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Système Hospitalier Sénégalais : Entre Obsolescence, Inadaptation Et Désorganisation

Système Hospitalier Sénégalais : Entre Obsolescence, Inadaptation Et Désorganisation

D’avoir vécu les affres des hôpitaux sénégalais pendant de longues décennies et d’avoir souffert de la détresse d’une amie et collègue médecin malade du cancer qui erre depuis de longs mois en quête de remèdes introuvables au Sénégal et se mourant à petit feu, j’ai décidé de parler !

Saint-Exupéry disait bien : « …Et si un seul souffre dans mon peuple, sa souffrance est grande comme celle d’un peuple. Et en même temps, il est mauvais que celui-là ne se sacrifie point pour servir le peuple». Sacrifice  serait peut-être un trop grand mot, mais en ce qui me concerne, ma conviction est que je dois continuer à servir les gens de mon pays !

La situation des hôpitaux sénégalais est grave et inquiétante !  De 1974 à ce jour, à divers titres, en tant qu’acteur (stagiaire, praticien, expert), j’ai eu à étudier les caractéristiques (infrastructures, équipements, ressources humaines, activités) des principaux hôpitaux sénégalais. Alors, en cette période où l’on parle de renouveau, «d’émergence», dans notre pays, j’ai pensé qu’en ce qui concerne les hôpitaux, il m’a paru évident que cela devait d’abord débuter par un état des lieux. C’est à cet exercice que je me suis appliqué. Les hôpitaux sénégalais posent problème ! Mais surtout, que l’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit là que d’une contribution d’un professionnel de la santé ; sans arrière-pensée aucune !

En effet, il n’y a guère, à travers un communiqué paru dans la presse, le ministère de la Fonction publique, de la rationalisation des effectifs et du renouveau du service public annonçait quasi fièrement que, dorénavant, les fonctionnaires sénégalais malades pourraient bénéficier d’un transfert ou d’une évacuation sanitaires vers les hôpitaux marocains.

Cette annonce a provoqué en moi, le «vieux» praticien de médecine, honte et dépit de voir que nos autorités ont préféré délaisser l’expertise médicale nationale pourtant internationalement appréciée pour l’Ecole marocaine de médecine ! Cette école marocaine (que je respecte !) a moins de soixante ans d’âge ! L’Ecole sénégalaise de médecine est en train de fêter ses cent ans !

Mais encore, pourquoi les fonctionnaires qui ne représentent qu’une faible minorité ? Et les autres Sénégalais ? Que signifie alors l’équité dans l’accès aux soins dont on parle tant ? Normalement, l’équité signifie «un égal accès des citoyens à des soins de qualité» ! Les déterminants en sont : la disponibilité de soins de qualité ; leur accessibilité géographique et financière ; leur continuité. Force est de constater que l’on est loin de tout cela au Sénégal ? Pourquoi ?  L’on se défaussera  sur la pauvreté de notre pays. Cepen­dant, Cuba, pays pauvre, sous embargo pendant de longues années, possède un système de santé meilleur que celui de beaucoup de pays plus nantis !

Mais comment en est-on arrivé là au Sénégal ?

Malheureusement, notre pays, par défaut d’ambition, a souvent préféré subir les recommandations venues d’ailleurs, ignorant l’expertise nationale. La Conférence d’Alma Ata de l’Oms en 1978, qui a servi de viatique à notre pays, a certes introduit des progrès dans beaucoup  de domaines,  mais en médecine hospitalière, elle a causé de grandes catastrophes ! Les recommandations disaient notamment et expressément de ne pas construire de grosses infrastructures (les hôpitaux), car elles étaient chères à bâtir et à entretenir.

Chers à bâtir et entretenir, certes, mais les hôpitaux devenaient nécessaires car nombre de pays comme le nôtre subissent ce que l’on a appelé la «transition épidémiologique». En effet, les grandes endémies ont disparu ou sont contrôlées et de nouvelles maladies jusque-là confinées aux pays du Nord industrialisés, ont fait leur apparition, devenant de plus en plus préoccupantes par leur prévalence et leurs coûts de traitement élevés. Depuis longtemps déjà, notre pays connait un fort taux d’urbanisation et les populations sont en train d’adopter le mode de vie «occidental» (alimentation, activités). Les pathologies sont dominées par le diabète, les maladies cardio-vasculaires, les cancers, les traumatismes ; toutes affections qui se traitent à l’hôpital !

