Dans un monde fortement marqué par les progrès scientifiques et techniques, il est manifeste que les hommes ne cessent de montrer une admiration extraordinaire envers les disciplines scientifiques. Ils sont convaincus que les problèmes auxquels les hommes sont confrontés trouvent nécessairement des solutions dans les sciences. Notre pays, le Sénégal, s’inscrit dans ce contexte d’espérer sortir du sous-développement par la promotion de l’enseignement des disciplines scientifiques. En d’autres termes, nous pensons que l’apprentissage des mathématiques et des sciences physiques est la clef qui ouvre les portes qui mènent vers l’émergence. Selon cette perspective, les matières littéraires et les langues doivent être supprimées de notre système éducatif si nous voulons être un pays développé.
Il s’agit de savoir à ce niveau que, pour développer un pays, il faut des mathématiciens, des physiciens et des techniciens. C’est la raison pour laquelle, notre système éducatif est en train d’imposer l’enseignement des disciplines scientifiques dans nos écoles, au détriment des matières littéraires. Une telle démarche peut-elle être légitime si on accepte le principe suivant lequel, les potentialités de faire les séries scientifiques ne sont pas à la portée de tous les élèves? Autrement dit, l’élève dont l’intelligence est ouverte aux langues ou les disciplines littéraires a-t-il vraiment sa place dans les disciplines scientifiques? Comment comprendre que l’on puisse se servir de l’éducation, principe républicain dont la finalité est de former des esprits libres, pour imposer à des jeunes esprits d’apprendre les disciplines scientifiques ? En quoi la formation dans les matières scientifiques peut-elle être source de développement? Suffit-il d’avoir une école scientifique, des bacheliers scientifiques pour développer un pays?
Nous pensons que la capacité de faire ou de savoir-faire n’est pas la chose la mieux partagée chez les êtres humains. Cela veut dire que nous n’avons pas les mêmes capacités intellectuelles. Tout être humain est intelligent, mais il y’a une pluralité d’intelligences. Autrement dit, chaque intelligence s’oriente dans un domaine bien déterminé. Et c’est seulement dans ce domaine qu’un homme peut montrer ses prouesses et faire des merveilles pour sa communauté. De ce point de vue, il est inacceptable de contraindre les élèves à apprendre les disciplines scientifiques. Parce qu’il n’est pas donné à n’importe qui d’être bien en mathématiques ou en sciences physiques. Malheureusement, nos autorités éducatives souscrivent dans une orientation pour tous vers les sciences. Dans ce cas, où est le choix de l’élève? L’école est-elle devenue un tombeau des libertés? Où est l’esprit libre, principe sur lequel repose notre école laïque?
A cause d’une absence de choix dans ce que nous faisons ou voulons faire, nous ne gagnerons rien en formant les jeunes aux disciplines scientifiques. Comme le dit E. Njoh. Mouelle, dans de la médiocrité à l’excellence, là où le choix n’existe plus, la conscience s’annule et l’avenir est fermé. Il faut retenir de ces propos que le choix implique toujours la passion, l’amour dans l’activité que nous exerçons. Or, faire une chose par passion conduit toujours à la réussite et à l’épanouissement de toute la communauté à laquelle on appartient. C’est seulement dans ces conditions que les potentialités intellectuelles se réveillent et ouvrent des possibilités énormes. On peut prendre l’exemple de Youssou Ndour, dont la passion pour la musique est non seulement une réussite pour lui, mais aussi pour son pays, si on sait qu’il a créé des emplois pour des centaines de Sénégalais.
Malheureusement, notre école est confrontée à une véritable misère intellectuelle caractérisée par une mauvaise politique éducative qui installe un impérialisme de l’apprentissage des sciences. Nul n’a le droit d’imposer à un élève d’apprendre par la force une chose dont il n’a pas la compétence. Cela ne veut nullement dire que le mathématicien et le physicien sont plus intelligents que les littéraires, mais plutôt les intelligences n’ont pas les mêmes orientations, voire les mêmes natures. Un Einstein n’est pas un Picasso et pourtant chacun est génie dans son domaine. Ils restent tous immortels de par leurs œuvres et leurs apports par rapport au développement et à l’épanouissement de l’humanité.
Il ne suffit pas d’avoir des mathématiciens et des techniciens pour développer un pays. Certes, ils peuvent jouer un rôle important dans le processus de tout développement, mais ils n’épuisent en rien le concept lui-même. En d’autres termes, le développement va au-delà des formules mathématiques et la connaissance des lois physiques. Il faut savoir que le développement n’est pas affaire de théorème et d’expérimentation, il est purement humain. Car, les pays qui ont produit plus de mathématiciens et de physiciens sont capables des pures barbaries. Les Américains ne se sont-ils pas servis de la théorie de la relativité d’Einstein pour créer la bombe atomique ? Nous savons ce qu’ils en ont fait. L’histoire retiendra cet événement tragique et meurtrier qui a occasionné des milliers de morts à Hiroshima et à Nagazaki. Pourtant, les pays dits sous-développés du point de vue technique et «moralement-développé» ne sont pas capables d’une telle abomination. Parce que les enjeux du développement sont énormes et il est impensable de les confier aux machines ou à des formules mathématiques.
Nous aboutissons à l’idée qui voudrait que le développement soit porté par l’homme. Le développement dans ce qui le définit, c’est-à-dire de quitter un état inferieur vers un état supérieur ou de quitter un état négatif vers un état positif, ne se mesure pas par l’invention des machines, mais plutôt par ce qu’il y a de plus humain en nous. Le développement n’est pas de l’ordre du paraître ou de l’avoir mais plutôt de l’être. Développer un pays passe nécessairement par le développement des êtres qui le composent. Nous devons être, c’est-à-dire correspondre à ce qui nous définit comme êtres humains. C’est seulement l’accomplissement de notre être moral qui peut faire de notre pays un pays émergent. Sans cette condition, nous ne serons jamais sur les rails du développement, même si le nombre de mathématiciens et de physiciens augmente de façon considérable dans nos écoles et dans nos universités.
Oumar MBOUP
Professeur de philosophie au Lycée de Kébémer
lyceeoumar@yahoo.fr