Cinq années plus tard, l’homme arbore l’embonpoint d’un comique tout droit sorti d’un sketch de “Kooru Mère Dial.” Sa surcharge pondérale dont la courbe refuse de s’inverser est l’empreinte la plus visible de sa soixantaine de mois passée à la tête de l’Etat. Une stature physique n’est pas l’unique marqueur chez cet homme qu’une de ces inexplicables étrangetés de l’histoire, a propulsé au sommet du Sénégal un soir de mars 2012.
C’est l’histoire d’un candidat qui avait suscité une vague d’émotion et soulevé beaucoup d’espoir à travers le pays mais dont la présidence se révèle comme la plus catastrophique et la plus calamiteuse que le Sénégal n’ait jamais connue.
C’est l’histoire d’un candidat, parangon auto-déclaré de la transparence, de l’exemplarité, de la gestion sobre et vertueuse mais dont le mandat aura été celui de toutes les dérives, de toutes les outrances et de tous les outrages à la bonne gouvernance.
Une cinquantaine d’opposants passée par la case prison
C’est l’histoire d’un Terminator politique de toute dernière génération, une sorte de Trump tropical, sans allure ni culture, qui s’est publiquement engagé à “réduire son opposition à sa plus simple expression.” C’est l’une de ses rares promesses qu’il est en train de tenir. Et gare à ceux qui osent se mettre en travers de son chemin.
C’est un régime de terreur qui est en train de s’abattre à guichets fermés sur le Sénégal où le président menace, intimide, muselle, affecte, démet, radie, licencie et emprisonne tous ceux qui, aujourd’hui, tentent de lui bloquer, l’étroite entrée du tout petit trou de souris dans lequel, il espère s’engouffrer, pour conserver son pouvoir.
Il n’y a pas plus dangereux qu’un homme qui n’a qu’une idée. Qu’une seule. Et lui n’a qu’une seule et unique obsession: un nouveau mandat. Cet homme, au bout du rouleau d’une mandature presque nulle et non avenue, vivant sous l’hypnose permanente d’une réélection que cinq ans de promesses non tenues, de scandales financiers, de bêtises politiques, d’absurdités économiques ont rendu presque improbable, constitue aujourd’hui, la plus lourde menace qui pèse sur la fragile démocratie sénégalaise.
C’est l’histoire d’un président qui a transformé l’ensemble de l’appareil d’Etat en un redoutable instrument de persécution. La justice, la gendarmerie, la police, les renseignements, les impôts, les médias, toute la puissance publique, en état d’alerte et au service d’un homme, pour mettre au pas ses plus farouches contempteurs. La patrouille inquisitrice du pouvoir vole en escadrille pour mieux abattre tous les irréductibles qui refusent de rejoindre la petite basse cour politique présidentielle.
Près d’une cinquantaine d’opposants est passée par la case prison depuis l’alternance de mars 2012. Ce bilan déjà bien inquiétant n’est hélas que provisoire. Il pourrait bien s’alourdir dans les semaines ou mois à venir.
Devoir de réserve n’est pas obligation de se taire
Mais il n’y a pas que les politiques qui sont dans la ligne de mire du régime. Tous les hauts fonctionnaires suspectés d’avoir une trop grande conscience républicaine, sont eux aussi dans le viseur de l’escadrille de chasse présidentielle .
Parmi les victimes les plus connues, la présidente de l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC.) Elle a été virée avant le terme de son mandat pour avoir commis l’imprudence de convoquer le frère utérin du chef de l’Etat, soupçonné d’être le cœur du réacteur du plus gros scandale connu de la République, celui de la vente des licences d’exploitation du pétrole sénégalais.
Le chef de l’Etat a évité pendant plusieurs semaines la patronne de l’OFNAC qui voulait lui remettre des conclusions qui mettent directement en cause sa propre famille dans la gestion ténébreuse des affaires pétrolières sénégalaises. Ce scandale d’une ampleur sans précédent a provoqué un séisme politique qui pendant de longs mois, a mobilisé tout le ban et l’arrière ban de la République, épaulés par une puissante mécanique médiatique, pour éviter que les répliques n’atteignent la Présidence.