Nos hôpitaux ne sont pas armés pour faire face car leurs tares sont nombreuses !

L’Oms, notre donneur de leçons, a ignoré la survenue de la transition épidémiologique dans nos pays ! Nous en faisons les frais !

Quelles sont les missions de l’hôpital ? Subséquemment, comment doit-il être configuré ?

Un hôpital est un équipement social (construit alors là où les gens vivent !). L’hôpital possède quatre catégories de missions : la dispensation de soins curatifs ; la prévention sanitaire ; l’enseignement et la formation aux métiers de la santé ; la recherche médicale. «L’hôpital est l’élément d’une organisation de caractère médical et social dont la fonction consiste à assurer à la population des soins médicaux complets, curatifs et préventifs, et dont les services extérieurs irradient jusqu’à la cellule familiale considérée dans son métier ; c’est aussi un centre d’enseignement de la médecine et de recherche bio-sociale» (Oms).

Le système hospitalier doit être accessible. Cette importante considération pose le problème du site d’implantation d’un hôpital. C’est pourquoi : «…les techniques architecturales, l’expansion urbanistique et le souci de faire de l’hôpital l’instrument essentiel d’une politique de protection et de promotion de la santé imposant l’intégration des institutions sanitaires dans le tissu urbain». Le contre-exemple en est l’hôpital pour enfants de Diamniadio construit en «plein désert humain» ! Pour mieux réussir l’intégration de l’hôpital dans la ville : «Des méthodes statistiques d’analyse de la demande effective en soins médicaux, en fonction de paramètres démographiques et socio-économiques, permettant de mesurer l’écart entre la demande et les besoins théoriques et de fonder la planification sur une base objective» (Bridgman Rf). La planification, voilà l’outil de prédilection ! C’est pour ce faire, qu’au début des années 2000, dans une correspondance adressée à Monsieur Abdou Fall, alors ministre de la Santé,  je lui suggérai de créer un comité ad hoc constitué de médecins épidémiologistes, d’urbanistes, d’architectes, de planificateurs, etc. pour programmer la création et l’implantation des futurs hôpitaux à travers le pays. En vain ! Mais il demeure qu’un hôpital ne se construit pas n’importe où !

Comment configurer l’infrastructure de l’hôpital pour lui faire remplir ses missions ?

Sur le plan architectural, la conformation hospitalière doit répondre à des normes relativement codifiées de dimensions et de disposition des différents locaux. Par ailleurs, grossièrement, un hôpital doit comprendre cinq secteurs agencés selon un ordre bien établi.

Deux secteurs sont ouverts sans restriction au public :

Puis suivent des zones d’accès réglementé, réservés aux professionnels de santé et aux patients hospitalisés :

Les hôpitaux universitaires doivent comporter d’autres attributs dédiés à l’enseignement, à la formation des personnels de santé et à la recherche : amphithéâtres ; salles de cours ; laboratoires de recherche ; salles de simulation pour les apprenants. Une telle configuration n’existe nulle part au Sénégal ! Tous les hôpitaux universitaires du Sénégal ont été improvisés ! Même l’Hôpital Dalal Jamm, le plus récent, est assez éloigné de ces caractérisations ! Cela est dommage, car ils doivent être considérés comme de véritables écoles ; et leur moins bonne qualité rejaillit sur la valeur des enseignements.

Quel est l’état des lieux des hôpitaux sénégalais ?

Faire l’inventaire serait long et fastidieux (et je n’en ai pas la capacité !) ; aussi, ferai-je un diagnostic global en fonction de l’infrastructure, des équipements, des ressources humaines, de l’organisation interne et de la structuration du système hospitalier.

Sur le plan architectural

Hormis le choix du site d’implantation déjà évoqué, la conception doit prendre en compte quelques principes, dont :

L’Hôpital de Fann est le contre-modèle de ces principes : plus de 30 hectares gaspillés par une mauvaise occupation du sol ; des services dispersés, clôturés (véritables hôpitaux dans l’hôpital, sans synergie apparente). A Fann, l’on a pu compter cinq blocs opératoires et l’on en a annoncé un sixième avec le futur centre de transplantation : cela n’est pas rationnel ; c’est un véritable gâchis organisationnel ! La conséquence en est un surcroît de charges récurrentes !

