Lorsque certains de nos compatriotes s’emparent de quelques-unes des fêtes et commémorations importées, on en oublie parfois leur raison d’être et leur pays d’origine. Car ils se les approprient totalement et n’hésitent pas à les célébrer jusqu’au trognon. Aussi, en plus de faire souvent dans la démesure, ils ne distinguent pas toujours la bonne graine de l’ivraie concernant ces événements-là. Dès lors, c’est béatement qu’ils les consomment crus plutôt que de les déguster après les avoir préalablement passés au peigne fin de leur culture et aux filtres de leurs réalités sociales pour y déceler une quelconque anomalie. Le bouchon a même été poussé si loin au fil des années qu’ils sont maintenant devenus « plus royalistes que le roi » lorsqu’il s’agit de célébrer certains événements (roy dàxx). C’est ce qui explique certainement qu’au lieu de s’en tenir au son de reggae distillé du matin au soir, tous les 11 mai, par plusieurs stations de radio et de nombreuses chaînes de télévision de la place, de nombreux jeunes profitent de l’ambiance festive régnant dans beaucoup de milieux ce jour-là pour étrenner leur premier joint ou pour augmenter leur consommation de marijuana – pour les plus aguerris -, afin de célébrer l’anniversaire du décès de Bob Marley dans les nuages.
La situation n’est guère mieux lorsqu’il s’agit de fêter la Saint-Sylvestre. Si la nuit du 31 décembre est l’occasion rêvée pour certaines filles innocentes pour voir le loup, elle est aussi pour d’autres garçons le moment propice pour vivre de nouvelles expériences et inaugurer des vices jusque-là ignorés.
Récemment avec la Saint-Valentin et la couverture médiatique qui en est faite dans le pays, on croirait que cette « fête », si elle en est une, est née au Sénégal. Les nombres d’heures qui lui ont été consacrées – là où beaucoup de médias sérieux à travers le monde ne lui ont donné que quelques minutes -, ont montré encore une fois la vacuité des programmes de nos radios et télévisions qui, à part le divertissement, n’ont pas grand-chose à offrir au public. À l’instar de nos dirigeants, leurs animateurs et faits-diversiers à la petite semaine semblent méconnaître le sens des priorités dans le pays. Surtout ces derniers temps, où notre seule machine de radiothérapie est tombée en panne au grand dam des cancéreux; au moment où les populations qui, ayant perdu confiance en la justice à deux vitesses, se débattent dans les rets des difficultés quotidiennes…
Au Sénégal, on agit souvent en « receveurs universels ». De la fête des Pères à celle des Mères, en passant entre autres par Halloween, le Hijab Day, la Saint-Valentin et tutti quanti, tout est généralement à prendre et à consommer sans modération. On oublie ou ignore souvent les visées marketing et les idéologies qui sous-tendent ces événements. De plus, ceux qui sont constants dans leur amour envers leur père et mère, épouse ou époux et leur religion n’ont pas besoin de jour spécial pour le prouver urbi et orbi puisqu’ils savent qu’ils portent en eux une flamme qu’ils doivent maintenir allumée tous les jours tout en évitant de verser dans le voyeurisme sans lendemain.
Même si chacun est libre de célébrer ce qu’il veut, pourvu que les règles établies par la société soient respectées, il est essentiel de ne pas suivre et d’imiter aveuglément tout ce qui vient d’ailleurs comme une éponge qui ne fait aucune distinction entre les différentes eaux qu’elle absorbe. Avant d’adopter une pratique, quelle qu’elle soit, il est important de vérifier au préalable sa compatibilité avec notre culture et de voir la possibilité d’en extraire d’éventuels points positifs qui pourraient nous enrichir.
Ceci est d’autant plus nécessaire á l’ère de la mondialisation et de la « porosité des frontières » créée entre autres par les nouvelles technologies afin de préserver jalousement nos valeurs et de lutter âprement contre les mauvaises influences venues d’ailleurs. Dans cette lutte, les médias ont un grand rôle à jouer en tant qu’éveilleurs de consciences. Mais malheureusement, dans notre pays beaucoup d’entre eux s’adonnent souvent au divertissement et au sensationnalisme qu’ils considèrent financièrement plus rentables. Une vacuité intellectuelle, culturelle, religieuse est propice au développement et à la propagation de certaines idées importées. « On ne remplit que ce qui est vide, » nous rappelait l’Ivoirien Jean-Marie Adiaffi.
Bosse Ndoye
Montréal
momarboss@gmail.com
Auteur de : L’énigmatique clé sur l’immigration; Une amitié, deux trajectoires; La rançon de la facilité