L’autre éminente victime collatérale de l’affaire du pétrole sénégalais est un jeune inspecteur des impôts, connu pour être en pointe dans la dénonciation sans concession des dérives politico financières de l’actuel régime. C’est lui qui a porté le scandale de la fraude aux impôts de l’Assemblée nationale sur la place publique.
Mais ce sont surtout ses révélations tous azimuts sur les troublantes transactions sur le pétrole et le gaz sénégalais, dirigées depuis le Palais et dont Aliou Sall apparaît comme étant le commandant suprême, qui le feront connaître du grand public. Ce qui vaudra à ce brillant haut fonctionnaire, d’être fiché “EP” (ennemi public) par le régime. Filé, écouté, vilipendé, rien ne lui sera épargné pour le faire taire. Après plusieurs mois de menaces vaines et d’intimidation sans résultats, le pouvoir active contre lui, une redoutable machine de guerre administrative.
Les va-t-en guerre du régime qui confondent devoir de réserve et obligation de se taire, l’accusent d’avoir manqué à son exigence de confidentialité et poussent le chef de l’Etat à déclencher le feu nucléaire contre le bouillant fonctionnaire. Le décret présidentiel tombe. Ousmane Sonko est radié à vie de la fonction publique sénégalaise.
Une exemplarité en toc et en bandoulière
Après le choc du “scandale Aliou Sall,” le poids des conséquences. Elles sont désastreuses pour l’image du président. La maladroite gestion de cette affaire par le pouvoir va vertigineusement faire monter le thermomètre de mécontentement des Sénégalais, qui découvrent jusqu’à quel point, la famille, la belle famille du chef de l’Etat et les amis du couple présidentiel, avaient capté les centres de décision politique et économique du pays.
Mais au delà de la question des montants faramineux engrangés par les proches du Palais, cette “affaire Aliou Sall”, venue s’ajouter à d’autres scandales d’Etat, (ArcelorMittal, Coud, rénovation du building administratif,l’affaire Lamine Diack…) finira par donner l’impression à une immense majorité de Sénégalais, que leur pays était devenu un casino géant où toutes les magouilles étaient permises, où certains escrocs, notoirement connus pour avoir trempé dans des affaires de corruption et de trafic de drogue, pouvaient avoir table ouverte.
Si la peur et l’omerta qui règnent aujourd’hui sur le dossier du pétrole sénégalais en ont fait jusque là le scandale le mieux protégé de la République, il est incontestable que l’implication directe de la famille présidentielle dans la commercialisation des ressources naturelles nationales reste, et de loin, la balafre la plus grave et la plus profonde, portée sur le visage de cette République que le président nous promettait sobre, vertueuse et exemplaire.
Ce président qui, dans les grands forums internationaux, n’a que les mots impunité, transparence, et bonne gouvernance au discours pour attendrir ses sponsors et gourous étrangers, mais qui une fois dans le huis clos de son palais, est capable de bombarder un de ses partisans, inculpé pour faits graves et avérés de corruption, à la présidence d’un conseil d’administration.
C’est l’histoire d’un président qui a l’art de se faire passer pour le Ghandi de l’exemplarité alors qu’il a les mains profondément trempées dans le cambouis de la gouvernance malpropre. Terrible désillusion d’une présidence qui flirte dangereusement avec les pâquerettes.
Un appareil d’Etat au service d’un régime
Avec une image très lourdement dégradée par sa gestion consanguine et clanique du pouvoir, une mandature durement cabossée par les scandales et un bilan sérieusement endommagé par sa propre incompétence, le président ne fonde plus ses espoirs de victoires électorales futures sur l’adhésion des Sénégalais, mais sur une mécanique de harcèlement judiciaire et policier de ses opposants, et des velléités aujourd’hui avérées, de saper la transparence des scrutins à venir.
Et voilà qu’à quelques petites encablures de cruciales élections législatives, qui risquent d’être cathartiques pour la coalition au pouvoir, les dérives anti démocratiques du régime sénégalais ont connu une brusque accélération.
Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre de Macky Sall, devenu irréductible parmi les irréductibles opposants au chef de l’Etat, est sous la menace d’une condamnation qui pourrait le rendre inéligible. Son passeport lui a été confisqué pour l’isoler un peu plus internationalement.