Mais avant l’Hôpital de Fann, Le Dantec, qui est en train de tomber en ruine, a été victime de cette compartimentation des services. Le Service de médecine est fermé depuis quelques mois ; le bâtiment principal du Service d’urologie, le plus récent, s’est effondré ; la maternité est fermée depuis dix ans ; le Service d’orl a déménagé à Fann car le bâtiment menaçait ruine ! Cette énumération est loin d’être exhaustive ! L’on dirait que les autorités de ce pays ont programmé la mort de Le Dantec !

Rénover nos hôpitaux pour les mettre aux normes architec­tu­rales ; voilà le véritable défi !

Cependant, la difficulté est que, même dans notre pays, l’on ne pourrait concevoir des hôpitaux de la même façon ! En effet, les milieux sont différents : on ne peut pas construire à Matam comme on le ferait à Dakar. Ici, l’on privilégiera sans doute le style pavillonnaire, plus adapté à la campagne aux constructions verticales plus conformes à la ville moderne qu’est Dakar. Mais encore faudrait-il faire des projections et des prospectives ; on construit aussi pour l’avenir : que deviendra la ville ? Quelles constructions pérennes faut-il envisager ? Toutes ces réflexions devraient être portées par des architectes et des urbanistes rompus à la conception hospitalière. C’est un véritable métier dont les véritables spécialistes sont malheureusement quasi inexistants au Sénégal ! Quelle taille devrait avoir un hôpital moderne ? «Il est prouvé, d’une part, que les petits hôpitaux ne peuvent plus satisfaire de façon économique les impératifs de la médecine moderne, d’autre part, que les très grands établissements souffrent de graves problèmes d’organisation et de gestion. L’optimum de  capacité se situe autour de 500 à 700 lits ; ce qui correspond à une emprise au sol de 40 000 à 60 000 mètres-carrés» (Bridgman  Rf). L’Hôpital de Fann compte plus de 300.000 mètres-carrés ; soit 5 à 8 fois plus !

Quant aux équipements

De nombreux appareils devenus indispensables pour traiter certaines maladies n’existent pas encore au Sénégal.

Par exemple, pour le traitement du cancer, c’est le quasi dénuement : l’accélérateur linéaire et la curiethérapie, méthodes performantes de traitement des cancers sont indisponibles ; il en est ainsi de la tomographie par émission de positions (Tep scan) qui permet de détecter les cancers et leurs récidives à un stade précoce.

La bombe au cobalt, méthode surannée de radiothérapie qui, seule existe au Sénégal, permet à peine de traiter des cancers superficiels et est très peu utilisée dans les pays du Nord. En 1988, lors d’un voyage à Ottawa, le Professeur Pigeon, Doyen de la Faculté de médecine de cette ville, m’en avait offert un exemplaire. J’avais décliné l’offre car la bombe au cobalt dont Madame Simone Weil, alors ministre française de la Santé, avait fait don au Sénégal, demeurait encore dans ses emballages ; les autorités sénégalaises n’ayant pas donné les moyens de l’installer ! Mais aussi, c’était déjà une technologie obsolète avec l’avènement de l’accélérateur linéaire ; et les gens du Nord s’en débarrassaient ! Alors, quel ne fut mon étonnement et mon agacement de voir vingt ans plus tard, le Président, qui avait fait construire une statue et organisé des festivals et des rencontres internationales inutiles à plusieurs milliards de francs, inaugurer à grand renfort de tam-tams l’installation d’une nouvelle bombe au cobalt à Le Dantec. Quelle désinvolture, quel cynisme et quel mépris à l’endroit du Peuple sénégalais !

Et même, cette bombe au cobalt de Le Dantec s’est souvent arrêtée de fonctionner pour des problèmes techniques, des problèmes de maintenance. En effet, la durée moyenne de vie de la plupart des appareils médicaux fonctionnant à rythme soutenu est programmée pour 5 années.

Par ailleurs, dans les pays développés, les appareils sont acquis selon des normes réglementaires nationales et sont soumis à une maintenance préventive et curative.

