusion qu’il échapperait à la justice.

Il faut, en dernier lieu, remarquer que la peine de mort est en porte-à-faux avec la philosophie pénale moderne. En effet, celle-ci considère la peine non pas comme une sanction à proprement parler, mais comme une récupèration-reinsertion d’un individu qui, à un moment déterminé de sa vie, s’est trouvé en rupture avec la société. En d’autres termes, il s’agit non pas de se tourner vers le passé par des mesures de sanctions expiatoires des délits commis par le délinquant, mais plutôt de se situer dans une perspective future par des mesures offrant à ce même délinquant des chances de réhabilitation personnelle et de réinsertion sociale. En somme, il s’agit pour la société non pas de se débarrasser de ses membres qui, à un moment déterminé de leur vie, se sont écartés de ses rangs, mais de les récupérer et de les faire réintégrer ces mêmes rangs. Tout le contraire donc de la peine de mort qui, sur le seul fondement d’un seul acte qu’une personne aurait commis, lui refuse toute chance de réhabilitation personnelle et de réinsertion sociale, réduisant ainsi abusivement sa vie à ce seul acte là.

La troisième raison explicative de notre désaccord avec l’honorable parlementaire est d’ordre socio-culturel, en ce que dans nos sociétés traditionnelles d’Afrique noire, la vie est généralement considérée comme un don de Dieu qui, seul, est habilité à la reprendre. C’est pourquoi, dans ces sociétés, ôter la vie à une personne humaine est considéré comme un acte monstrueux, un sacrilège, le suprême abus. Jamais un tel acte n’a été une composante de nos valeurs socio-culturelles traditionnelles. En Afrique noire traditionnelle, en cas de délit grave, la sanction suprême en principe infligée par la collectivité, et qui était d’ailleurs exceptionnelle, c’était le bannissement, lequel consistait, pour la société concernée, à renier et à chasser le fautif.

La quatrième et dernière raison pour laquelle nous nous démarquons de l’initiative de l’honorable député repose sur des considérations sociologiques. Les criminels qu’on considère comme méritant la peine de mort ne sont pas des monstres, des êtres relevant d’une catégorie sui generis, qui surgissent ex nihilo. Au contraire, ils constituent des produits logiques, naturels et normaux de nos sociétés telles qu’elles sont organisées et fonctionnent au double plan national et international. C’est donc sur ces sociétés là qu’il faut agir de telle sorte qu’elles ne soient plus de nature à générer des criminels. Il s’agit, de ce point de vue, à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale, de combattre la pauvreté, la corruption et le sous-développement, de respecter les droits de l’Homme, de procéder à une juste répartition des richesses et des ressources, de mettre fin à l’impunité, de travailler à l’intégration des minorités, d’instaurer la démocratie, la justice sociale, l’Etat de droit et la bonne gouvernance dans la gestion des affaires publiques. Toute autre solution, notamment celle tendant à tuer systématiquement les criminels, consisterait à s’attaquer aux seules manifestations du mal en laissant de côté ses racines nourricières.

 

Malick TAMBEDOU

Politiste et Juriste internationaliste

Conseiller juridique du Comité Sénégalais des Droits de l’Homme

malicktambedou@hotmail.com

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