Si le débat est la sève de la démocratie en ce qu’elle permet de tester la viabilité des idées qui fondent le projet social et le font évoluer dans le bon sens, celui-ci doit tout de même revêtir, a minima, certaines qualités qui, pour partie tiennent aux intervenants au débat et pour partie aux sujets abordés. Plus trivialement tout monde ne doit pas parler et on ne doit pas parler de tout au risque de clochardiser le débat public, « qui trop souvent a des allures de discussions d’ivrognes ». Ce risque n’est pas une vue de l’esprit au Sénégal. Il suffit de faire un zapping des différentes émissions politiques et autres talk-show pour se rendre compte de l’insondable bêtise qui est servie à longueur de débat. Tout y passe. Les pseudo experts tout-sachant se perdent en élucubrations hasardeuses sur des sujets sérieux et ternissent ainsi la noblesse de la contradiction féconde. L’insulte est hissée au rang d’argument et c’est à celui qui formule le plus d’insanités, de médisance et de mensonges calomnieux que la palme du grand démocrate est donnée. L‘intelligence et l’analyse ont déserté le débat et ceux qui s’y prêtent sont taxés sinon de prétentieux, du moins pédant ou à tout le moins mystificateur. D’ailleurs ceux qui s’y aventurent sont des ennemis publics. Martin Luther King disait de façon prémonitoire d’ailleurs « pour se faire des ennemis, pas la peine de déclarer la guerre, il suffit juste de dire ce que l’on pense ».
Sur le fallacieux prétexte de parler un langage compris de tous les scènes télévisuelles se ramènent à un enchainement d’inepties et de calomnies si ce n’est des tassous ou des bakk de lutteurs. La compétence au Sénégal est devenue une tare rédhibitoire et dire la vérité est devenu une denrée rare. Dans un brillant édito, Ramsès Keffi indique qu’ « il n’est jamais bon d’habituer et de trop exposer les yeux et les oreilles à ce genre de propos. A la longue, ça fait baisser le niveau d’exigence, à tel point qu’on on finit par se résigner et trouver des bons côtés aux mauvais. » En réalité, la seule visée des intervenants est de faire le buzz, se démarquer quel qu’en soit la modalité : insulte, délation, dénigrement,… la seule finalité du discours est de détonner pour faire parler de soi.
Cette descente aux abysses de la bêtise humaine en tant qu’elle se fait « débat » est nourrit par deux phénomènes : la médiocratie et la médiacratie.
Sous la plume de Michel Abescat, on peut lire qu’« en politique comme dans les entreprises, les médiocres ont pris le pouvoir » qui débouche sur « révolution anesthésiante ». La médiocratie est justement ce coup d’état de l’imbécilité qui installe ce que la société a de plus nauséeux aux manettes du pouvoir. Il s’opéré alors une inversion de la valeur normative avec une promotion de contre-valeur provoquant un traumatisme du réfèrent axiologique. Ainsi il y a une faillite morale de l’élite dirigeante, une dégénérescence de la valeur d’exemplarité qui s’attache par nécessité à l’exercice d’une fonction élective dans la mesure où les démocraties modernes sont selon le mot de Rosanvallon des démocraties d’exercice « ayant pour objet de déterminer les qualités attendues des gouvernants et les règles organisant leurs relations avec les gouvernés ». Et c’est justement, l’écart des gouvernants de cette exigence incompressible qui provoque un rejet du politique ou un contournement de ce dernier par l’avènement d’organisations postpartidaires.
Les nouvelles figures usurpatrices et spoliatrices de la vie politique s’arrogent des prérogatives exorbitantes en imposant un terrorisme de la médiocrité avec la complicité des media qui trainant les mêmes tares participent activement à tirer les choses vers le bas. Ces politiques d’un nouveau genre « donnent » selon le mot du billettiste Maxime TANDONNET « le sentiment d’être privés d’épaisseur (…), de vision de l’avenir, de lucidité, voire d’humanité. Ils se présentent comme de purs communicants, à la recherche du bon mot, de la polémique, du slogan qui va faire parler d’eux. Ils n’ont pas beaucoup étudié, ni lu, ni réfléchi, parvenus au sommet grâce à leur réseau familial, clanique, relationnel, et poussés vers le haut par une vanité quasi pathologique, inversement proportionnelle à leurs facultés intellectuelles. Privés d’éthique, de notion de la vérité ou du mensonge, incapables de travailler en profondeur sur l’avenir de la société, les réalités, ils versent dans l’agressivité fébrile, le sectarisme forcené »
C’est peut-être là une des explications de la gestion publique calamiteuse qui n’est faite que de scandales, d’intrigues et de traquenards de tout acabit. Cette absence de talent politique va jusqu’à obstruer la vision sur les réalisations pourtant remarquables du pouvoir en place.
La médiacratie complice active qui est le corrélat de la médiocratie est plus dangereuses parce que subliminale. Par un matraquage ininterrompu de la niaiserie elle structure l’opinion pour en faire une masse crétiniser qui passe « à côté de son cri ». Le but du jeu est de crétiniser le plus grand nombre en les maintenant dans un obscurantisme qui fait froid dans le dos. A lire la une des quotidiens sénégalais on tressaillie de frayeur tellement la titraille est abrutissante et les contenus insultants. Il s’agit proprement d’un crime culturel contre une société sénégalaise tirée irrémédiablement par une pesanteur de balourdise vers le bas.
A lire les journalistes on s’incline devant tant de maladresse. L’un d’entre eux qui se définit « en vieux briscard de la presse » et qui se juge en ces termes : « je suis un homme libre qui peut dire ce qu’il pense sans rien attendre de personne, mon seul défaut et c’est honnête, c’est de ne pas aimer qu’on accuse gratuitement mes amis » se lance dans une entreprise pour le moins rocambolesque venant d’un journaliste visant à porter la réplique « assommante » à Ousmane Sonko pour qu’à jamais il se taise. Une telle démarche jure avec les exigences minimales de son métier et contribue à maintenir l’opinion dans un carcan de crétinisme.
Ibrahima Malick Thioune (Juriste)