L’absence de normes réglementaires sénégalaises validées, génère beaucoup de désagréments. C’est ainsi que l’Hôpital de Pikine, les services de neurochirurgie et d’Orl du Chu de Fann, sont restés longtemps fermés après la terminaison des travaux pilotée par une société espagnole. Celle-ci avait installé des normes de son pays, incompatibles avec les appareils commandés par le Sénégal !

Mais aussi, est-ce que parler de programme de maintenance a un sens quand l’on n’a pas défini des programmes d’acquisition et de renouvellement des équipements ? Parce qu’en fait, le programme de maintenance ne peut être qu’une composante du programme d’acquisition ! Toutefois, même si des programmes de maintenance existent, il serait difficile de les mettre en application compte tenu de la pénurie quasi généralisée d’ingénieurs biomédicaux : les personnels cadres en charge des équipements sont formés sur le tas !

En outre, comment peut-on acquérir des équipements sans concertation véritable préalable avec les professionnels usagers de ces machines ? Certes, les pratiques ont beaucoup changé depuis l’installation de Madame le Ministre Awa Marie Coll Seck mais il y a quelques années, l’on a vu un nombre d’appareils achetés et livrés par la direction de certains hôpitaux ou par le ministère de la Santé (souvent sans qu’aucun besoin n’ait été exprimé !) et jamais utilisés ! Il y a eu alors ce que mes collègues ont appelé avec humour des «cimetières d’appareils neufs jamais utilisés» !

Bien entendu, ces pratiques évoquent des marchés douteux. Les praticiens hospitaliers en ont beaucoup souffert ! Personnellement, à Le Dantec, en tant que chef de Service, j’ai eu à constater la livraison de tables d’opération usagées à la place des neuves commandées. Malgré mes nombreuses correspondances de contestation au directeur de l’Hôpital et au ministre de la Santé de l’époque, rien n’y fit !

Egalement, d’autres équipements ont été livrés défectueux qui n’ont pas été remplacés malgré mes nombreuses réclamations à qui de droit !

Quand on sait que ces pratiques sévissent dans tout le Sénégal, l’on peut imaginer le montant faramineux des pertes financières pour la trésorerie du pays. Il faudrait aussi déplorer la détérioration subséquente de la qualité des soins prodigués aux patients.

Un autre facteur important de la détérioration des équipements est constitué par l’absence de formation de certains personnels.

Quant aux ressources humaines

L’on peut considérer que la planification (s’il en existe une !) n’est pas pertinente relativement à toutes les catégories de personnels. Il faut admettre que tous les secteurs d’activité de l’hôpital correspondent à des métiers, auxquels il faut former les divers personnels !

En ce qui concerne les médecins spécialistes (ceux qui officient dans un hôpital), il y a une pénurie considérable dans notre pays. De nombreuses localités sont dépourvues de chirurgiens, de gynécologues-obstétriciens ; de pédiatres ; etc., la liste est longue ! L’on a souvent dit qu’ils (les spécialistes) ne veulent pas aller à l’intérieur du pays ; qu’ils sont tous à Dakar ! Deux réponses sont à donner à cette affirmation. Certes beaucoup de médecins spécialistes sont installés à Dakar mais cette région qui concentre le quart de la population sénégalaise subit relativement une pénurie de cette catégorie de médecins et, par ailleurs, ce que leurs aînés ont accepté et enduré, les plus jeunes spécialistes ne veulent plus le subir : la rémunération n’est pas motivante et dans notre pays, le métier ne semble pas être considéré à sa juste importance !

La formation d’un spécialiste de médecine (chirurgien, gynécologue-obstétricien, pédiatre, etc.) dure 12 années au moins après le baccalauréat : elle est longue et pénible ! En comparaison, d’autres cadres supérieurs de l’Etat, dont pourtant la durée moyenne de formation est habituellement moindre, ont des rémunérations en salaire et en nature deux à trois fois plus grande ! Ceci est inéquitable et injuste ! Et de surcroît, le métier de médecin spécialiste est rempli de contraintes, de sacrifices !

Et par ailleurs, en amont de la disponibilité de spécialistes, encore faudrait-il planifier leur formation. En fait, les candidats à la spécialisation sont déjà docteurs en médecine, après un minimum de 7 ans d’étude et doivent suivre une autre formation de 5 ans. Certains candidats chanceux reçoivent une bourse (de 100 000 F portée à 150 000 F). C’est modique ; car les candidats ont entre 26 et 30 ans ! Quels parents acceptent de supporter leur progéniture à cet âge-là ? Mais surtout, recevoir cette bourse est devenue aléatoire ; les récents mouvements d’humeur des apprenants en attestent ! Et puis, de nombreux apprenants n’ont pas du tout de bourse ! La conséquence de cette situation est que les professeurs sénégalais de médecine sont payés pour former une majorité d’étrangers (dont des Marocains !) qui retournent dans leur pays !

