Les évènements de la Gambie ont fait renaître chez nos concitoyens des élans de solidarité à l’endroit des militaires. Au-delà des termes élogieux qui ont fusé de partout, certains même ont douté de l’issue des combats qui se dessinaient dans ce théâtre gambien, voire de la capacité de venir à bout de l’ancien despote qui serait assis sur une poudrière imprenable. C’est méconnaître l’Armée sénégalaise, fidèle à sa devise et composée de citoyens dont la vision est de haute portée patriotique.
Beaucoup de soi-disant experts et analystes ont trempé dans leur encre pour voir sous toutes les coutures l’hypothétique intervention avec les troupes de la Cedeao. Mais à mon humble avis, si on n’a pas commandé des hommes sous le feu, toute analyse, fut-elle des plus pointues, manquerait d’objectivité. Faudrait-il connaître l’Armée sénégalaise, voire sa situation du moment et circonscrire ses difficultés. C’est seulement en cela que réside tout soutien ou tout appel qui lui serait bénéfique.
Une Armée :
Son essence renvoie toujours à une organisation composée d’entités bien structurées sous l’autorité de chefs, dotées de moyens spécifiques et chargées d’effectuer des missions allant dans l’intérêt du pays qui la forme.
C’est le lieu du culte de l’honneur, de la grandeur, de l’efficacité, de l’abnégation, de la discipline, de la dignité et de l’élimination de toutes les tares sociales opposées à la droiture et à l’esprit citoyen. C’est aussi le lieu où est marquée dans le marbre l’unité nationale parcequ’ayant en son sein toutes les souches de la Nation, objet d’une grande attention pendant les opérations de recrutement du contingent. Le concept de la Nation sans couleur y est fortement développé et les frères d’armes issus du Sud du pays ne diront pas le contraire.
Enfin, elle est l’arène de l’effort soutenu, de la remise en question quotidienne, de la recherche de l’idéal et du respect des lois et règlements. Alfred De Vigny disait dans son ouvrage intitulé Servitudes et grandeurs militaires : «Cette foi qui semble rester à tous encore et régner en souverain dans les Armées est celle de l’honneur.»
L’Armée sénégalaise :
Héritière de tradition guerrière, elle a su au fil des générations se construire jusqu’à reposer de nos jours sur des valeurs sûres et un renom dépassant nos frontières. Elle est instruite, aguerrie, entraînée et commandée. Elle fait partie avec celle du Sri Lanka les seules à avoir fait face à un mouvement irrédentiste utilisant la guérilla comme mode d’action, sans plier. La France, les Usa, la Russie et Cuba n’ont pu contenir les assauts répétés des hordes invisibles qui ont sapé leur moral par des frappes sélectives et brutales jusqu’à leur retrait du théâtre. Trente quatre années de conflit en Casamance n’ont pas altéré le moral de cette Armée, ni permis aux bandes armées du Mouvement des forces démocratiques de Casamance de contrôler une partie du territoire. L’Armée les traque jusqu’à leurs derniers retranchements et leurs bases ne sont rien d’autre que des abris cachés et enfouis dans les forêts et détruites chaque fois qu’elles sont repérées.
Je salue la bravoure de ces «jambars» qui ont sillonné les faubourgs de Banjul, de Bissau, de Vahoun, de Kidal, les collines du Sud-Liban et tant d’autres théâtres comme en Arabie Saoudite, au Shaba, en République Centrafricaine, en Côte-d’Ivoire, au Tchad et j’en passe. Ils ont partout porté haut l’étendard du Sénégal, au prix de leur sang et de l’honneur, sous les ordres de chefs dont les noms resteront pour la postérité. En lisant Bossuet dans Oraison funèbre du prince de Condé, il notait ceci : «Ce qu’un sage général doit le mieux connaître, ce sont ses soldats et ses chefs. Car de là vient ce parfait concert qui fait agir les Armées comme un seul corps, ou pour parler avec l’écriture (comme un seul homme).»
Mais l’entrée en lice du Nigeria dans l’opération de «restauration de la démocratie» en Gambie, avec l’envoi de moyens aérien et naval, nous permet de noter que tout n’est pas rose et que des efforts colossaux sont à faire et cela ne relève que des autorités du pays au premier rang desquelles le président de la République.
Bien que l’Armée soit aguerrie, instruite, entraînée et commandée, la dominante essentielle reste l’équipement de niveau. En saluant la récente montée en puissance décidée et réalisée par le Président Macky Sall, force est de reconnaître qu’il y a un prix à payer dans la composante aérienne. La glorieuse Armée est chantée partout, mais : «L’on sait assez que la gloire ne rend pas un homme plus grand, personne ne nie cela, mais du moins elle l’assure de sa grandeur, elle voile sa misère, elle rassasie son âme, enfin, elle le rend heureux», pour reprendre Vauvenargues.
