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L’université Sénégalaise, Une Institution Socialement Responsable En Fossilisation Avancée

L’université Sénégalaise, Une Institution Socialement Responsable En Fossilisation Avancée

Il n’y a pas plus grand mal de découvrir du haut de ses longues années de pratique que l’université sénégalaise est un fossile. Nous avons une université en conflit avec elle-même. Une situation qui la plonge dans une léthargie qui ne finit pas de la rendre stérile et infertile malgré les coups de semence financière injectée. Les grèves l’ont rendu populaire. Mais elle cache d’autres réalités. Elle porte, entre autres, la responsabilité des abandons scolaires prématurées, un facteur qui n’a rien à voir avec le taux de cartouchard qu’elle fabrique, des chercheurs performants quasi inexistants, des curricula de formation peu autoritaire sur le marché du travail, un système de recrutement lent et peu transparent, un mépris pour les enseignants vacataires avec des recrutements affinitaires, des formations doctorales peu rationalisées. Nous sommes donc en présence d’un problème de management des institutions universitaires.
Aujourd’hui, les marchands ambulants ont quintuplé, les conducteurs de taxi clandos ont explosés, les candidats à l’émigration se bousculent sans discontinuer aux portes des ambassades ou empruntent les routes clandestines d’Europe ou d’Amérique. D’autres sont retournés mordre sur leur déception dans leurs villages. Voilà le visage du Sénégal actuel lacéré par le manque de performance de nos universités.
L’échec de l’université est la cause de la déscolarisation massive au Sénégal.
La démotivation pour les études s’explique par la difficulté d’insertion professionnelle du diplômé. Etre diplômé représente une capitalisation d’un long parcours d’étude, allant du primaire en passant par le secondaire pour aboutir au supérieur pour ne citer que l’université. Dans nos sociétés, le diplôme est la matérialisation d’une opportunité de travail à la suite d’un acquis légitimé en savoir et savoir-faire. Détenir ce fameux sésame sans trouver une activité rémunérée reste le pire cauchemar pour tout individu qui a eu le courage en dehors des impositions parentales de faire ce sacrifice. Malheureusement pour le Sénégal de nos jours, les diplômés- chômeurs se comptent à partir de mille. Si l’esprit scientifique se borne à les compter en cherchant à produire des statistiques, le commun des sénégalais en donne un avis lapidaire notamment « il y en a beaucoup ». Effectivement cette situation est indéniable. Parmi les 1 526 794 ménages que compte le pays dont 10 594 ménages collectifs (RGPHAE : 2013) il est compté au moins deux chômeurs par ménage, considérant que l’effectif moyen par famille est de 8 individus. Qui ose croire que le taux de chômage chez les jeunes est de 15.7 % (ANSD 2015) ?
Pour beaucoup de jeunes, l’école est un projet perdu d’avance puisqu’elle ne parvient plus à produire la finalité pour laquelle elle est valorisée, c’est-à-dire l’emploi. Le premier besoin de l’homme n’est pas le savoir. Il suffit d’interroger la pyramide de ce monsieur maintes fois cité A. Maslow pour s’en rendre compte. En réalité, le savoir est instrumentalisé pour accéder au marché du travail et satisfaire des besoins que l’on peut structurer entre le primaire, le secondaire et autres. Dans une société de type capitaliste, si l’individu n’arrive pas à monétiser le capital savoir dont il dispose, il meurt socialement avant de présenter les risques d’une mort physique. Il faut savoir que nos valeurs locales (sénégalaises) de solidarité ne nous sauvent jamais de la mort sociale.
Il n’y a rien de plus affligeant qu’un docteur qui tend la main dans l’intimité de sa famille ou de son groupe d’amis. Il n’y a rien de plus triste qu’un titulaire d’une maitrise ou d’un master qui demeure encore sous le couvert financier de ses parents. Il n’y a rien de plus désagréable qu’un titulaire de licence qui se fait payer ses besoins par ses amis qui ne sont jamais parvenus au cours secondaire ou qui ont décroché pour s’adonner à un métier ou un commerce.
