La couverture universelle pour un meilleur accès de tous les Sénégalais aux services de santé est mise en œuvre depuis un peu plus de trois ans dans notre pays. En attendant les résultats de l’évaluation promise par le Président de la République – comme il l’avait également demandée pour l’Acte 3 – il faut reconnaître, que l’immense espoir placé par toute la Nation sur la réussite des nobles ambitions présidentielles pour un Sénégal solidaire pourrait être plombé par de basses préoccupations politiciennes et électoralistes.
L’idée de couverture maladie universelle est une vieille idée, qui date de la création de l’OMS (1948), qui l’a d’ailleurs inscrite en bonne place dans sa Constitution. Elle a été renforcée, en 1978, lors de la fameuse conférence d’Alma Ata, qui a jeté les bases de la politique de soins de santé primaires. Plus de trente ans plus tard, devant les difficultés croissantes rencontrées par tous les pays du globe à prendre en charge la santé de leurs populations, l’OMS en appela à améliorer l’équité en santé, en procédant à des réformes de la couverture universelle. D’ailleurs, en 2010, le rapport de l’OMS sur la santé dans le monde était intitulé « Le financement des systèmes de santé : le chemin vers une couverture universelle ».
C’est donc tout naturellement qu’en 2012, Mr Macky SALL, tout nouveau Président de la République, devant un niveau de protection sociale de moins de 20% au Sénégal, inscrit, parmi ses priorités, le programme de la couverture maladie universelle, qui sera officiellement lancé en septembre 2013.
La couverture médicale universelle (ou mieux la couverture sanitaire universelle) peut être définie comme une stratégie de financement devant permettre à tous les citoyens d’avoir accès à des services de santé nécessaires, efficaces et de qualité, sans pour autant subir des conséquences fâcheuses sur le plan financier dues aux paiements pour les soins.
La couverture du risque maladie comporte trois régimes au Sénégal : les régimes obligatoires, les politiques dites de gratuité ou d’assistance médicale et les mutuelles.
BILAN D’ETAPE DE LA COUVERTURE DU RISQUE MALADIE
Sur le plan de l’accès aux soins, entre 2012 et 2015, le taux de couverture du risque maladie est passé de 21% à 47%, à cause de deux nouvelles initiatives que sont la gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans (13%) et la subvention totale des cotisations pour les bénéficiaires des bourses de solidarité familiale (15%). Quant aux mutuelles, dont le développement et la promotion sont censés constituer l’axe prioritaires de la CMU, elles ne contribuent encore que pour 2% à l’effort de couverture au plan national.
La question se pose alors de savoir, dans quelle mesure, le système actuel protège vraiment contre le risque financier, si on prend en compte ses multiples dysfonctionnements contraignant le patient à solliciter les structures privées : insuffisance de l’offre par rapport à la demande, rupture de stocks de médicaments même ceux d’urgence, consommables et réactifs, absence de maintenance des équipements qui finissent par tomber en panne.
QUELS SONT LES OBSTACLES A LA REUSSITE DE LA CMU ?
Il y a d’abord ceux liés aux facteurs tels que le genre et le statut de migrant et les déterminants sociaux de la santé : stress, manque d’éducation, alimentation, habitat, emploi, exclusion sociale, transport…etc. qui, bien évidemment, ne pourront être résorbés que progressivement.
Il y a ensuite la faiblesse du système de santé, l’échec de la CMU pouvant également être en rapport avec les autres composantes du système de santé (souvent appelées les «buildings blocks »): pénurie en personnel de santé, ruptures fréquentes de stock en médicaments et en technologies médicales, prestation de services inefficace, systèmes d’information insuffisants, faibles et mal coordonnés, et leadership déficient du gouvernement et/ou mal-gouvernance.
Enfin, les ressources financières de notre système sanitaire, en plus d’être insuffisantes, font souvent l’objet d’une utilisation inefficiente par :
– le non-respect du code des marchés aboutissant parfois à des surfacturations préjudiciables aux structures sanitaires,
– l’absence de rationalisation des soins pouvant conduire à des protocoles thérapeutiques onéreux,
– les recrutements intempestifs et massifs de personnels non diplômés concomitants à une insuffisance des personnels qualifiés (manque de motivation des personnels, détérioration de la qualité des soins, équilibre financier des structures sanitaires compromis à cause de la lourdeur de la masse salariale et l’importance des primes et gratifications),
– l’option du tout hospitalier avec prédominance des soins curatifs onéreux dessert les activités liées à la prévention et à la promotion, qui en plus de préserver les populations de maladies très graves et souvent mortelles, sont d’un meilleur rapport coût/efficacité.
DONNER UN NOUVEL ELAN A LA CMU !
Pour passer de la noble ambition de la couverture universelle proclamée par les pouvoirs publics à la réalité d’un meilleur accès aux soins pour les larges masses populaires, qui devraient être épargnées de dépenses de santé onéreuses voire catastrophiques, il s’agira de prendre en compte les recommandations suivantes :
• Augmenter les ressources nationales pour la Santé en portant enfin la part du budget dévolu à la Santé à 15% (déclaration d’Abuja en 2001),
• Collecter les ressources de manière plus efficiente en luttant contre la corruption aussi bien à l’échelle nationale qu’à celle des structures de soins,
• Trouver de nouvelles sources de revenu (taxes indirectes à travers la TVA ; taxes sur les produits nocifs ; taxe sur les opérations de change taxe sur les transactions financières internationales…etc.),
• Réduire l’impact des paiements directs pour la population générale et les couches vulnérables en renforçant et en pérennisant la couverture maladie universelle,
• Approfondir le processus de réforme des IPM,
• Etablir un plan pour fusionner progressivement les mutuelles communautaires en un système national d’assurance maladie,
• Evoluer vers des contributions obligatoires (taxes ou cotisations d’assurance), voie obligée vers la couverture universelle,
• Minorer les sources d’inefficience (respect du code des marchés, recrutement des ressources humaines en respectant le tableau des emplois…),
• Privilégier les paiements à l’épisode par rapport au paiement à l’acte,
• Affiner le dispositif de subvention des cotisations des pauvres et personnes vulnérables aux mutuelles, qui risque de sombrer avec les bourses de solidarité familiale,
• Respecter scrupuleusement les différentes étapes de mise en place d’une mutuelle pour éviter des risques majeurs que sont le risque de sélection adverse, le risque moral ou de consommation abusive de soins, le risque de surprescription, les fraudes et les abus, l’occurrence de cas «catastrophiques»…etc.
En conclusion, nous dirons que face à la politique communicationnelle offensive de l’Agence de couverture maladie universelle, il importe, en tout premier lieu, de s’assurer de la réalité de la protection contre le risque financier. C’est pourquoi, le suivi des performances de la CMU devrait plutôt être centré sur la couverture réelle de la population par des services de santé essentiels de qualité et sur la protection contre les dépenses de santé directes catastrophiques.
A cet égard, il s’agira de prendre des mesures incitatives, de renforcer le personnel, les infrastructures et les équipements, bref de renforcer l’offre de santé, pour permettre aux groupes de population les plus vulnérables, comme les personnes pauvres ou celles qui vivent dans les zones rurales isolées, d’avoir accès à des soins de qualité.
C’est dire que le suivi des progrès vers la couverture sanitaire universelle ne devrait pas se limiter à un décompte administratif de pourcentages de couverture, mais s’inscrire dans le cadre plus général de la performance globale du système sanitaire.
Dr Mohamed Lamine LY
Medecin specialiste en Sante Publique
Syndicat démocratique des travailleurs de la Santé et du Secteur social (SDT/3S)
Tél : 775691740