S’il y a un secteur qui exige une réforme profonde au Sénégal, c’est bien celui de l’audiovisuel, dont la gestion est éclatée en plusieurs entités et centres de décision : Agence de Régulation des télécommunications et Postes (Artp), chargée de délivrer les autorisations de fréquences télévision et radio et dotée du pouvoir de sanction par rapport à tout retard de paiement des droits et redevances, et le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel (Cnra) condamné à donner des avis trimestriels.
En effet, cet éclatement des pouvoirs de gestion, d’attribution de fréquence, de contrôle et de sanction est à l’origine des nombreux problèmes qui plombent le développement exponentiel des médias, notamment l’amélioration substantielle des programmes et des contenus. Bâtie sur les cendres du Haut conseil de la radiotélévision (Hcrt) créé en 1991 et du Haut conseil de l’audiovisuel (Hca) en 1998, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) a été mis en place par la loi 2006-04 du 4 janvier 2006. Sur le plan des missions dévolues, le Cnra veille, entre autres, au respect des règles d’éthique et de déontologie dans le traitement de l’information et dans la programmation des différents médias audiovisuels ; notamment en assurant le respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et du caractère laïc de la République, dans les contenus des messages audiovisuels.
Par ailleurs, il a compétence de donner des avis trimestriels, des blâmes et de faire des mises en demeure. Au fait, le Cnra n’a pas de pouvoir réel de sanction, ce qui limite fatalement sa force dissuasive. Par exemple, il ne peut pas suspendre de lui-même la fréquence d’une chaine de télévision ou de radio en mal avec les dispositions de la loi régissant le secteur, du fait qu’il n’est pas chargé de l’attribution de fréquence et n’est pas doté de pouvoir de sanction avec la possibilité de retirer la fréquence en cas de refus d’exécution d’une mise en demeure qu’il aurait adressée à une chaine de télévision ou de radio pour la diffusion d’un programme.
Ainsi, du point de vue de la législation nationale en vigueur, ce pouvoir revient à l’Artp, qui est lui-même privé d’un autre pouvoir, celui de surveiller, de contrôler les programmes de télévision et de radio et de donner des avis trimestriels. Concernant le Cnra, le fait de ne pas disposer des pouvoirs d’attribution de fréquence et de sanction constitue pour lui un lourd handicap. Ce qui l’empêche naturellement de pouvoir jouer un rôle fondamental et dans la régulation et dans l’amélioration des programmes radio et télévision.
Légalement, le décret N°2003-64 du 17 février 2003 relatif aux fréquences et bandes de fréquences radioélectriques, aux appareils radioélectriques et aux opérateurs de ces équipements, dispose en son article 29, que l’Agence nationale des télécommunications est chargée pour le compte de l’Etat de la gestion, de la planification, de l’attribution, de l’assignation, et du contrôle du spectre de fréquences radioélectriques, ainsi que des conditions d’utilisation des fréquences.
A ce titre, elle assure la gestion et la surveillance du spectre des fréquences relatives aux télécommunications, à la radiodiffusion et à la télévision ; l’assignation de fréquences radioélectriques aux services de radiodiffusion/télévision ne concerne que les conditions techniques d’utilisation des stations et des fréquences ; prononcer des mesures de suspension et de révocation des autorisations de fréquences à l’encontre des opérateurs et exploitants concernés ; à la demande de l’autorité chargée d’autoriser l’exploitation des stations et services de radiodiffusion/télévision.
Ainsi, le fait que l’attribution de fréquence, et le pouvoir de sanction réelle relèvent du domaine de compétence de l’Artp et que la surveillance, le contrôle et l’appréciation des programmes de télévision et de radio appartiennent au domaine de compétence du Cnra est à l’origine d’un état de fait qui entrave dangereusement la prise de décision rapide en cas de sanction qui s’impose.
Ainsi, suite à la diffusion de l’émission «le Grand rendez-vous» du 20 janvier 2017 à la 2Stv, sur le sujet de l’esclavage en terre mauritanienne, le Cnra a donné et publié son avis. (Morceau choisi)
«Le Cnra invite les médias audiovisuels à porter une préparation particulière et une attention soutenue, sur des questions sensibles, pour éviter des dérapages, confusions, prises de positions inappropriées, de façon à entraîner des conséquences préjudiciables».
Le Cnra ne peut personnellement sanctionner la 2Stv en cas de refus d’exécution. Il est obligé de faire recours à l’Artp parce que n’ayant pas les compétences techniques en son sein pour arrêter une fréquence. Il n’attribue pas les fréquences et n’est pas apte techniquement à pouvoir les retirer. Dès lors que le Cnra ne peut exécuter un avis qu’il aura pris, qui n’est pas une décision et que l’Artp ne peut donner des avis sur les programmes et les contenus des télévisions et radios à la place du Cnra, nous sommes en face d’une situation hybride atypique déplorable, qui plombe lourdement le processus de prise de décision rapide.
Bref ! Si le Cnra détient une parcelle de pouvoir de gestion de l’audiovisuel, par contre l’autre parcelle de pouvoir est détenue par l’Artp, c’est-à-dire que, statutairement, les deux entités précédemment citées et dans leurs attributions et dans leurs domaines de compétence, se neutralisent et se complètent en même temps. Se neutralisent car aucune des entités ne peut prétendre être capable de faire le travail de l’autre. Se complètent parce qu’aucune de ces entités ne se suffit à elle-même en termes de compétences techniques et de moyens pour gérer le secteur de l’audiovisuel.
Dans ce cas, l’Etat du Sénégal pourrait s’inspirer du modèle français en mettant en place une nouvelle structure regroupant et toutes les compétences et tous les pouvoirs du Cnra et de l’Artp c’est à dire être dotée suffisamment de ressources humaines, financières, techniques notamment des pouvoirs : d’attribution de fréquence, de régulation et de sanction pour pouvoir remplir correctement ses missions.
A l’instar du Conseil supérieur de l’audiovisuel en France (CSA), on pourrait attribuer à la nouvelle structure, entre autres compétences, la gestion et l’attribution des fréquences, la diffusion ou la distribution des services de communication audiovisuelle, le suivi des programmes et des opérateurs, le bilan des activités des opérateurs et les sanctions.
Au total, cette nouvelle structure de régulation et de gestion du secteur de l’audiovisuel sénégalais, résultant de la fusion de l’Artp et du Cnra, permettra au gouvernement d’éviter d’intervenir dans un domaine qui peut s’auto-réguler de lui-même entre professionnels du secteur, comme c’est le cas avec la mise en demeure servie à la 2Stv pour la diffusion de l’émission le «Grand rendez-vous» du 20 Janvier 2017.
Baba Gallé DIALLO
bbgd70@yahoo.fr
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