La distinction « Homme de l’année », le plus souvent à l’initiative d’entreprises de presse, cristallise de plus en plus les attentions. Encore cette année, beaucoup de médias ont décerné ce titre ; certains à Marième Faye Sall, Youssou Ndour, Macky Sall, Cheikh Kanté, Malick Gackou, d’autres à Ousmane Sonko, Nafi Ngom Keita, et même à Sanekh … Cela suscite de nombreuses interrogations, notamment sur l’opportunité, l’objectivité et la transparence qui accompagnent les processus de désignation.
Tout le monde peut néanmoins s’accorder qu’une telle distinction, au regard de sa dénomination, doit récompenser un ou des individus qui ont été au cœur d’événements qui ont marqué positivement notre mémoire collective. En cela, elle est sans aucun doute pertinente. Parce qu’elle permet de mettre en lumière une tenue, une conduite et un engagement conformes aux attitudes que l’on aimerait promouvoir dans notre société. Dans l’espace public, il ne manque certainement pas d’hommes et de femmes qui indiquent, par la rhétorique et en usant de la religion ou de la morale, les bonnes postures à avoir dans la communauté. Mais, ces discours peuvent avoir un effet moindre sur la population que celui des leçons données par l’exemplarité offerte par un individu. La désignation d’une personne qui a eu à incarner publiquement les valeurs unanimement acceptées, au cours de l’année, renseigne que cette entreprise est humainement possible et qu’elle n’est pas juste un idéal. Dans un environnement caractérisé par une perte chronique des repères et des valeurs, une voie de promotion des valeurs aussi efficace ne doit pas restée inexploitée.
Aujourd’hui, les personnes de moralité douteuse aiment, plus que les autres, jouir de la considération au sein de leurs milieux. Ils sont capables de toutes les dérives pour paraître meilleurs, avoir de la reconnaissance et même soulager leur conscience. Cet état de fait est la cause de nombreux comportements répréhensibles comme la tricherie ou l’hypocrisie. D’ailleurs ces comportements sont observés dans l’accomplissement des rites religieux, dans le mercenariat, dans l’engagement citoyen ou politique… Cette instrumentalisation n’épargne pas la pratique de désignation de l’« Homme de l’année » qui amène gloire et reconnaissance au sein d’une communauté donnée. Ainsi, Certains désigneront un « Homme de l’année » pour bénéficier de strapontins, d’autres négocieront pour être désignés, mais il restera toujours des acteurs dignes et objectifs qui pourront expliquer de façon limpide le choix effectué. En tous les cas, chacun aura pleinement le droit d’apprécier le choix des uns et des autres.
Dans le contexte sénégalais, les objectifs, en désignant un « Homme de l’année », pour tout initiateur, doivent d’abord être de générer des modèles, par la fourniture d’exemples concrets de personnages pouvant redonner espoir à une société désorientée, ensuite d’encourager ceux qui ont le potentiel à passer à l’action et enfin de féliciter une démarche d’une année productive pour la communauté.
Bien d’anonymes Sénégalais méritent, chaque année, ce titre au regard des trois critères sus-énumérés : de braves mères ou pères de famille, de l’étudiant dépourvu de bourse qui réussit brillamment son examen au petit commerçant qui a commencé l’année avec moins de 5.000 FCFA de capital et qui la termine avec un chiffre d’affaires conséquent.
A l’instar de beaucoup d’observateurs, je suis d’avis, qu’en cette année 2016, Ousmane Sonko et Nafi Ngom KEITA, pour avoir fait bouger opportunément des lignes politiques séculaires, méritent cette distinction. Leurs actions ont été bénéfiques et remarquables sur plusieurs points dans la vie de notre nation. Elles sont caractérisées par un courage certain, une honnêteté manifeste et une intelligence évidente. Leurs démarches laissent apparaître un ancrage à nos réalités bien sénégalaises sans le moindre soupçon d’influence autre. Leurs parcours professionnels, caractérisés par des promotions obtenues suite à la réussite de concours sélectifs, témoignent de leurs forts états d’esprit.