Khalifa Sall, le maire de Dakar qui tourmente encore et toujours les rêves de victoire capitale de la coalition présidentielle dans la capitale, n’a jamais été aussi si proche d’une inculpation au moment où plusieurs de ses plus proches lieutenants croupissent en prison.
Jamais aucun régime n’avait à ce point mis le code pénal au service du code électoral. Jamais le taux d’oxygène démocratique n’a été aussi bas avec un président qui, à défaut d’époustoufler son peuple avec l’autorité de la compétence, veut l’étouffer avec la tyrannie d’un pouvoir absolu.
Celui de la vengeance, de la peur et de la haine. Avant hier Karim Wade, hier Abdoul Mbaye et Ousmane Sonko, aujourd’hui Khalifa Sall. Demain qui sait?
Seule une petite cohorte de laudateurs de la trempe de Serigne Mbacké Ndiaye, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Djibo Ka, Ousmane Ngom, Thierno Lô, Awa Ndiaye…qui, tels des ténias ne sachant vivre qu’au dépens du monarque, incapables de sortir de la zone de confort du pouvoir, prêts à ramper pour quelques strapontins et passant sans dignité, sans honte ni orgueil d’une minorité à une majorité, échappent aujourd’hui à la vindicte du “conductator.”
Sauf que notre pays mérite mieux que ce gang de majordomes de Palais, sans amour propre, définitivement éjectés de l’orbite affective des Sénégalais, et qui risquent de provoquer une insurrection électorale contre un président qui a fait de la transhumance politique, sa principale stratégie de conservation du pouvoir. Mais qui peut dénier au chef de l’Etat, son droit imprescriptible de choisir ses hommes et ses dames de compagnie dans sa course folle vers l’autodestruction.
Le Sénégal n’est pas un pays où on se tait
Conscient de son impopularité, de son hyper fragilité politique et de l’extrême désorganisation de son parti, le président tente aujourd’hui d’envelopper le pays sous une chape de silence en étouffant toutes les voix discordantes. Sauf que le Sénégal n’est pas un pays où on se tait. Si Macky Sall est aujourd’hui au pouvoir, c’est parce que des Sénégalais ont osé l’ouvrir et défier Abdoulaye Wade.
Il arrive un moment où le silence face aux dérives autoritaires d’un régime quel qu’il soit, devient une trahison démocratique. Alors nous n’avons pas peur. Même pas peur des menaces d’un procureur de la “ripoublique“, qui avec ses poursuites sélectives et ciblées, à mis un pan entier de la justice sénégalaise sous pavillon présidentiel.
Une belle occasion de rendre hommage à ces magistrats de la République, Cheikh Diakhoumpa, Yaya Abdoul Dia et plus récemment Ibrahima Hamidou Déme et tant d’autres juges de l’ombre qui font la fierté d’un pays où on “ne ferme pas sa gueule.” Des Juges qui par la force de leurs convictions, malgré les sanctions disciplinaires, hissent haut et fort, l’étendard d’une justice sénégalaise indépendante.
C’est l’histoire du quatrième président du Sénégal. C’est Macky Sall ou l’histoire d’un président outrancier, éruptif, colérique, caractériel, toujours à cran contre ce brave peuple du Sénégal qui, au prix de son sang, l’a porté au pouvoir et qu’il n’a de cesse depuis son élection, de stigmatiser. Le Sénégal a connu trois chefs d’Etat avant lui, mais la présidence Sall aura été parmi toutes, celle la plus fortement imprégnée par les conflits, les tensions, les règlements de compte, les vengeances, les procès d’exception et les emprisonnements d’opposants.
Jamais la cruauté politique d’un président n’a fait peser sur la nation sénégalaise toute entière, d’aussi irréversibles risques de fractures politiques, confrériques, ethniques et sociales. Avec en filigrane, la mise en lambeaux de notre ersatz de cohésion nationale. Et pour la première fois dans notre pays, le vote risque d’être biologique.
Ainsi va le Sénégal sous Macky Sall. Ainsi sombre “Sunugal” avec à la barre, un président qui deux ans avant le terme de son mandat, nous fait la démonstration de son exceptionnelle virtuosité, dans la gestion d’une fin de règne.
Malick SY
Journaliste