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Cheikh Anta Diop Et Notre Génération

Cheikh Anta Diop Et Notre Génération

Je suis convaincu que si Cheikh Anta Diop était encore vivant, il serait victime du désintérêt de notre génération vis-à-vis de sa personne et de son œuvre. C’est une génération qui a ignoré Mamadou Dia, premier président du Conseil, artisan de l’Indépendance et père de l’Etat du Sénégal, décédé un certain 25 janvier 2009 seulement ; et Amady Aly Dieng, économiste, sociologue, philosophe, bref un savant, mort le 13 mai 2015. J’en passe. Ces deux exemples sont assez illustratifs de l’ostracisme dont sont victimes une bonne partie de nos figures intellectuelles et politiques.

Notre génération a un problème de repères voire de références. Elle a des difficultés avec les symboles auxquels elle doit s’identifier pour bâtir sa personnalité. C’est une génération qui a un sérieux contentieux avec le savoir. Elle n’est mue que par l’avoir et le pouvoir. La science ne l’intéresse pas, et par conséquent Cheikh Anta Diop n’a qu’à dormir encore dans la grande nuit noire de la négligence et de l’oubli d’un peuple qui s’est détourné de la quête de la connaissance.

Aujourd’hui, chacun fait semblant de lire pour qu’on ne lui reproche pas le contraire. Mais en réalité, nous n’avons pas encore assez lu pour rendre hommage au dernier pharaon noir. Or c’est la meilleure manière de rendre à Cheikh Anta Diop ce qui appartient à Cheikh Anta Diop.

J’ai lu hier sur la toile, une dame qui nous invitait à lire le livre de Cheikh Mbacké Diop, fils aîné de Cheikh Anta Diop intitulé Cheikh Anta Diop, l’homme et l’œuvre, pour mieux connaître l’enfant de Thieytou. Je rappelle que ce n’est pas la meilleure voie pour connaître le savant noir. Cet ouvrage revient sur quelques aspects du parcours de l’homme et quelques anecdotes de sa vie. J’ai eu la chance de le lire deux fois alors que j’étais moniteur de la Bibliothèque du département de Philosophie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en 2007 et 2008. Et j’ai aussi eu l’honneur d’assister, en 2004, à la cérémonie de commémoration du 18ème anniversaire de la mort du parrain de l’université de Dakar, où ce livre a été présenté par son auteur pour la première fois, en présence de Madior Diouf, de feu Majhmout Diop, feu le doyen Amady Aly Dieng, sa veuve (décédée) et ses enfants. Nous n’étions pas plus de trois étudiants au Just 4 U, à l’époque pour y prendre part.

Pour connaître Cheikh Anta Diop, il faut le lire. Lire ses ouvrages. Beaucoup d’intellectuels se réfèrent à lui sans jamais l’avoir lu et/ou assez lu. D’ailleurs c’est le reproche que Amady Aly Dieng a toujours fait à l’endroit des espèces de ce parc zoologique sénégalais et africain où on ne retrouve que des perroquets pour répéter et des singes pour imiter. Or, il s’agit véritablement d’aller à la quête de la connaissance. Celle-ci nécessite une passion brûlante, la générosité dans l’effort, le don de soi, le désintéressement, etc. Elle s’acquiert par l’effort permanent, la solitude, les contraintes, les privations et par la lutte contre cet extérieur agressif dont nous parle Cheikh Hamidou Kane dans L’aventure ambigüe, selon Alioune Diane.

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Le combat de Cheikh Anta Diop est le combat de toute une civilisation et de toute une race longtemps ignorée, meurtrie par la domination et l’exploitation de l’Occident qui, selon le philosophe Roger Garaudy dans Promesses de l’Islam, est un accident.

Le combat de Cheikh Anta Diop, dès lors, tourne autour de :

-l’indépendance de l’Afrique ;

-la création d’un Etat fédéral africain ;

-l’origine africaine et négroïde de l’humanité et de la civilisation ;

-l’origine nègre de la civilisation égypto-nubienne ;

-l’apport de cette civilisation, donc de la pensée nègre, à la civilisation occidentale dans les sciences, les lettres et les arts ;

-l’identification des grands courants migratoires et la formation des ethnies africaines ;

-la parenté linguistique entre l’Egypte et l’Afrique Noire,

-la véritable origine du monde sémitique ;

-la délimitation de l’aire culturelle du monde noir qui s’étend jusqu’en Asie occidentale dans la vallée de l’Indus ;

-la caractérisation des structures politiques et sociales africaines ;

-la formation des Etats africains sur le continent, après le déclin de l’Egypte, et la continuité du lien historico-culturel, jusqu’à l’aube des temps modernes, la description de l’univers artistique africain et de ses problèmes ;

-la démonstration de l’aptitude de nos langues à supporter la pensée scientifique et philosophique et, partant, la première transcription africaine non ethnographique de ces langues…

Il fallait que l’Afrique et l’homme noir gagnent ce combat, pour s’affirmer dans un monde qui nie leur histoire et leur civilisation. C’est pourquoi, il fallait à la génération de Cheikh Anta Diop de s’armer de science jusqu’aux dents pour mieux s’approprier son histoire et bâtir une identité négro-africaine. Pour l’auteur de Nations nègres et culture, «Il devient donc indispensable que les Africains se penchent sur leur propre histoire et leur civilisation et étudient celles-ci pour mieux se connaître».

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Hélas, aujourd’hui, on a des intellectuels médiatiques, des universitaires alimentaires qui courent derrière les titres et le pouvoir au lieu d’investir la recherche fondamentale, les bibliothèques et les grandes questions de notre temps.

Nos étudiants ne connaissent pas Cheikh Anta Diop. Nos élèves non plus. Pire, ils ne s’intéressent même pas à lui. Et l’Etat les accompagne dans cette négligence de nos figures historiques, qu’elles soient intellectuelles, politiques ou religieuses. Il ne déploie pratiquement aucun effort pour la reconnaissance et la réhabilitation de ces grandes figures qui devraient constituer les repères des enfants de la nation.

Pour conclure, je voudrais rappeler et défendre l’idée fondamentale selon laquelle, l’Afrique a un problème avec son passé, avec son histoire ; et par conséquent elle développe un complexe avec son Identité. Il faut se connaître soi-même pour construire son identité et faire des progrès dans la vie. Se connaître soi-même, c’est savoir qui on est, d’où l’on vient et où l’on veut aller. «Seulement, pour Cheikh Anta Diop, on oublie que le peuple qui n’est pas pleinement conscient de l’unique chemin historique qui conduit à ces sommets de perfection, à cette ère d’humanité sans couleur, etc. risque de s’égarer en chemin et d’être absent du concert des «nations» à cette époque-là… ».

Et sur ce plan, la balle reste encore dans le camp des Africains que nous sommes.

Ngor DIENG

Psychologue conseiller

ngordieng@gmail.com

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