Aujourd’hui, les marchands ambulants ont quintuplé, les conducteurs de taxi clandos ont explosés, les candidats à l’émigration se bousculent sans discontinuer aux portes des ambassades ou empruntent les routes clandestines d’Europe ou d’Amérique. D’autres sont retournés mordre sur leur déception dans leurs villages. Voilà le visage du Sénégal actuel. Et la faute est à imputer à nos universités.
C’est une arnaque de faire avaler aux populations que l’université n’est pas douée de prérogatives pour donner un enseignement qui opérationnalise ses produits sur le marché du travail.
L’Etat et le secteur privé sont attentistes à la situation qui prévaut sans porter un plan stratégique orienté vers le marché du travail autant pour les produits de l’université que pour le personnel enseignant et administratif. Cela est un b.a.-ba., parmi les principes de management de l’éducation et du travail. Ignorer que « le tout » s’articule dans une logique systémique est une chose impardonnable.
Une recherche non performative et non compétitive
Aujourd’hui qui peut attribuer à l’université sénégalaise des découvertes conséquentes ? A force de citer de manière cyclique les professeurs Cheikh Anta Diop et Souleymane Mboup, on finit par s’inquiéter.
Si nos facultés et UFR (unité de formation et de recherche) prennent la recherche comme second attribut, nos instituts pour ne citer que l’IFAN créé en 1936 qui persiste dans la recherche fondamentale et qui est devenu plus un musé qu’autre chose, peinent dans cette prérogative.
Où sont les revues de nos universités ? Une timidité inquiétante caractérise la publication des chercheurs. Le standard est devenu les revues des universités internationales. Si d’aucuns bombent le torse d’avoir réussi à se faire publier, d’autres sont au bord de l’essoufflement à force de chercher une publication. Je n’ose pas dire ici que beaucoup d’universitaires s’en moquent et n’en cherchent plus. Le mal est que nous avons oublié de valoriser ce que nous faisons par la création de revues et d’associations scientifiques pour permettre à nos chercheurs de s’exprimer et d’initier des axes de recherches stratégiques et novateurs. Et encore, nous faudrait-il un budget pour opérationnaliser cet ensemble précité.
Où sont les fonds de recherche ? De quelle pertinence encore relève ce fond appelé (FIRST) (Fonds d’Impulsion pour la Recherche Scientifique et Technique) qui attribue dans son registre de sélection un à deux millions aux chercheurs. L’eldorado privilégié est toujours l’occident qui est perçu comme un sauveur des individus chercheurs qui vivent « du chacun pour soi » et « du Dieu pour tous » à la suite d’une absence de management à ce propos. Beaucoup d’universitaires ont déserté cette austérité pour s’infiltrer dans les grâces nourricières des plus forts notamment les gouvernements et autres institutions. Il ne faudrait surtout pas se tromper, car ni le CODESRIA, ni le FIRST ne régleront le problème.
Des enseignants peu motivés et des curricula peu robustes
Il est connu que la recherche ne marche pas. Par conséquent, l’enseignement ne peut pas être performant. Les produits de l’université en pâtissent face aux exigences du marché du travail. C’est ainsi que s’ouvrent les portes du « lijenti », du copinage, de la non transparence et encore et encore, la liste étant intarissable. On s’est plaint de la république chinoise que compte en son sein l’université Cheikh Anta Diop. Certains enseignants ont justifié leur manque de performance par la pléthore d’étudiants et de copies qu’ils ont en face d’eux à chaque année académique. D’autres, dénonceront une année académique kilométrique qui n’entre dans aucun calendrier universitaire du monde et qui donne une particularité bien sénégalaise à nos universités. Tout sénégalais aurait souhaité mieux en termes de réputation.
Des revendications salariales
Quoi de plus normal de vouloir s’aligner sur le traitement des universitaires de France ou du Canada ou d’ailleurs et de revendiquer une prise en charge respectable au sein de l’université sénégalaise. La prétention au savoir est partout pareille. Mais la rationalité organisationnelle des pays développés nous domine largement en termes d’engagement et de résultat. J’en conviens que notre force de travail universitaire est partie pour être très peu motivée surtout lorsque les moyens de travail et de reproduction de la force de travail fait défaut. Le SAES se bat à coté de ses mandataires pour gagner cette bataille sociale. En revanche, nous ne pouvons féliciter des syndicalistes qui écartent le gros lot des vacataires, docteur d’université, qu’on ne cesse d’ignorer et de manquer de respect dans nos facultés et UFR. Par contre, il faut féliciter ceux qui ont osé parler de la pension de retraite insignifiante des professeurs, du déficit inquiétant de recrutement du personnel enseignant chercheur.
