Je m’apprêtais lundi dernier à envoyer les réflexions ci-dessous à des journaux sénégalais lorsque j’ai appris via des sites internet que le Président Macky Sall aurait (j’insiste sur le conditionnel) demandé à ses ministres et directeurs généraux d’enlever les innombrables affiches à son effigie qui inondent les rues et avenues de la capitale. Je vous livre ce coup de gueule, car à mon avis, rien n’a changé sous le ciel sénégalais.
Dans ce Sénégal de 2017, on se croirait hélas dans une République bananière avec tous ces posters d’un Président au sourire triomphaliste qui semble narguer son Peuple. C’est fou cette «logorrhée visuelle» qui nous bouche l’horizon. Il est partout le Président Macky Sall. A croire qu’il a un don d’ubiquité ! Il est sur l’autoroute de la Patte d’Oie, tout au long des grandes avenues de Dakar, sur la corniche, dans les recoins les plus reculés de la banlieue, entre les affiches du nouveau disque de son pote Youssou Ndour ou au milieu de deux pubs de «cube Jumbo», ce fameux bouillon de cuisine dont il dit qu’il est dans toutes les sauces.
C’est vraiment fou toute cette débauche de communication rien que pour montrer aux Sénégalais que leur cher Président est en train de travailler, comme s’il n’était pas élu pour ça. Justement, nous l’avons élu pour qu’il fasse son job, comme disent les Américains, c’est-à-dire construire des routes, édifier des ponts, donner du travail à ceux qui n’en ont pas, faire en sorte que nous ayons les moyens de nous assurer les trois repas quotidiens, d’avoir un bon système de santé, de permettre à nos enfants de fréquenter de bonnes écoles, bref œuvrer pour que tous les Sénégalais vivent mieux. Et il est grassement payé pour faire ce job, notre cher Président Macky Sall : nous lui avons donné un avion perso afin qu’il parcourt le monde à sa guise, il dispose de fonds… politiques (disons, une caisse noire qu’il utilise sans rendre compte à personne) se chiffrant à des milliards de nos pauvres francs Cfa, il ne paie ni eau ni électricité ni téléphone, a une bagnole hyper luxueuse, n’achète jamais du carburant et ne paie pas le loyer du Palais que nous avons mis à sa disposition, là où les pauvres «goorgoorlous» (crève-la-faim) tirent le diable par la queue pour joindre les deux bouts. Même son épouse, dont on dit qu’elle est la Première de nos dames, bénéficie des largesses financières pour renflouer sa Fondation alors que ce n’est pas elle qui a été élue par les Sénégalais.
Alors dites-moi : pourquoi diable les partisans de Macky Sall placardent-ils nos rues, routes et avenues d’affiches vantant les nombreux projets et les quelques réalisations de leur mentor ? Il faut vraiment être un piètre conseiller en communication pour avaliser une telle pratique qui frise la propagande. Déjà que le Président, ses ministres, son parti politique et sa famille squattent en permanence la plupart des programmes de la télévision nationale, il faut encore nous imposer son image par affiches et posters interposés. Un étranger qui débarque à Dakar se croirait dans un pays en pleine campagne électorale, mais une campagne… unilatérale avec un seul candidat. Même dans les pays les plus centralisés, on ne s’adonne plus à de telles pratiques. J’ai vécu en Chine, un pays qui progresse, qui se construit sans tambours ni trompettes, mais je n’ai jamais vu autant d’affiches et de posters du chef de l’Etat. Pourtant, le Président Xi Jinping est en train de réaliser des prouesses dans tous les secteurs de l’économie. En Chine, chaque jour des méga structures sont réalisées : des ponts qui s’étendent sur des kilomètres, des Tgv, des avions, des voitures électriques, des fusées qui vont à l’assaut de l’espace, etc. Mais dans ce pays dirigé par un parti unique, je n’ai jamais vu des posters, comme ceux de Macky Sall, dans les rues et avenues de Beijing ou de Shanghai. D‘ailleurs, le Président Sall lui-même devait s’en rendre compte lors de sa visite effectuée en Chine en février 2014, et durant laquelle il y avait juste quelques drapeaux du Sénégal flottant sur la Place Tiananmen. Ici au Sénégal, une simple visite d’un chef d’Etat étranger donne droit à une débauche d’affiches de toutes sortes, pavoisant les artères de la capitale. Et puis, un Etat démocratique qui se respecte doit dépasser certaines pratiques. En France ou aux Etats-Unis, il est impensable d’orner les rues et avenues des grandes villes tout simplement parce que François Hollande ou Barack Obama doivent inaugurer un ouvrage. Pourtant, les occasions n’y manquent pas.