Il y a aussi la réalité des spécialités dites «orphelines» : oncologie (cancérologie médicale) ; radiothérapie ; chirurgie plastique et reconstructrice ; chirurgie maxillo-faciale (stomatologie) ; physiatrie (médecine physique, rééducation fonctionnelle) ; etc., pour lesquelles les spécialistes se comptent sur le bout des doigts. Il faudrait là un programme dédié de formation. Il est vrai que les efforts pour pallier ces insuffisances devraient être portés en premier lieu par les autorités académiques des facultés de médecine ; encore faudrait-il qu’elles en soient conscientes !

Mais encore, pour toutes ces spécialités, faudrait-il former les formateurs ! Le corps enseignant des facultés de médecine doit être constamment renouvelé et rajeuni. Malheureusement, dans notre pays, l’on constate une absence de programme de formation des formateurs (insuffisance des programmes de bourses de mobilité universitaire). Et pourtant, pour être au diapason de l’actualité des techniques médicales et du fait de l’absence d’infrastructures et d’équipements modernes au pays, les spécialistes nouvellement diplômés (et même les anciens pour besoin de recyclage) doivent subir des formations complémentaires dans les pays du Nord développés : France ; Etats-Unis ; Canada ; Allemagne ; Belgique ; Japon ; etc.

Pour ma part, confronté à cette situation, j’ai dû me «débrouiller» au cours des vingt dernières années pour envoyer une quinzaine de mes élèves à l’étranger avec le soutien de mes partenaires des pays du Nord. Sinon, ma spécialité, la chirurgie générale et viscérale aurait eu des difficultés à survivre !

Pour dire que s’il y a un déficit d’enseignants dans nos universités, on en connaît la cause ! Le danger pour notre pays est de perdre tout son patrimoine scientifique parce qu’il n’y aurait pas eu de transmission des savoirs aux générations arrivantes ! Pourquoi ne faudrait-il pas conclure avec des pays du Nord des programmes de formation des formateurs comme il a pu en exister il y a un peu plus de trente ans avec le Canada et la France ?

Le personnel paramédical pose aussi problème sur les plans qualitatif et quantitatif. Nor­malement, l’affectation de ces personnels doit obéir à des ratios : nombre de personnels paramédicaux / nombre de malades hospitalisés.

Objectivement, contrairement à ce qui est souvent admis, il y a souvent pléthore de personnels paramédicaux dans nombre d’établissements de santé ! Pour preuve, comment peut-on tolérer que des agents puissent travailler de 8 heures (ce qui est l’exception) à 13 ou 14 heures et rentrer à la maison ; la «permanence» dans le service n’étant alors assurée que par une à deux personnes ? Ceci est vérifiable dans quasiment tout le pays ! Une autre organisation du travail pourrait donc faire travailler moins d’agents pour une durée normale de travail quotidien.

Il faudrait toutefois que ces personnels paramédicaux soient compétents ! Ce qui n’est pas souvent le cas ! Dans un service hospitalier, un test avait été réalisé sur l’ensemble du personnel paramédical : 8 agents sur 10 ne savaient pas tenir une feuille de température ; ce qui est le ba ba du métier d’infirmier ! C’est que, au cours de toutes ces années, le recrutement de ce type de personnel par l’Etat a été biaisé : au lieu d’embaucher parmi les centaines d’infirmiers ou sages-femmes diplômés en chômage, on leur a souvent préféré des gens sans qualification adéquate.

Et puis, le travail devrait être mieux organisé ; et un organigramme adéquat pourrait aussi y contribuer.

Le nouveau crédo en ce qui concerne la conception et la gestion de l’hôpital recouvre les notions d’ergonomie, de mutualisation de moyens, de reddition des comptes (la transparence). La loi hospitalière, qui n’a jamais été pertinente, est devenue obsolète depuis très longtemps !