La misère :
Elle repose sur l’insuffisance de reconnaissance dont souffrent nos «jambars». Avant l’arrivée du Président Macky Sall, seul le drapeau national et une symbolique décoration accompagnaient les cercueils rendus aux familles. Rien d’autre. Les veuves se cassaient la tête pour décrocher le «capital-décès» dévolu à l’autre fonctionnaire tué par le paludisme. La décoration, elle, comme devant le front des troupes, est et demeure pour l’honneur, les Sénégalais doivent le comprendre. Les dix millions de francs Cfa qui sont actuellement payés aux familles des jambars tombés au champ d’honneur ne remplacent pas une vie, mais soulagent quand même et c’est à saluer.
La misère c’est aussi les invalides, ces oubliés du système qui traînent des infirmités qui les éloignent des centres d’intérêt et de la vie active et affectueuse familiale. Ils ont perdu espoir, épouse, pouvoir de décision et sont mensuellement ballotés entre les centres médicaux de garnison pour d’hypothétiques visas de carnet de pharmacie, objet de plusieurs malversations. Pourtant, une insertion simple dans la pension aurait mis un terme à toutes ces magouilles, mais cette mesure ne ferait pas l’affaire de certains. De guerre lasse, ils utilisent la grève de la faim pour attirer l’attention des autorités après plusieurs complaintes.
La misère c’est également ces casernes, vestiges du camp colonial, dont les édifices croulants refusent les multitudes couches de peinture de nos braves hommes. En dehors de l’Etat-major général des Armées, de Bel-Air, de Lemonier et des écoles, toutes les casernes ont besoin de réfection des routes s’y trouvant et de remise à neuf des bâtiments. La glorieuse équipe de l’Association sportive des forces armées (Asfa) se morfond dans les divisions inférieures avec un terrain sablonneux pour ses entraînements alors qu’une autre équipe civile utilise un terrain gazonné logé dans un des camps militaires.
La misère c’est toujours la revalorisation des traitements des militaires dont les seuls espoirs d’acquérir une maison demeurent les opérations extérieures (Opex). Une récente mesure du Président Sall a servi les officiers et sa promesse de poursuivre cette dynamique à l’endroit des autres catégories est encore attendue, car nos chers compatriotes ne savaient pas qu’un magistrat sorti du Centre de formation judiciaire (baccalauréat +5) touchait mieux qu’un officier général qui fréquente six (06) Ecoles supérieures en engrangeant trente cinq (35) années de carrière en moyenne. Nos compatriotes doivent aussi savoir qu’au chapitre des comparaisons, les militaires sont mal lotis par rapport aux sapeurs-pompiers, aux gendarmes et autres. A qui doit-on logiquement servir une indemnité de risque ? Aux militaires, en premier lieu. Non, au contraire, ils ont dignement gardé leur silence en recevant cinq cent (500) francs par jour au cours de l’opération Gabou. Le Président Sall, encore lui et étant Premier ministre, avait demandé et obtenu du Président Wade une revalorisation de la prime globale d’alimentation, après une visite de certaines positions en Casamance.
La misère c’est enfin ces grands «jambars» déifiés dans leur carrière et appelés «généraux» qui sont dans l’anonymat et la dèche. A la lumière de plusieurs pays africains qui accordent des «packages de retraite» à leurs hommes, le Sénégal s’emmure dans des programmes obscurs.
Aider les militaires :
Les efforts faits par l’ancien et l’actuel Président sont importants, mais ceux qui restent à être posés en actes le sont tout autant. La montée en puissance de l’Armée sénégalaise est visible et on le doit au Président Macky Sall dont l’action doit être mieux orientée. Je n’en doute pas, car il est de nos jours mieux entouré d’officiers ouverts à l’œil alerte.
Aider les militaires réside dans la relecture de plusieurs textes ne cadrant plus avec notre époque, des efforts supplémentaires d’équipement, une meilleure prise en compte des conditions de vie de nos hommes sous les drapeaux, retraités et handicapés.
Aider les militaires, c’est savoir qu’ils sont et seront toujours les premiers à défendre la patrie et à verser leur sang. Ils sont des citoyens modèles et il ne faudrait pas aller loin pour comprendre la longue stabilité de notre pays, sinon lire les lignes de leur éducation, de leur formation et de leur amour pour la patrie.
Ce cri du cœur est loin d’être une flèche empoisonnée, mais un signal émanant de quelqu’un qui a été témoin de plusieurs générations d’hommes, acteur de plusieurs opérations et observateur de pas mal de conflits étrangers.
La fidélité à un principe, à une permanente ligne de conduite m’amène et me maintiendra toujours à ne dire que la stricte vérité pour ma famille de toujours : l’Armée.
Lieutenant-colonel (ER) Adama DIOP
Ancien Chef de la Division Médias et Stratégies
de la Direction de l’Information et des Relations publiques des Armées
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