Depuis quelques jours, la polémique ne cesse d’enfler sur le sujet du franc cfa. Il est à craindre qu’elle ne s’essouffle en ne débouchant sur rien de concret comme nous avons en avons parfois pris la mauvaise habitude. Le sujet est pourtant trop sérieux pour être limité aux seuls effets de manche.
Certains, s’appuyant sur un seul bout de phrase « le franc cfa est une bonne monnaie », sorti de son contexte et surtout de tout ce que le Président Macky Sall a précisé sur le sujet, en ont tiré toutes sortes de conclusions hâtives et notamment la volonté du Chef de l’Etat de maintenir le statu quo, vaille que vaille et quoi qu’il en coûte.
Il est vrai que ses deux premiers prédécesseurs s’étaient fait les chantres des mécanismes de la Zone Franc et, qu’en 1994, la dévaluation du franc cfa s’était faite contre la volonté du Président Diouf. Soyons honnêtes, cette dévaluation avait été intégralement décidée de l’extérieur, dans des proportions rarement vues dans l’histoire de la monnaie. Avec des avantages annoncés près peu vérifiés à ce jour. Et en marginalisant largement toute l’expertise locale.
Leur successeur, le Président Abdoulaye Wade, avait ensuite poussé la provocation à demander l’utilisation de nos réserves de change pour des financements directs de projets, sans aucune réflexion préalable et donc sans aucun résultat.
Bref, après plusieurs décennies, rien n’a vraiment changé mis à part quelques réformes superficielles.
Sur le strict plan de sa gestion, le franc cfa est effectivement une bonne monnaie, gérée avec rigueur par un Institut d’Emission commun, la Bceao, et sur la base d’une politique monétaire commune. Cette monnaie est stable et a permis de contenir l’inflation, ce qui est loin d’être le cas dans nombre d’autres pays africains. Beaucoup de pays souffrent de la mauvaise qualité de leurs monnaies respectives même s’il existe des exemples bien plus positifs. Il est également juste d’ajouter qu’en termes d’intégration sous régionale, le franc cfa est indiscutablement la meilleure réussite connue en Afrique de l’Ouest et même ailleurs. Il y a eu trop d’expériences douloureuses pour se satisfaire de la simple émotion, des échecs aussi coûteux et retentissants qu’Air Afrique pour ne prendre que ce seul exemple, ne peuvent qu’inciter à la prudence.
Mais il est tout aussi vrai qu’après plus d’un demi-siècle, l’immobilisme ne saurait solder le débat sur cette monnaie commune qui est plus la résultante d’un héritage que notre construction propre. Avec le recul que donnent l’histoire et l’analyse, avec l’ambition légitime que nous avons de développer la production et donc l’emploi mais également la compétitivité de nos entreprises et la réduction du déficit de notre balance commerciale, nous avons le droit et même le devoir d’ambitionner des mécanismes plus performants et plus incitatifs pour nos pays, dans le domaine de la monnaie comme dans d’autres secteurs, qui peuvent aller de la réforme à de profondes ruptures. Il n’est pas aisé de savoir où mettre de façon optimale le curseur dans un domaine qui aura des répercussions directes et définitives sur toutes les couches de la population, sans exception. La monnaie ne sera jamais la panacée, elle est une condition nécessaire mais certainement pas suffisante, elle doit s’appuyer sur des fondamentaux solides. Et très clairement, le rattachement de la monnaie de pays en voie de développement à une monnaie aussi forte que l’Euro apparaît comme un anachronisme privant les pays concernés de la souplesse nécessaire à l’amortissement des chocs qui caractérisent toutes les économies dynamiques. La vérité n’appartenant à personne, je retiens que le Président Macky Sall a fait preuve d’abord d’une grande modestie sur cette question en demandant à être « davantage éclairé » et surtout d’une grande ouverture en précisant que les Chefs d’Etat sont « assez autonomes et responsables pour emprunter une autre voie » s’il était démontré que cela était nécessaire.
En un mot comme en mille, jamais dans le Sénégal d’après les indépendances les conditions n’ont été aussi favorables pour lancer une réflexion scientifiquement irréprochable et qui permettrait de donner à nos chefs d’Etat l’argumentaire nécessaire à la prise de décisions qui seraient, elles, politiques. Le tout sans occulter les considérations géopolitiques actuelles, avec les promesses sans arrêt réitérées mais tout aussi régulièrement repoussées d’une monnaie ouest africaine, cela fait quelques longues décennies que cela dure.
Puisque cette fenêtre est ouverte, ne perdons pas de temps et il revient aux spécialistes de la question, en associant toutes celles et ceux qui devront et/ou voudront participer à l’exercice, de déposer sur le bureau des chefs d’Etat de l’Uemoa des propositions argumentées, responsables, réalistes et innovantes. Nous ne manquons certainement pas de ressources dans ce domaine.
En transformant une polémique stérile en propositions d’actions, nous ferons œuvre utile maintenant et pour les générations à venir.
Mabousso Thiam
Directeur général de l’Adepme