Il faut éviter que la justice se retrouve avec des magistrats inexpérimentés a la tête des juridictions; il y aurait ainsi ,selon le décompte des autorités 18 magistrats qui détiennent le graal; tous les autres sont des figurants qui ne méritent pas d’être promus ,faute d’expérience avérée; l’argument est non seulement impertinent ,mais aussi insultant pour tous ces autres magistrats de la Cour suprême, de la Cour d’Appel, des juridictions d’instance, qui font leur devoir avec autant de conscience et de loyauté ,et qui ne sont pas invités au banquet des futurs nouveaux promus de circonstance.
Réformer la justice n’a jamais été une sinécure; les pesanteurs sont quotidiennes et familières; les réseaux sont nombreux et puissants; mais c’est généralement au sommet que tout se joue ,car c’est là où les intrigues et les coups bas entre collègues sont légions. C’est bien souvent une question d’ambition, de posture et de jalousie, le tout enrobé d’une hypocrisie à la démesure.
La réforme de la Cour Suprême et celle du statut de la magistrature auraient pu se passer dans la douceur, par ce que les innovations qu’elles apportent constituent autant de plus-values dans la consolidation de l’État de droit et de l’indépendance de la Justice; certes, il resterait encore beaucoup à faire, mais il est connu depuis longtemps que la réforme de la justice se fait dans la durée au gré de l’évolution des consciences et des exigences de démocratie.
Ce qui dérange profondément, c’est de vouloir prendre les intéressés pour ceux qu’ils ne sont pas, des crédules, qui ne sont même pas capables de discerner leurs propres intérêts alors qu’ils sont chaque jour appelés à trancher ceux des autres. Ceux qui sont à l’initiative de ce vaudeville manquent soit de raison, soit d’éthique, à moins que ce ne soit des deux. En relevant l’âge de la retraite de trois ans supplémentaires, ils prétendent sauvegarder la » majestuosite »de la Justice en évitant son dépérissement accéléré ; ils promeuvent dans le même temps certains qui ne sont pas nécessairement meilleurs que les autres ,mais qui se sont, par suite, de contingences diverses, trouvés ,à un moment donné ,à telle posture dans leur carrière ;cette situation qui est le plus souvent le résultat d’un aléa provoqué leur octroie en même temps un avantage qui n’est le fruit d’un quelconque mérite, mais tout juste celui d’avoir été présents à un moment donné ,au bon moment.
Si le projet est maintenu dans sa formulation actuelle en opérant pour certains( une minorité) un relèvement de l’âge de la retraite, il pourrait difficilement échapper à une remise en cause devant le Conseil constitutionnel sur le fondement d ‘une rupture d’égalité, et par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité; mais même avant d’en arriver là ,les députés de l’opposition pourraient saisir le Conseil constitutionnel pour un contrôle de conformité.
L’adoption du texte risque d’instaurer pendant longtemps un climat d’indignation, d’exaspération et de haut le corps qui ne laissera pas la magistrature indemne ;il y aurait non seulement désormais deux camps opposés ,celui des « petites dents » et celui des « grosses canines » ,avec la tentation certaine pour le second de constituer ,selon le cours normal de l’ambition humaine, un condensé de parvenus.
Mais aussi dans cette perspective, l’autorité judiciaire s’en trouverait fortement affectée, car elle aurait du mal à se faire respecter, faute de pouvoir se faire entendre.
Il ne faudrait pas non plus être surpris que ,par réflexe analogique, l’Enseignement supérieur s’en mêle: il suffit d’aller faire un tour à l’UCAD pour se faire une opinion forte sur ce qui reste du corps enseignant de Rang dit A ,c’est à dire les professeurs titulaires ,ceux qui ont reçu l’onction du CAMES et dont la plupart se retrouve avec au moins trente-cinq( 35) ans de carrière ; le tiers de çes enseignants n’est plus de ce monde; un autre tiers à fait valoir ses droits à une pension de retraite; le dernier tiers est concentré essentiellement à la faculté de Médecine ; allez demander en Faculté des sciences ,et surtout en Faculté des lettres et en faculté des sciences économiques et de gestion ,en faculté de droit, voire dans les écoles et instituts rattachés à l’université, combien en reste t- il ,en activité ,de ces professeurs chevronnés?
Il semblerait qu’en lettres, il y en a moins de 25 professeurs pour 45000 étudiants, en droit ,moins de 6 pour7000 étudiants, en Sciences économiques moins de quatre professeurs pour 6000 étudiants, et aucun professeur dans certains écoles et instituts….
La réforme des grades intervenue récemment est une illusion d’optique qui tend à cacher la triste réalité que vivent dramatiquement aussi bien les étudiants que les enseignants, même si certains de ces derniers ( les assistants, les maîtres assistants) ont été promus de façon vertigineuse par le fait de la loi; c’est tout juste pour relever que si l’expérience est devenue peu présente au sein de la magistrature, elle est en train de disparaître à l’université ,sans que l’on ait pourtant senti le besoin de solliciter ou de réclamer pour les valeureux chevaliers de la Science une quelconque rallonge de carrière. Les universitaires (on aurait pu aussi solliciter n’importe quel autre » grand corps » de l’Etat)seraient-ils moins utiles que les magistrats ?
L’empressement à vouloir faire passer un texte contesté ne traduit-il pas une vilenie dont on ne veut pas dévoiler les contours entachés d’ignominie et de fourberie pour le plus grand mal de la justice ,des juges et de la citoyenneté ; la magistrature ne mérite pas cela, l’université de même, et demain non plus ,l’inspection générale d’Etat ou celle du Trésor ou des Douanes.
Les autorités doivent savoir raison garder et se ressaisir en évitant de susciter des conflits inutiles dont on pourrait se passer volontiers sans coup férir.
Par Le Juge Salamon*
*Pseudonyme