En ce début du 21è siècle, caractérisé par une compétitivité et une mondialisation de l’économie du savoir, le système éducatif sénégalais se trouve à la croisée des chemins. Face à une double contrainte – celle de se conformer aux exigences de la communauté internationale et celle de s’adapter aux réalités nationales – l’école sénégalaise peine à se faire une identité. Pour y arriver, il urge de substituer l’école au Sénégal extravertie par une école sénégalaise intravertie et ayant une identité intrinsèque. Cela semble être la principale problématique ayant provoquée la tenue des Assises nationales de l’éducation et de la formation en août 2015.
Dans son allocution d’ouverture, le président de la République, Macky Sall, considérant les enseignants comme la clé de voûte de tout système éducatif, affirmait : « Je veillerai particulièrement à leur formation aussi bien initiale que continue. C’est une nécessité de professionnaliser les métiers du système éducatif. Les pays qui l’ont réussi sont parmi les plus développés » (Revue Réussir l’éducation, n°01, p. 16). L’option de professionnalisation de la formation, clairement affirmée par la plus haute autorité de l’Etat, a-t-elle été matérialisée dans les faits ? Autrement dit, la formation initiale au sein des Crfpe est-elle professionnalisante ? Quelles sont les contraintes pesant sur le système de formation inhibant la visée professionnalisante ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre notre présent article.
• Qu’est-ce qu’une formation professionnalisante ?
Nous faisons nôtre l’acception de (Bourdoncle, 2000, p. 118) qualifiant de professionnalisante une formation qui « s’oriente vers une activité professionnelle dans ses programmes (rédigés plutôt en termes de compétences), sa pédagogie (stages, alternance), ses méthodes spécifiques (méthodes des cas, simulation, analyse de pratique, résolution de problèmes) et ses liens plus forts avec le milieu professionnel (d’où viendrait notamment une bonne partie de ses formateurs ». La définition de Bourdoncle résume les différentes caractéristiques d’une formation professionnalisante : construction de compétences professionnelles, l’alternance comme modalité de formation, les dispositifs d’analyse de pratiques et l’articulation entre le lieu de formation et celui du travail. L’étude de chacune de ces caractéristiques peut constituer un vaste champ de recherche ; ce qui n’est pas notre ambition dans cet article.
• Quid de la formation initiale des instituteurs ?
L’analyse du système de formation des instituteurs au Sénégal à la loupe des critères théoriques de la professionnalisation nous amène à tirer quelques conclusions. Ces dernières sont issues des résultats de nos recherches doctorales se résumant comme suit :
– L’inadaptation des dispositifs de formation, tels que les référentiels de compétences importés d’autres contextes éducatifs et plaqués, de manière artificielle, sur des réalités pour lesquelles ils ne sont pas adaptés ;
– La réduction de la durée de la formation initiale obéissant aux seules contraintes financières limite la possibilité de doter les élèves maitres d’outils conceptuels et méthodologiques de recherche pour l’élaboration de mémoires professionnels ;
– La persistance d’une politique de formation centralisée réduisant toute responsabilisation et autonomie des centres de formation et des acteurs à la base ;
– Des contenus de formation teintés d’académisme et d’acquisition de techniques et recettes propres au métier enseignant sans une véritable réflexivité de la pratique professionnelle ;
– Le cloisonnement étanche entre les formateurs de Crfpe et les maîtres d’application chargés de l’encadrement pratique. Ainsi, l’absence de cadre d’échanges entre formateurs ne milite pas en faveur d’une cohérence et d’une synergie des actions de formation initiale professionnelle ;
– L’inexistence d’une « analyse de pratiques » comme dispositif de formation fondé sur une alternance intégrative.
Par conséquent, la professionnalisation de la formation initiale des instituteurs au Sénégal relève plus de la prescription, de l’injonction que d’une véritable appropriation par les acteurs. Tout ceci obère les intentions et les efforts de l’Etat pour rendre le système éducatif et plus particulièrement celui de la formation plus performant.
• Perspectives pour une formation professionnalisante
L’atteinte d’une formation initiale professionnalisante ne saurait prospérer sans s’orienter sur des voies singulières par la prise en compte des réalités locales du système éducatif sénégalais. Cela peut se rapporter tant sur le plan intentionnel qu’opérationnel.
Qui plus est sur le plan structurel, la réforme des Crfpe gagnerait à prendre en compte la compétitivité. Cela répond à l’évolution de la demande de qualification sur les marchés du travail national et international et aux idées neuves sur la façon d’organiser la production de la réussite scolaire et de la compétence professionnelle. Ainsi, l’investissement sur le « capital humain » constitue une plus-value dans la professionnalisation de la formation initiale.
Par ailleurs, les pratiques de formation des acteurs peuvent se bonifier de nouveaux dispositifs, tels que l’analyse de pratiques et la rédaction d’écrits professionnels. Pour ce faire, l’institutionnalisation d’un corps de formateurs de différentes catégories (enseignants chercheurs, inspecteurs de l’éducation, maitres d’application) constitue un gage d’efficacité de la formation.
En définitive, il convient d’admettre que la professionnalisation de la formation initiale des instituteurs ne saurait tenir toutes ses promesses qu’en scrutant de nouvelles voies prenant en compte les enjeux ayant pour noms : la scolarisation primaire universelle, la rationalisation des ressources humaines, matérielles et financières, la satisfaction des différentes demandes éducatives de la population sénégalaise, l’appropriation, par les enseignants et acteurs, des différentes réformes et innovations pédagogiques introduites à l’école. Tels sont les défis auxquels est confronté le système de formation des enseignants au Sénégal pour la réalisation de la professionnalisation de la formation initiale, gage d’efficacité et d’efficience de nos enseignements/apprentissages. Nous sommes convaincus que « les systèmes les plus performants sont la preuve, qu’infine, c’est le niveau de compétences des enseignants qui fait la qualité d’un système scolaire » (Mc Kinsey et Compagny, 2007).
Dr Mouhamadou Lamine BA
Formateur au Crfpe de Thiès
Courriel : babelnoir@gmail.com