Une autoroute et deux ponts pour maîtriser un serpent en une cadence…
Débutons par ce long extrait, tiré du recueil de nouvelles de Cheikh C. Sow, Cycle de sécheresse, [Hâtier-Paris, 1983, Cf. «Tam-tams et danses nocturnes», p. 35-43], qui met en scène un excellent et téméraire danseur, une autoroute, deux ponts, des rythmes et un serpent.
L’auteur écrit : «J’ai écouté plus d’une fois des saints ou des égarés dire qu’en même temps qu’elle frappe la peau de chèvre tendue, la baguette du tambourinaire percute intérieurement l’homme, juste à l’endroit où la sagesse et la folie se touchent et se confondent. … La danse donnée ne doit pas être loin, sûrement derrière l’autoroute, vers Koussoum… j’ai traversé Koussoum et le pont et je me rends compte que le vent m’a trompé, que la danse est plus éloignée que prévu ; peut être du côté de Tialy, après le deuxième et branlant pont. Cela ne me décourage cependant pas, car, après le «touss», les frappeurs de peaux de bêtes ont attaqué un «dagagne» subtil et détaché après avoir battu rapidement, mais intensément, un fantastique «Kou diane mate», le salut au serpent. Dans ce rythme, qui fut magique, les peaux martyrisées de coups lourds et lents disent ce poème inquiétant et anonyme :
Qu’il survive ou qu’il meure,
celui qui est piqué par le serpent
pense à la mort ;
qu’il survive ou qu’il meure !
(…) Parfois je danse assez bien (…). La danse de l’homme (…) est gymnique, toute en force mais toute en finesse… Falang le grand lutteur, l’a dit : «Quand l’adversaire lutte, moi, je danse et le terrasse !» (…).
Ah ! Dieux, qui étaient donc les rythmiciens ancestraux qui nous ont légué toutes ces saines puissances ? Sachons en tout cas qu’ils étaient bien meilleurs que nous, ces hommes fabuleux qui créèrent ces sensations rythmées qui nous secouent encore, nous remuent, nous touchent dans tout notre être. Oui, ils nous disent bien quelque chose de profond à travers tout ceci, car comment est-il possible que de simples coups frappés sur une peau tendue nous émeuvent parfois jusqu’aux larmes ?»
Toute biographie est, par essence, en itinérance…
Pour agir, le Président Adama Barrow devrait certainement revêtir le vrai habit de «l’Agent Immobilier» (enfin chef de chantier… donc extirpé des petites combines immobilières des courtiers qui courent derrière les tiers «perdants») en même temps que celui du «Vigile», avec la vigilance d’un huissier-gendarme. Parce qu’il doit déconstruire en construisant et surveiller en veillant, dans le sens profond de la vigilance demandée et exigée de tout chef qui aborde un nouveau chantier.
Depuis toujours, et surtout aujourd’hui, l’immobilier et la sécurité ont préoccupé ou préoccupent les hommes. Ce ne sont donc pas seulement que des métiers, mais plutôt deux philosophies. La première fonde l’esprit normalement prospectif de tout «Agent immobilier» averti des arcanes de son marché. Et la seconde par contre, valide l’essence de l’enquête de moralité qui sanctionne, de son sceau, les champs d’intervention d’un «Vigile» moral.
Dans un récent passé, j’ai «testé» les deux emplois, comme beaucoup d’entre nous. Agent de recouvrement dans une société immobilière «familiale» à Dakar et vigile à l’Espace Marionnaud de la Place Saint-Jean dans la ville de Melun (au Sud-est de Paris)… de belles expériences qui permettent de mieux mesurer l’itinéraire complexe et instructif de nos biographies, si jamais, un jour, on devait les croiser. Ce type d’itinéraire (et d’autres aussi variés) se révèle souvent déterminant dans le caractère final, parce qu’il comporte, en son sein, un élément fondamental pour s’humaniser : l’humilité. Et un agent immobilier, a fortiori un vigile, doit être vraiment attentionné et courtois, afin d’éviter de tomber, pour le premier dans les travers et les incohérences du courtage, et pour le second d’être prisonnier d’un gang.
Des infrastructures sortent de terres et de nouvelles villes sont en émergence pour «loger» ce monde qui arrive. Elles participent non seulement de la consolidation du tissu urbain, mais insufflent aussi de nouvelles valeurs sociales produites par les populations. Partout, en Afrique, poussent des immeubles qui modifient davantage, non seulement l’horizon naturel, mais aussi tous les horizons sociaux, politiques et culturels. Même si le secteur de l’immobilier connaît un certain ralentissement (cherté du loyer…), nous sommes toujours dans le nuage de son «boum !».
Le développement de l’industrie du ciment le prouve amplement. Longtemps dominé par une seule cimenterie «nationale», le marché du ciment s’est largement ouvert, influant grandement sur la qualité du produit, en participant au renforcement de la sécurité dans les constructions. Elles prennent de la hauteur et donc exigent de solides passerelles.
De l’autre côté, les sociétés de sécurité se développent depuis que la globalisation de la peur est devenue presque effective. Ces deux secteurs absorbent une partie de la manne financière que nous engrangeons, en ouvrant des perspectives de travail pour les jeunes déclassés de tous les systèmes d’enseignement.
D’ailleurs, il n’est point rare de rencontrer ses propres anciens étudiants devenus agents de sécurité. Ce n’est point une tare, mais plutôt l’expression d’une certaine vigilance. Il s’agit donc, aujourd’hui, de concilier les deux philosophies, dans ce qu’elles ont comme vertus afin de consolider la nouvelle posture.
Le Président Adama Barrow doit déconstruire toute l’architecture administrative, politique, militaire, sécuritaire, sociale et culturelle héritée de Junkung Jammeh Babali Mansa Obiang (sa nouvelle particule…).
Finalement, il faut poser la première pierre afin de permettre au devenir d’enjamber les futures générations et arriver à produire une population soudée au-delà des «souverainetés nationales» et de leurs caprices hérités séparément…
Pour tout ce travail, il lui faut un casque, une brouette et une truelle, doublé d’un vigile, armé d’un fil à plomb, dont la vocation est de veiller sur la régularité des perpendicularités qui assurent la solidité des angles droits des superstructures.
Abdarahmane Ngaïdé
Enseignant-chercheur au Dpt d’histoire
Flsh/Ucad