Attention, un culte de la personnalité rampant est en train de gagner le Président Macky Sall et il est grand temps qu’il dise stop à ses partisans qui veulent le faire passer pour le Messie que le Sénégal attendait depuis des millénaires. Je ne sais pas si l’initiative vient de lui-même ou de simples conseillers zélés qui veulent plaire au prince. Toujours est-il que ce n’est pas cela qui va lui attirer la sympathie des Sénégalais ou lui assurer ce second mandat qui hante son sommeil. Un coup d’œil dans le rétroviseur lui ferait comprendre que son prédécesseur, Abdoulaye Wade, faisait presque la même chose. Lors du sommet de l’Oci et durant le Fesman, les rues et avenues de Dakar ployaient littéralement sous le poids de son image envahissante. On se souvient de son affiche géante placardée à la Place de la Gare de Dakar, pendant de longs mois, et de tous ces posters qui vantaient ses réalisations, sans oublier le slogan de la Génération du concret (le mouvement imaginé pour propulser son fils Karim au pouvoir) sur le fronton d’un ouvrage de la corniche dakaroise. A quoi cela lui a-t-il servi ? A presque rien. Quand les Sénégalais en ont eu assez de sa tronche, ils les ont balayés, lui et tous ses partisans, et les ont envoyés à une retraite anticipée.
Ailleurs en Afrique, dans tous les pays que nous avons visités, le culte de la personnalité autour d’un «Président adulé et bien aimé» a abouti à une catastrophe. Cela a été le cas en Tunisie où j’ai été toujours frappé par l’omniprésence des posters de Ben Ali sur l’avenue Bourguiba et dans les moindres recoins des souks de la capitale. Idem en Libye où, durant le sommet de septembre 1999 qui a posé les fondements de l’Union africaine, des confrères et moi nous amusions à compter les innombrables posters de Kadhafi qui longeaient la corniche de Tripoli et qui vantaient les mérites de sa réussite économique et sociale. On sait comment cela s’est terminé dans ces deux pays : Ben Ali a été poussé à l’exil par un Peuple furieux qu’il croyait soumis à jamais, tandis que Kadhafi, lui, a péri atrocement à l’issue d’une révolte populaire sanglante.
Nous ne souhaitons pas un tel sort à notre cher Président Macky Sall, mais de grâce, épargnez-nous de tous ces posters qui semblent nous narguer et qui nous bouchent la vue ! Un Président n’est pas comme n’importe quel produit de consommation qu’on vend avec des slogans publicitaires, racoleurs et peu accrocheurs. Un Président, ça travaille ou ça… démissionne, pour paraphraser un ministre français. Bien sûr que le Président Macky Sall est en train de réaliser d’excellentes choses, notamment dans le domaine de l’énergie, avec l’inauguration de centrales solaires qui vont, à coup sûr, améliorer l’approvisionnement en électricité des foyers sénégalais et nous éloigner à jamais des mauvais souvenirs de coupures de courant qui, entre autres griefs, ont emporté le régime de Wade. On peut en dire autant de la construction de nouvelles routes, de l’édification d’une nouvelle ville à Diamniadio ainsi que de la Couverture maladie universelle qui contribue à assurer une bonne santé aux populations les plus démunies.
Cependant, son bilan est loin d’être reluisant et le Sénégal est encore loin de ce pays de Cocagne qu’on veut nous dépeindre. La misère y est encore persistante. Faites un tour dans certains quartiers de Dakar et de sa banlieue où l’on peine à manger tous les jours et où des familles se cotisent pour préparer un repas collectif ! Posez la question à ces centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes qui n’ont jamais travaillé de leur vie, qui n’ont ni femme ni enfants ni espoirs et qui se réveillent tous les jours en se posant cette question : à quand la fin de notre malheur ? Discutez avec tous ces gueux qui, chaque matin, quittent leur lointain quartier pour venir chercher la pitance au centre-ville dakarois et vous saurez que le Président Macky Sall et son régime ont encore du pain sur la planche. Alors, ne nous fions pas uniquement au clinquant des belles routes et des ouvrages inaugurés par le chef de l’Etat. Son prédécesseur Wade en avait tellement inaugurés ! La réalité est beaucoup plus complexe et plus cruelle que cela. Mais ça, on ne peut pas le savoir lorsqu’on est retranché derrière une tour de verre, sous les lambris du pouvoir, entouré de ministres et de conseillers plus préoccupés par leurs privilèges que par la satisfaction des besoins réels des populations qui souffrent en silence et qui très souvent ne vous disent jamais la vérité.
Pour revenir aux incontournables affiches de Macky Sall dans les rues et avenues de Dakar, nous conseillons à l’entourage du chef de l’Etat (où l’on retrouve une concentration inouïe de journalistes) de mettre un bémol à tout cette… «cacophonie visuelle» qui, à la longue, produira un effet inverse. A force de voir du Macky Sall partout et à n’importe quelle occasion, les Sénégalais se lasseront de son image (si ce n’est déjà fait) et lorsqu’arrivera la véritable campagne électorale, ce sont les affiches des autres candidats qui vont attirer leur regard. Et cela risquerait d’avoir un impact très négatif sur son score électoral. A bon entendeur…
Modou Mamoune FAYE
Journaliste
mamounef@yahoo.com