Notamment, l’organisation des différentes unités hospitalières en services, multiplie les interlocuteurs (plus de 24 à Le Dantec !) ; ce qui réduit la performance. Aussi, la nouvelle organisation dans les pays du Nord privilégie-t-elle la structuration en pôles (ou départements ou fédérations) qui englobent les services ; ce qui augmente l’efficacité. Chaque pôle devient une entité autonome avec des démembrements de l’administration centrale de l’hôpital. La composition des conseils d’administration, qui s’est avérée peu opérante, a été modifiée dans les pays qui nous avaient inspiré. Dans ces pays, au sein des Chu, les universitaires ont acquis à juste titre une plus grande place dans ces conseils d’administration. En outre, dans les villes abritant une (ou des) faculté(s) de médecine, une administration (centre hospitalo-universitaire) coordonne les hôpitaux universitaires. Ceci n’existe pas au Sénégal ! Et même, la loi hospitalière a ignoré la spécificité des hôpitaux universitaires !

Le système hospitalier

Un hôpital, considéré isolément, ne peut satisfaire à tous les besoins de soins des populations. Il fait partie d’un système de complémentarité ; le système hospitalier.

L’organisation du système hospitalier sénégalais me semble imparfaite. Car, «le système hospitalier doit donc être rendu accessible à toutes les classes sociales et couvrir l’étendue géographique où vit la population. Cet impératif entraîne la création de complexes hospitaliers constitués d’un certain nombre d’établissements hiérarchisés, judicieusement répartis sur le territoire et étroitement coordonnés» (Bridgman Rf).

Il faut avouer que, chez nous, la hiérarchisation a été parfois contrainte comme en témoigne la création par décret d’hôpitaux de niveau 1 à la place de centres de santé. Un décret ne peut suffire à créer un hôpital ; il est indispensable que la configuration requise existe !

Et par ailleurs, même s’il existe des niveaux d’hôpital de 1 à 3, le système de référence-contre-référence est anarchique : les cahiers de charges en matière de types de soins des structures sanitaires ne sont pas respectés. Et ensuite, l’on peut considérer que la pyramide sanitaire est «tronquée» car le (ou les) centre(s) de référence ultime n’existe pas. Ainsi, nombre de maladies, conséquences de la transition épidémiologique, ne peuvent pas être traitées au Sénégal.

Enfin, quid des performances du système hospitalier, de ses insuffisances ? Pourquoi pas un Haut conseil autonome de la santé (en dehors du Ministère de la Santé) incluant diverses compétences, comme dans nombre de pays ? Ce serait un organisme de veille, de surveillance du système de santé ; en mesure d’en détecter les anomalies ; ce qui permettrait de le réorienter pour une plus grande efficacité.

Cependant, l’attitude actuelle des autorités ressemble à une fuite en avant ; les dégâts sanitaires deviennent de plus en plus conséquents au sein des populations. Et puis, au-delà de la prise en charge des affections chroniques, il y a ces maladies aigües, ces affections traumatiques qui nécessitent un traitement d’urgence, dans des délais de quelques minutes à 6 heures ; sinon cela aboutit à la mort ou à des séquelles irréparables. C’est le cas de l’infarctus du myocarde ou de l’accident vasculaire cérébral. Dans ces cas, même les nantis n’auraient pas le temps d’être évacués pour être sauvés ! Alors, pourquoi le projet de reconstruction de Le Dantec en une structure de niveau international n’agrée-t-il pas l’Etat ? Parce que, dans ce cas, les soins de haut niveau ne seraient plus exclusivement que pour les fonctionnaires allant au Maroc mais pour tous les Sénégalais! Parce que c’est aussi une question de sécurité et de souveraineté nationales ! De dignité nationale aussi !

 

Professeur Cheikh Tidiane TOURE

-Président de l’Association de Chirurgie d’Afrique Francophone

-Membre de l’Académie Nationale des Sciences et Techniques du Sénégal

-Membres de l’Académie Française de Chirurgie

-Membre d’Honneur de l’Association Française de Chirurgie

-M. Sc Université de Montréal

-Ancien lauréat du Prix de Recherche de la Faculté de Médecine de Montréal

-Ancien Titulaire de la Chaire Générale de la Faculté de Médecine de l’Ucad

-Ancien Chef du Service de Chirurgie Générale de l’Hôpital A. Le Dantec

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