Le non-respect des délais de paiement des intervenants
Il faudrait être docteur de l’université pour enseigner en faculté ou en UFR. Mais ce principe est expressément biaisé par conséquent peu observé. Le peu des docteurs appelés sont surexploités et sous-payés. Encore qu’il faudra faire trainer leur dossier avant de leur faire parvenir de piétres honoraires durement acquis par une volonté de servir au mieux le savoir du pays. A ce niveau, j’ose penser que nos universités ne respectent pas le savoir dans l’objectivité de sa production. Tout le monde sait que nos institutions universitaires ont besoin d’enseignants. Mais il n’y a que dans l’administration de nos facultés, UFR et ACP (agence comptable payeur) que l’on arrive à jouer de malhonnêteté pour admettre un enseignant ou payer un service d’enseignement. Rares sont les vacataires qui se font établir un contrat. Nos universités devraient apprendre des écoles privées présentes sur le territoire national comment gérer une entreprise du secteur de la formation. Il y a un véritable déficit de gouvernance et de GRC (gestion relation client) dans l’administration universitaire du pays. Nous sommes en présence d’un amateurisme bien dissimulé.
Le spectre de la non transparence
Le mode de recrutement universitaire est vétuste dans sa surcharge qui est devenue une opportunité d’infiltration pour les affinités amicales, de dauphinat et de parentalité. Le recrutement est devenu un terrain politique. Les assemblées électives de recrutement sont une couverture d’alliances perverses entre les parties et sièges qui les composent. L’Etat est écarté dans ce processus afin de respecter l’autonomie des universités. Mais que proposent-on pour diligenter les dossiers qui dorment dans les facultés, les UFR et au MESR (ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche) ou encore mieux pour systématiser de manière structurelle le recrutement des enseignants-chercheurs dans nos universités.
Ce n’est pas un grade d’avoir fait six à huit ans de vacatariat ou même plus. Il n’y a rien de valorisant pour ceux qui s’en enorgueillissent lorsqu’ils témoignent de leur ancien parcours qui a fini par se rétablir au mieux. Non. Ce n’est point un conseil à donner à un jeune docteur ou à un ancien en quête de titularisation dans l’université sénégalaise.
Une formation doctorale non rationalisée et un personnel de titulaire non renouvelé
Le cursus doctoral est un schéma bien sélectif qui induit un parcours bien rude. Le système LMD prévoit trois années de recherche doctorale qui peuvent être prolongées par des dérogations. Le déficit d’encadrement par des professeurs titulaires est un des obstacles majeurs à côté, entre autres, de la carence des revues. Beaucoup parmi ces derniers font valoir leur droit à la retraite ou parfois profitent des contrats de prolongation. Bien souvent, ils n’ont plus les prérogatives qui leur permettent de faire soutenir des thèses de doctorat. De ce point de vue, beaucoup de doctorants sont sur la touche depuis des années en attente d’une libération pour une soutenance de thèse. Il urge à notre avis de faire éviter aux doctorants d’aller à l’aventure puisqu’il n’y a pas meilleur aventure et vagabondage qu’une formation non aboutie. C’est la vie sociale de ces grands diplômés qui est en jeu.
Pour ne pas conclure
Nous ne tarirons pas d’énergie à rappeler que la gestion performante de l’éducation supérieure doit s’arrimer au mieux avec un marché du travail. A défaut de cela, les villes et les villages vont réagir par des comportements irrationnels de survie. L’éducation porte l’orientation culturelle du pays. Mettons l’industrie du savoir à sa place en l’assainissant au mieux de ces opportunismes qui sont rien d’autres que déchets. S’il faut faire un « big-bang » à la Michel ROCARD, cet ancien premier ministre français, alors arrêtons tout et reprenons les comptes depuis le zéro. Oui, défossiliser l’université sénégalaise.

Pascal OUDIANE
Docteur de l’université Gaston berger de Saint-Louis.
Email : Socialinnov7@gmail.com

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