De par leurs actions de 2016, ils ont permis de démystifier des arcanes de la gestion publique. Ils ont rendu accessible un langage codifié donc sciemment floué dans le dessein de rendre le débat sur les politiques publiques inaccessibles à la population. Leurs interventions publiques ont rappelé que la politique n’est ni plus et ni moins que la gestion de la cité au bénéfice de tous ses membres. Même s’il apparaît chez Monsieur Sonko, ce taquin provocateur, des traces de jeunesse et chez Madame Nafi Ngom Keita une obsession agressive dans son travail, il faut reconnaître que les deux ont, au cours de l’année 2016, beaucoup contribué à ralentir la tendance négative de la marche de notre Sénégal. Leurs démarches peuvent susciter chez beaucoup un sursaut d’orgueil dans une société où la course éhontée aux biens, même indument obtenus, justifie tous les comportements déviants et a détruit bien des valeurs ancestrales. Mais leurs actions, surtout celle de Monsieur Sonko, menées dans un cadre partisan, peuvent valablement faire l’objet d’un soupçon de recherche, par ailleurs légitime, d’ascension politique.
Pour ma part, l’ « Homme de l’année » est : « Les 45 professeurs de droit », qui, à un moment polémiste de la vie de notre Nation, se sont levés pour défendre des choses essentielles : l’intégrité de l’enseignement académique national, le principe de la droiture requise pour les hautes responsabilités publiques, l’implication obligatoire de tous, en particulier de l’élite, dans la marche de notre communauté…
Par leur mémorable manifeste du 25 février 2016, ces « gardiens du temple » ont freiné le passage à un niveau supérieur dans la dégradation des mœurs. Pour rappel, devant la polémique engendrée par l’interprétation de la « décision » ou « avis » du Conseil constitutionnel, un Professeur agrégé d’université qui, quelques années auparavant, avait soutenu une thèse dans un livre scientifique, plus tard devenu ministre-conseiller, s’était mis à défendre le contraire. Les cinq (5) magistrats qui siégeaient au Conseil constitutionnel ont, dans leur avis, donné au Président de la République, contrairement à l’habitude du Conseil d’affirmer son incompétence à se prononcer sur des lois constitutionnelles, indiqué qu’ « il n’était pas dans l’esprit de la constitution et dans la pratique de modifier la durée d’un mandat en cours ». De par ces agissements, l’on était en droit de se demander si, effectivement, la science est bien guidée par un raisonnement objectif ou même si le droit était effectivement une science. Il aurait été aussi compréhensible que la société adoptât à jamais le reniement de la parole prononcée puisqu’un éminent membre de la communauté académique et de très hauts fonctionnaires sous serment ont pu le faire impunément. Les derniers remparts dans les sociétés qui se veulent démocratiques et modernes doivent être ceux qui incarnent les institutions académiques et administratives. Ils sont sensés être très actifs dans la vie de la nation et neutres lors des compétitions citoyennes.
C’est dans ce contexte que ces 45 Sénégalais, titulaires chacun d’au moins d’un doctorat en droit ou en sciences politiques, engagés et payés par l’Etat, ont pris leur responsabilité pour prendre date devant l’histoire. De par cet acte, certains d’entre eux perdront des opportunités financières et de carrière, et en étaient conscients, mais l’ont assumé en signant ce manifeste. Cette irruption d’universitaires à un moment où la passion politique était au paroxysme et où toute position était qualifiée de partisane, doit être donnée en exemple et les acteurs félicités pour l’éclairage opportun apporté, leur courage, leur patriotisme et leur honnêteté scientifique. L’exercice est d’autant plus remarquable qu’il est très difficile de rassembler autant de scientifiques sur une thèse éminemment politique. Une marche résolue vers le progrès nécessite l’éclairage bienveillant de chercheurs honnêtes et engagés. Des économistes fiables, des sociologues et anthropologues qualifiés, des historiens éclairés ne manquent pas dans le pays, mais la plupart ne participent pas pleinement aux débats inhérents à la marche de la Nation. L’occasion nous est donc offerte de donner en exemple ces éclaireurs pour que la gloire, dignement acquise, les suive jusqu’à leurs petits-enfants et que quiconque les envie fasse pareil pour la communauté.
Mamadou THIOMBANE
thiombanemamadou@hotmail.com