« Mon cœur est en fête chaque fois qu’une femme émerge de l’ombre », disait Mariama Bâ, écrivaine engagée et illustre modèle. À ses débuts, Amy Sarr Fall me faisait penser à cette citation. C’était avec beaucoup d’admiration et un grand sourire aux lèvres que j’avais applaudi cette femme qui avait décidé de se lancer dans un domaine traditionnellement masculin. Mais, depuis quelques années déjà, cette admiration a laissé la place à une certaine déception.
Pour justifier le choix de faire du président Macky Sall, l’invité d’honneur de la cinquième édition de la grande rentrée citoyenne, Amy Sarr Fall nous le présente comme « un modèle » dont le discours servirait à remonter « le moral des jeunes ». Non, cet homme, qui « n’avait pas l’ambition de devenir président » et qui, pour résumer ses propos, ne l’est devenu que pour assouvir une vieille frustration vécue à l’Assemblée nationale, est loin d’être, ce que le sociologue américain, Robert King Merton, appelait, en anglais, un « role model », un individu exemplaire dont la conduite ou la réussite peut inspirer d’autres personnes.
Un homme qui, grâce à des fonctions politiques, est devenu milliardaire, du jour au lendemain, et qui n’arrive pas à justifier l’origine légale de sa subite fortune, ne peut pas être un modèle pour la jeunesse.
Macky Sall sait que la jeunesse est découragée et il voit jusqu’à quel point le chômage fait des ravages dans ce pays. Au lieu de créer des emplois pour les jeunes, il choisit plutôt d’augmenter le nombre des députés pour des raisons purement politiciennes. Un tel homme ne peut pas être un modèle pour la jeunesse.
Macky Sall n’ignore pas que la pauvreté sévit dans ce pays. Il entend le peuple gémir plaintivement parce qu’il n’arrive pas à joindre les deux bouts, et pourtant il ne s’est pas gêné pour créer le HCCT, un organisme inutile, dans le seul but de caser 150 de ses partisans. Un tel dirigeant ne peut pas être un modèle pour la jeunesse. Nous, le peuple, nous sommes le cadet de ses soucis.
Qui ne se souvient pas des élections locales de 2002 ? Macky Sall, qui était alors ministre de la République, avait violé le code électoral en votant de force dans sa ville natale, sans présenter de pièce d’identité, malgré les protestations du représentant de la Commission Électorale Nationale Autonome. Un tel homme ne doit jamais nous être présenté comme un modèle à suivre.
Macky Sall est devenu la risée de toute l’Afrique pour avoir accordé à une entreprise française un juteux marché de 568 milliards pour la construction d’un TER de 57 kilomètres. Rappelons que le Nigéria a pu obtenir un TGV de 187 kilomètres pour 532 milliards. Pour faire plaisir à François Hollande, Macky Sall a accepté de reléguer au second plan les intérêts de son pays ainsi que les besoins prioritaires de son peuple. Il ne peut pas servir d’exemple pour les jeunes.
Vouloir coûte que coûte nous faire croire que Macky Sall est un modèle et qu’il peut nous remonter le moral à travers un discours flatteur, c’est insulter notre intelligence et notre capacité à faire preuve d’esprit critique. Ce parrainage n’était rien d’autre qu’une sorte de campagne électorale déguisée dont le seul but était de tenter de réconcilier Macky Sall avec une jeunesse qui caresse depuis longtemps le rêve d’une énième alternance. Pour devancer d’éventuelles critiques négatives, Amy Sarr Fall s’était empressée de déclarer qu’« un sentiment de patriotisme » l’avait motivée dans ce choix et qu’« aucun intérêt personnel ou politique ne l’a guidée dans cette initiative ». Vraiment ? Difficile à croire.
S’il y a une chose que j’ai apprise en observant certains de nos concitoyens, c’est que côtoyer les politiciens et prendre goût aux privilèges qu’ils veulent bien nous accorder peuvent nous transformer en opportunistes. Le carnet d’adresses du chef de l’État est, sûrement, irrésistible, sa générosité avec notre argent est à couper le souffle, l’accompagner à chacun de ses voyages à l’étranger aux frais du pauvre contribuable sénégalais peut faire perdre la lucidité, mais ce compagnonnage risque d’être, demain, un énorme boulet au pied. Le silence du peuple n’équivaut pas à de l’ignorance. Le peuple voit presque tout et sait qui est de son côté et qui porte un masque pour cacher son vrai visage.
Amy Sarr Fall nous dit également que « Wade et Macky Sall ont soutenu la jeunesse et l’ambition ». J’ai beau chercher, mais je ne vois toujours pas comment. Wade nous a ruinés pour enrichir sa famille et promouvoir des incompétents. Quant à Macky, il ne fait que tâtonner et suivre les traces de son mentor depuis son élection à la tête du pays. Au lieu de magnifier Wade et Macky, qu’Amy Sarr Fall se prononce sur les maux chroniques du Sénégal, sur les marchés de gré à gré, le népotisme, l’augmentation des députés, la corruption qui gangrène notre pays, bref les scandales qui émaillent régulièrement le règne de son invité d’honneur. Une chose est sûre, on ne peut pas profiter des largesses du régime en place et critiquer en même temps leur mauvaise gestion, n’est-ce pas?
« Kou def lou reuy, am lou reuy », disent les Wolofs (« celui qui accomplit une prouesse est récompensé à sa juste valeur »). Macky Sall a sûrement cassé notre tirelire pour remercier l’initiatrice de la grande rentrée citoyenne de cette impressionnante publicité auprès de la jeunesse sénégalaise.
Fatoumata Nguer