La cérémonie d’ouverture de l’Université républicaine de l’Alliance pour la République (Apr, parti au pouvoir) a été retransmise en direct, samedi dernier, 3 décembre, par la télévision privée Tfm. La preuve en est faite – et cela depuis longtemps d’ailleurs, quand, dans la deuxième moitié des années 90, le Parti socialiste, alors au pouvoir, payait rubis sur l’ongle pour faire retransmettre en direct par Radio Dunyaa (radio privée) les manifestations politiques du tanorisme montant) – qu’un média audiovisuel autre que la RTS peut être mobilisé au service des tâches partisanes du parti au pouvoir.
Si ce dernier en paye les charges financières nécessaires. Ainsi, le service audiovisuel public pourrait être mis hors des recours qui ne doivent pas être érigées en norme ou en mode de traitement de l’actualité politique. Ainsi en est-il quand le palais de la République, devenu une succursale d’un siège d’un parti au pouvoir, accueille des manifestations absolument partisanes, mais pourtant inscrites dans l’agenda de couverture de la télévision nationale pour donner quelque légitimité aux écarts.
Il devrait en être ainsi, c’est-à-dire écrit sur des tables de la loi, afin que plus jamais un parti au pouvoir fasse de la télévision publique un usage non orthodoxe et sans bourse délier ; l’unité de reportage télévisuelle et les personnels prélevés sur les effectifs de la RTS (une pratique instaurée par Me Wade alors président de la République) dont ils restent d’ailleurs les agents sont des confusions qui ne devraient pas être « institutionnalisées ». Parce que procédant d’un abus qui finit par rompre des équilibres entre partis politiques – tant que « l’unité de reportage présidentiel » couvre aussi les manifestations partisanes abritées au palais de la République.
Mais, disons aussi que les couvertures par Radio Dunyaa des meetings socialistes dans les années 90 et celle par Tfm de l’Université républicaine de décembre 2016 et même la couverture payante par une télévision d’une sortie de Me Wade et d’un meeting de l’opposition devraient avoir une nouvelle ère aussi bien pour l’audiovisuel privé que pour celui public.
Mais, cette nouvelle ère accroîtrait les déséquilibres au lieu d’être celle de l’accès égal de formations politiques aux médias publics comme privés. Puisqu’il y aurait toujours une sélection par l’argent qui va s’imposer, à n’en pas douter, et le plus pertinent discours politique ne sera pas entendu de l’opinion.
Des aspects de cette nouvelle ère pourraient argumenter une position sur le financement de l’audiovisuel public. Au privé alors d’assurer les tâches lucratives de couverture de manifestations politiques. Mais, gare au piège ! Car à force d’ouvrir ses plateaux et ses studios à des formations politiques, une chaîne de télévision ou de radio risquent de vivre sous la suspicion d’accointance avec la formation politique à laquelle elles louent ses services.
La Tfm devrait, peut-être, méditer là-dessus ; elle est créditée par un sondage de la première place de télévision la plus suivie du paysage audiovisuel sénégalais. Mais, il est risqué pour une télévision – si prisée soit-elle – de se faire le support de la propagande d’un parti au pouvoir. A la longue, elle risque d’être assimilée à un support du pouvoir.
Il y a du désordre sur le paysage audiovisuel sénégalais qui compte 308 fréquences de radio dont certaines attribuées en dehors des procédures légales et transparentes. Cette alerte a été lancée par le président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) lors de la cérémonie de remise du rapport annuel 2015 de l’organe de régulation au président de la République. Les fréquences « ont été attribuées, dès le départ, au petit bonheur la chance, au gré des affinités du moment », déplore le président du Cnra.
« Les conséquences de cette situation sont incalculables, alerte Babacar Touré. Dans ce désordre se sont opportunément installés – des flibustiers de l’audiovisuel qui piratent et commercialisent illégalement les contenus de chaînes dûment installées et déclarées. » Il s’agit, ici, de ceux qui sont appelés câblo-opérateurs qui, malgré tout, défendent la légalité et la légitimité de leurs pratiques. « C’est comme si des faux-monnayeurs demandent un agrément à une banque centrale », ironise un expert.
« Outre le désordre juridique et commercial, (sur le paysage audiovisuel sénégalais, Ndlr) les risques sont devenus réels et divers, car ces derniers, échappant à toute régulation, produisent et proposent désormais des débats à caractère social ou politique, pratiquent le prosélytisme religieux et relaient des propos identitaires, chauvins, voire irrédentistes. »
« S’ouvre alors, s’inquiète le président du Cnra, tout un boulevard à l’incivisme médiatique. En effet, le désordre ambiant débouche sur des situations inédites : de nombreux détenteurs d’autorisation de diffuser à échelle locale, régionale ou communautaire émettent aujourd’hui sur le plan national, sans modification préalable de la convention qui les régit. D’autres glissent d’une programmation communautaire vers une transformation en chaînes généralistes, commerciales, font alors dans l’information politique. Alors que leur statut ne le permet pas. Ils induisent ainsi une concurrence plus que déloyale vis-à-vis des chaînes commerciales, autorisées à diffuser sur un large spectre. »
Jean Meissa Diop